Depuis quelques années, le climat connaît un certain changement. Dans cet entretien, Dr Marianne Diop Kane revient sur la variabilité du climat, notamment au Sénégal où les conséquences liées à ce phénomène ne sont pas à négliger.
Comment nos pays africains subissent-ils le phénomène du changement climatique ?
« Les inondations que nous vivons au Sénégal sont liées à la variabilité. Concernant le changement climatique, il y a deux aspects : la variabilité naturelle et le changement dû à l'augmentation des gaz à effet de serre. Mais à l'échelle décadaire, nous sommes dans la phase de la variabilité. On voit qu’il y a une augmentation de la variabilité des phénomènes extrêmes, aussi bien en intensité qu’en nombre. Au Sénégal, on a vu le nombre de fortes pluies augmenter, occasionnant des inondations. D’une année à une autre, cela varie énormément. 2012 a été très pluvieuse alors que 2011 était plutôt normale, mais avec de longues pauses sèches qui nuisent gravement aux cultures. À l’heure actuelle, pour ce qui est du Sénégal et de la sous-région en général, on sait que le climat est en train de changer. S’agissant de la température, c’est très perceptible, on note une augmentation variable d'une région à une autre de 1 à 4 degrés environs depuis 1930 ».
Vos projections sont-elles exactes pour prévenir l’humanité en cas de fortes pluies ?
« Les projections sont aussi assez précises, mais ce qui est plus difficile, c’est la pluviométrie. Les modèles divergent. Certains prévoient une hausse de 20 à 30% et d'autres une diminution du même ordre de grandeur. On peut s'attendre à tout, bien qu'on note une certaine tendance à la hausse depuis 2000. La difficulté de la prévision des pluies n'est pas seulement au niveau climatique, mais aussi au niveau saisonnier et au niveau de la moyenne et courte échéance. Il est donc très difficile de prévoir la pluviométrie dans nos régions. Cela est dû à la complexité des systèmes pluviogènes et de la limite des modèles que nous utilisons. Les interactions entre les systèmes pluviogénes et l'environnement où ils développent ou traversent le sol, la végétation et la topographie ne sont pas très bien connues. Il faut noter que des avancées ont été réalisées ces dernières années avec des programmes internationaux de recherche comme Jet, Amma, etc. Le problème au niveau des modèles, c'est que nous utilisons des modèles européens et américains qui ne sont pas vraiment adaptés pour nous. En plus, la maille est trop grande. Chez nous, c’est plus difficile, parce que nous avons des systèmes plus complexes, de type convectif, souvent associées aux ondes d’Est, alors que dans les pays Nord tempérés, ce sont des systèmes associés aux fronts, bien documentés et plus facilement discernables. En plus, ils utilisent des modèles de très fines échelles, 1 km voire 500 m. En plus, ils ont des radars et des images satellites à meilleure résolution spatiale et temporelle. Alors que nous utilisons les modèles des autres avec de faibles résolutions ».
Avez-vous les moyens de vous lancer pleinement dans vos recherches ?
« Heureusement que nous avons accès aux images satellitaires, grâce aux différents programmes de Eumetsat et l'Organisation météorologique mondiale. Il faudrait que l’on mette les moyens dans notre système d'observation et de la recherche pour améliorer les services rendus par la météo. Ceci est valable aussi bien pour une prévision courte, à moyenne échéance, que pour la prévision saisonnière et climatique pour les dix, vingt prochaines années. C’est très important sur tous les plans de développement. En plus des investissements en équipements pour l'observation, la modélisation et le radar, il faut une conscientisation de nos dirigeants et décideurs politiques. Ils doivent comprendre que la météo intervient dans tous les secteurs de développement, particulièrement dans nos pays très vulnérables et fortement tributaires de l'agriculture pluviale. Je pense que pour atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement (Omd), il faut intégrer les informations et les prévisions météorologiques et climatiques dans tous les programmes de développement ».
Voulez-vous dire que les informations et prévisions météorologiques ne sont pas prises en compte dans les stratégies de développement ?
« Je cite un exemple saillant : actuellement, le forum sur l'eau et l'assainissement est en train de se tenir sans la participation de la météo (ndlr : l’itw a été réalisée en décembre dernier). Qui mesure la pluie ? Qui fait la prévision des pluies ? Que peut-on faire, si cette donnée primordiale n'est pas connue ou prévue ? Il en est de même de l'évaporation. Tous ces deux paramètres météorologiques sont les données principales d'entrée de tout modèle hydrologique ! C'est une erreur qui est souvent faite dans nos pays. On oublie l'élément de base et on s'acharne sur les impacts. C'est le cas aussi du changement climatique, où on ne pense qu'aux projets d'impacts et d’adaptation. Mais quel est l'état actuel du climat ? Comment cela évoluera-t-il localement dans les 10 ans, 20 ans 50 ans ? Quels sont les scénarii probables, en vue de développer des programmes de développement intégrés ? On s'en soucie moins ».
La météo peut-elle prévenir pour éviter les inondations dans certaines zones ?
« On peut avoir une année déficitaire ou normale et avoir des cas d’inondations. Il suffit d'avoir quelques cas ou même un extrêmement pluvieux. Avec les changements climatiques, ces phénomènes vont augmenter, en nombre et en intensité. Cette année, on a eu 150 mm à Dakar en quelques jours. C’est un record. L’année dernière, on a eu des inondations malgré une année normale. Dans tous les cas, les inondations au Sénégal et dans la sous-région ne sont pas simplement liées au phénomène de pluies excessives. C’est très complexe. Il y a l'habitat, l'assainissement, etc. À Dakar, rien qu'avec 20 mm de pluies, il y a une inondation. La question est donc pluridisciplinaire (météorologie, hydrologie, urbanisme, experts en assainissement, environnementalistes …). La météo ne peut, à l'heure actuelle, que faire une prévision assez qualitative des pluies ».
Les intempéries frappent souvent certains pays. Le Sénégal est-il épargné ?
« Non, du tout. Même si on n’a pas les mêmes phénomènes qu'aux Etats-Unis, les Caraïbes et l'Asie… Il n’y a pas de cyclones chez nous. Nous avons plutôt des systèmes convectifs organisés et des lignes de grains souvent associés aux ondes d’Est qui donnent, en général, beaucoup de pluies. Ils donnent encore plus de pluies quand la circulation cyclonique associée est stationnaire. Quand le système est très stationnaire, avec beaucoup d’humidité et une bonne ascendance verticale, il peut donner beaucoup de pluies. Actuellement, il est très difficile de vous dire exactement combien de pluies on peut avoir. Quand même, la prévision à quelques jours est qualitativement assez fiable. On peut toujours alerter les populations d'un risque probable, mais pour l’ampleur, nous avons encore du chemin à faire ».
Vous le constatez vous-mêmes, les populations, surtout dans les zones rurales, n’ont pas cette culture de suivi des prévisions de la météo. N’est-ce pas un problème ?
« En général, la météo diffuse les informations à travers la télé, la radio, le site web, mais aussi la presse écrite, etc. Il nous faudrait aussi atteindre les populations rurales vulnérables qui n'ont pas toujours accès à ces moyens de communication. C’était l’objet de ce projet pilote d'Alerte Précoce avec la Croix-Rouge Sénégalaise et « Humanitarians Future Program » dans la région de Kaffrine. Nos prévisions étaient envoyées aux responsables locaux de la Croix-Rouge qui relayaient celles-ci aux villageois, pour leur utilisation à bon escient. Auparavant, nous avons organisé un atelier pour identifier leurs besoins et expliquer nos produits, les interprétations, avec les limites et les incertitudes associées. Un minimum de formation est nécessaire. Vous le savez, il est très difficile de faire une localisation précise de la pluie, même en Europe, malgré leurs modèles aussi perfectionnistes. Ceci est dû au fait que les systèmes pluviogènes sont composés de plusieurs nuages, les uns précipitant, les autres non... ».
Les pluies hors saison sont nocives pour les récoltes. Y a-t-il un système d’alerte pour prévenir les agriculteurs ?
« La pluie hors saison est due à une descente d’air froid provenant d'Europe qui force l’air chaud local à se soulever, à s'évaporer, à se condenser, à former des nuages et éventuellement à précipiter. Ces pluies, si faibles soient-elles, peuvent nuire aux agriculteurs qui, souvent, étalent leurs récoltes à l'air libre. Les pluies hors saison sont assez bien prévues. Mais, les paysans ont-ils eu l'information à temps ? Voilà tout le challenge de la météo en général : développer des produits adaptés aux utilisateurs et pouvoir les acheminer à temps jusqu'aux usagers finaux ».
Propos recueillis par Cheikh M. COLY
Le Soleil
Comment nos pays africains subissent-ils le phénomène du changement climatique ?
« Les inondations que nous vivons au Sénégal sont liées à la variabilité. Concernant le changement climatique, il y a deux aspects : la variabilité naturelle et le changement dû à l'augmentation des gaz à effet de serre. Mais à l'échelle décadaire, nous sommes dans la phase de la variabilité. On voit qu’il y a une augmentation de la variabilité des phénomènes extrêmes, aussi bien en intensité qu’en nombre. Au Sénégal, on a vu le nombre de fortes pluies augmenter, occasionnant des inondations. D’une année à une autre, cela varie énormément. 2012 a été très pluvieuse alors que 2011 était plutôt normale, mais avec de longues pauses sèches qui nuisent gravement aux cultures. À l’heure actuelle, pour ce qui est du Sénégal et de la sous-région en général, on sait que le climat est en train de changer. S’agissant de la température, c’est très perceptible, on note une augmentation variable d'une région à une autre de 1 à 4 degrés environs depuis 1930 ».
Vos projections sont-elles exactes pour prévenir l’humanité en cas de fortes pluies ?
« Les projections sont aussi assez précises, mais ce qui est plus difficile, c’est la pluviométrie. Les modèles divergent. Certains prévoient une hausse de 20 à 30% et d'autres une diminution du même ordre de grandeur. On peut s'attendre à tout, bien qu'on note une certaine tendance à la hausse depuis 2000. La difficulté de la prévision des pluies n'est pas seulement au niveau climatique, mais aussi au niveau saisonnier et au niveau de la moyenne et courte échéance. Il est donc très difficile de prévoir la pluviométrie dans nos régions. Cela est dû à la complexité des systèmes pluviogènes et de la limite des modèles que nous utilisons. Les interactions entre les systèmes pluviogénes et l'environnement où ils développent ou traversent le sol, la végétation et la topographie ne sont pas très bien connues. Il faut noter que des avancées ont été réalisées ces dernières années avec des programmes internationaux de recherche comme Jet, Amma, etc. Le problème au niveau des modèles, c'est que nous utilisons des modèles européens et américains qui ne sont pas vraiment adaptés pour nous. En plus, la maille est trop grande. Chez nous, c’est plus difficile, parce que nous avons des systèmes plus complexes, de type convectif, souvent associées aux ondes d’Est, alors que dans les pays Nord tempérés, ce sont des systèmes associés aux fronts, bien documentés et plus facilement discernables. En plus, ils utilisent des modèles de très fines échelles, 1 km voire 500 m. En plus, ils ont des radars et des images satellites à meilleure résolution spatiale et temporelle. Alors que nous utilisons les modèles des autres avec de faibles résolutions ».
Avez-vous les moyens de vous lancer pleinement dans vos recherches ?
« Heureusement que nous avons accès aux images satellitaires, grâce aux différents programmes de Eumetsat et l'Organisation météorologique mondiale. Il faudrait que l’on mette les moyens dans notre système d'observation et de la recherche pour améliorer les services rendus par la météo. Ceci est valable aussi bien pour une prévision courte, à moyenne échéance, que pour la prévision saisonnière et climatique pour les dix, vingt prochaines années. C’est très important sur tous les plans de développement. En plus des investissements en équipements pour l'observation, la modélisation et le radar, il faut une conscientisation de nos dirigeants et décideurs politiques. Ils doivent comprendre que la météo intervient dans tous les secteurs de développement, particulièrement dans nos pays très vulnérables et fortement tributaires de l'agriculture pluviale. Je pense que pour atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement (Omd), il faut intégrer les informations et les prévisions météorologiques et climatiques dans tous les programmes de développement ».
Voulez-vous dire que les informations et prévisions météorologiques ne sont pas prises en compte dans les stratégies de développement ?
« Je cite un exemple saillant : actuellement, le forum sur l'eau et l'assainissement est en train de se tenir sans la participation de la météo (ndlr : l’itw a été réalisée en décembre dernier). Qui mesure la pluie ? Qui fait la prévision des pluies ? Que peut-on faire, si cette donnée primordiale n'est pas connue ou prévue ? Il en est de même de l'évaporation. Tous ces deux paramètres météorologiques sont les données principales d'entrée de tout modèle hydrologique ! C'est une erreur qui est souvent faite dans nos pays. On oublie l'élément de base et on s'acharne sur les impacts. C'est le cas aussi du changement climatique, où on ne pense qu'aux projets d'impacts et d’adaptation. Mais quel est l'état actuel du climat ? Comment cela évoluera-t-il localement dans les 10 ans, 20 ans 50 ans ? Quels sont les scénarii probables, en vue de développer des programmes de développement intégrés ? On s'en soucie moins ».
La météo peut-elle prévenir pour éviter les inondations dans certaines zones ?
« On peut avoir une année déficitaire ou normale et avoir des cas d’inondations. Il suffit d'avoir quelques cas ou même un extrêmement pluvieux. Avec les changements climatiques, ces phénomènes vont augmenter, en nombre et en intensité. Cette année, on a eu 150 mm à Dakar en quelques jours. C’est un record. L’année dernière, on a eu des inondations malgré une année normale. Dans tous les cas, les inondations au Sénégal et dans la sous-région ne sont pas simplement liées au phénomène de pluies excessives. C’est très complexe. Il y a l'habitat, l'assainissement, etc. À Dakar, rien qu'avec 20 mm de pluies, il y a une inondation. La question est donc pluridisciplinaire (météorologie, hydrologie, urbanisme, experts en assainissement, environnementalistes …). La météo ne peut, à l'heure actuelle, que faire une prévision assez qualitative des pluies ».
Les intempéries frappent souvent certains pays. Le Sénégal est-il épargné ?
« Non, du tout. Même si on n’a pas les mêmes phénomènes qu'aux Etats-Unis, les Caraïbes et l'Asie… Il n’y a pas de cyclones chez nous. Nous avons plutôt des systèmes convectifs organisés et des lignes de grains souvent associés aux ondes d’Est qui donnent, en général, beaucoup de pluies. Ils donnent encore plus de pluies quand la circulation cyclonique associée est stationnaire. Quand le système est très stationnaire, avec beaucoup d’humidité et une bonne ascendance verticale, il peut donner beaucoup de pluies. Actuellement, il est très difficile de vous dire exactement combien de pluies on peut avoir. Quand même, la prévision à quelques jours est qualitativement assez fiable. On peut toujours alerter les populations d'un risque probable, mais pour l’ampleur, nous avons encore du chemin à faire ».
Vous le constatez vous-mêmes, les populations, surtout dans les zones rurales, n’ont pas cette culture de suivi des prévisions de la météo. N’est-ce pas un problème ?
« En général, la météo diffuse les informations à travers la télé, la radio, le site web, mais aussi la presse écrite, etc. Il nous faudrait aussi atteindre les populations rurales vulnérables qui n'ont pas toujours accès à ces moyens de communication. C’était l’objet de ce projet pilote d'Alerte Précoce avec la Croix-Rouge Sénégalaise et « Humanitarians Future Program » dans la région de Kaffrine. Nos prévisions étaient envoyées aux responsables locaux de la Croix-Rouge qui relayaient celles-ci aux villageois, pour leur utilisation à bon escient. Auparavant, nous avons organisé un atelier pour identifier leurs besoins et expliquer nos produits, les interprétations, avec les limites et les incertitudes associées. Un minimum de formation est nécessaire. Vous le savez, il est très difficile de faire une localisation précise de la pluie, même en Europe, malgré leurs modèles aussi perfectionnistes. Ceci est dû au fait que les systèmes pluviogènes sont composés de plusieurs nuages, les uns précipitant, les autres non... ».
Les pluies hors saison sont nocives pour les récoltes. Y a-t-il un système d’alerte pour prévenir les agriculteurs ?
« La pluie hors saison est due à une descente d’air froid provenant d'Europe qui force l’air chaud local à se soulever, à s'évaporer, à se condenser, à former des nuages et éventuellement à précipiter. Ces pluies, si faibles soient-elles, peuvent nuire aux agriculteurs qui, souvent, étalent leurs récoltes à l'air libre. Les pluies hors saison sont assez bien prévues. Mais, les paysans ont-ils eu l'information à temps ? Voilà tout le challenge de la météo en général : développer des produits adaptés aux utilisateurs et pouvoir les acheminer à temps jusqu'aux usagers finaux ».
Propos recueillis par Cheikh M. COLY
Le Soleil