L’Ecole supérieure polytechnique de Dakar a accueilli les 04 et 05 février le Forum mondial sciences et démocratie (Fmsd). Une rencontre qui avait réuni acteurs de mouvements sociaux et du monde scientifique. Dans l’entretien que le Point focal de ce forum en Afrique nous a accordé, Moussa Mbaye fait un bilan des travaux qui ont été menés. Mais il a surtout insisté sur le retard que l’Afrique continue à accuser dans le développement de la recherche scientifique.
Wal Fadjri : Durant deux jours, les participants au deuxième Forum mondial sciences et démocratie (Fmsd) ont discuté de plusieurs thèmes qui ont trait à la science. Pouvez-vous revenir sur les contenus des débats ?
Moussa MBAYE : Il y a eu les plénières sur les sciences pour voir comment elles peuvent nous permettre de comprendre les crises qui secouent le monde actuellement parce que nous pensons qu’il faut que les citoyens discutent de la science. Contrairement à ce qui est prétendu, la base des sciences actuelles, qu’elles soient des sciences dures ou des sciences sociales, ce sont des dogmes, des opinions et de la métaphysique. Les débats étaient ouverts et nous avons choisi un certain nombre de questions comme la responsabilité sociale, éthique et politique des chercheurs, comment bâtir des synergies entre chercheurs, décideurs et acteurs sociaux et la question des biens communs de la connaissance. Le problème des universités au 21e siècle a été aussi posé et discuté mais aussi l’utilisation des langues dans la science parce que nous voulons que la science soit dite dans plusieurs langues et pas dans quelques langues seulement. Nous avons parlé de l’éducation de la science, de la fuite ou du drainage des cerveaux parce que certains pays captent les ressources humaines d’autres pays et cela démontre une certaine forme de domination. La liste n’est pas épuisée. Nous avons discuté de beaucoup d’autres sujets à travers les ateliers. Nous avons essayé de récapituler les éléments transversaux pour approfondir la réflexion et le dialogue et commencer à voir les lieux d’actions et identifier les évènements phares pour les alliances qui peuvent être construites après Dakar.
Quels enseignements tirez-vous des résultats de vos travaux ?
Le premier enseignement, c’est la richesse des débats grâce à la diversité des gens qui sont venus. Nous avons appris beaucoup de choses et cela donne des perspectives à chacun, au niveau de nos organisations, dans chaque continent et l’Afrique en particulier. Nous avons posé le débat de la citoyenneté pour voir comment mettre en perspective la science et la technologie au bénéfice d’un monde vivable, convivial et non plus au profit de quelques-uns pour des raisons économiques au détriment de la planète. Donc, ce moment d’échanges était important et a renforcé la confiance entre les acteurs de la recherche de quelque bord qu’ils soient et ceux qui sont engagés dans le changement politique et social dans le mouvement associatif. Il y a certaines questions qu’on doit pouvoir discuter ensemble pour que les mouvements sociaux aient un meilleur impact sur les décisions qui seront prises dans le monde.
Pouvez-vous nous faire l’état des lieux sur le développement de la recherche scientifique dans le continent ?
Le fait de tenir le forum en Afrique a été un défi qui nous interpelle pour que nous puissions parler de notre place dans la science. Sommes-nous seulement des spectateurs et des consommateurs ? Le constat est que, en terme de science, nous n’avons pas encore vu nos sociétés ni nos leaders en faire un élément stratégique. Or, la science est incontournable pour exister dans le monde qui advient. Les sommes qui sont investies dans le domaine de la science sont insignifiantes. L’ensemble des questions qui bloquent le devenir de l’Afrique, que ce soit l’eau, l’énergie, la sécurité alimentaire, méritent des choix pour savoir ce que nous voulons en matière de science, de technologie et de savoir en général. Il faut qu’on se réveille et cela va passer par des initiatives de ce genre pour que nous puissions exister de par nous-mêmes. Nous ne devons pas être des acteurs de seconde zone qui consomment seulement ce que font les autres. Il faut faire naître des initiatives communes pour que les acteurs se connaissent. Il faut que tout le monde s’engage et cherche des partenariats pour faire venir les Africains de tous bords qui sont porteurs de quelque chose. Ce que nous avons essayé de faire, c’est d’identifier les porteurs d’initiatives au niveau des acteurs des recherches scientifiques, des mouvements sociaux pour partager nos idées, amener la prise de conscience et susciter des liens et des réseaux pour que la société civile parvienne à mobiliser les acteurs comme les gouvernements. C’est ce que nous voulons pour l’après-Dakar. Dans les autres régions, les associations sont assez structurées. Nous, Africains, nous devons aussi nous structurer et avoir nos propres initiatives et porter notre politique à côté des autres.
Vous voulez que l’Afrique soit plus présente dans le monde scientifique mais on a remarqué qu’il y a eu plus de non-Africains que d’Africains à ce forum…
Justement, nous prenons le train en marche. On s’est dit que le premier forum s’est tenu sans nous. Le second, nous l’avons accueilli et nous nous sommes dit que nous devrions être présent en quantité et en qualité. Mais, vous constatez que nous avons encore du chemin à faire puisque nos acteurs ne considèrent pas encore la dimension stratégique et la place des sciences. Pour que notre communauté scientifique puisse avoir les moyens pour apporter des solutions à nos problèmes, il faudra nous mobiliser. Il y a eu des acquis, mais c’est largement insuffisant. Et ceux qui sont venus des autres continents, ils ont payé leurs billets d’avions, ils se prennent en charge durant leur séjour à Dakar. Nous interpellons les membres des comités scientifiques qui sont dans les facultés, les organisations non gouvernementales et les mouvements sociaux. Les sciences ne sont pas des questions théoriques. Ce sont des questions qui engagent notre survie. Si nous ne nous positionnons pas, l’Afrique restera à la traîne. Nous espérons qu’il y aura une forte mobilisation. Il est prouvé que l’Afrique, dans le passé, a été porteuse de sciences et c’est à la jeune génération de créer la différence parce qu’on est dans un monde globalisé. Il faut que les jeunes Africains prennent leurs places à côté des jeunes Américains, Chinois, Indiens et autres. Et rien ne leur sera facilité s’ils ne prennent pas eux-mêmes les choses en main parce que nous avons lâché l’affaire.
Donc depuis le premier forum qui a eu lieu à Bélem au Brésil en 2009, vous n’avez pas constaté un changement palpable ?
On a constaté que la question des sciences et des techniques était faiblement prise en charge en termes de réflexion mais aussi en termes d’utilisation des savoirs acquis dans ce domaine pour comprendre le monde actuel et poser les changements recherchés. Des initiatives parallèles commencent à naître surtout en Europe. Donc nous commençons à voir une meilleure prise en charge des questions scientifiques et techniques par tous les acteurs des mouvements sociaux Alors, il y a eu une petite évolution. Maintenant, ce que nous cherchons à construire à partir de Dakar, ce sont des agendas communs et des actions communes parce que cela va de pair. Ensemble, mouvements sociaux et acteurs de la recherche, il faut que nous travaillions en commun pour pouvoir apporter des changements. C’est cet agenda qui se profile à l’horizon avec un point fort autour de Rio+20 parce que le sommet de la Terre s’était tenu à Rio en 1992. Il va y avoir des événements importants, il faut que nous essayions de voir comment nous pouvons impacter, éveiller, alerter et édifier les gens sur l’importance des sciences pour résoudre les impasses dans lesquelles nous nous sommes mis. Cela nous permettra d’avoir une autre manière d’utilisation des ressources naturelles et le partage des richesses qu’on peut en tirer.
Le premier forum sur la science s’est tenu, il y a seulement deux ans. Ne pensez-vous pas que les acteurs de la recherche scientifique se sont rapprochés un peu tardivement ?
On a constaté qu’il y avait beaucoup de chercheurs qui participaient aux forums sociaux mondiaux mais ils venaient plus en tant que militants. Il a fallu qu’il y ait quelques impasses au niveau de ces forums, notamment à Nairobi, pour que certains fassent un appel pour l’organisation d’un forum sur la science. Maintenant, ce que nous cherchons c’est de renforcer la dynamique du Forum social mondial en termes de pertinence par les résultats que nous avons avec le forum mondial sciences et démocratie pour voir comment nous allons renforcer la maîtrise des enjeux par les acteurs des mouvements sociaux. C’est comme cela qu’ils pourront mieux peser sur les décisions. Le forum mondial sciences et démocratie est né un peu plus tard. Mais, c’est venu en complément et ça vise à nourrir le forum social parce qu’on rencontre différents types d’acteurs dans notre forum. Cela nous permet d’avoir des débats plus ouverts pour remettre en cause nos positions. Donc le Forum mondial sciences et démocratie est autonome, mais peut conforter le Forum social mondial sur certaines dimensions.
Propos recueillis par Yacine CISSE
Wal Fadjri
Wal Fadjri : Durant deux jours, les participants au deuxième Forum mondial sciences et démocratie (Fmsd) ont discuté de plusieurs thèmes qui ont trait à la science. Pouvez-vous revenir sur les contenus des débats ?
Moussa MBAYE : Il y a eu les plénières sur les sciences pour voir comment elles peuvent nous permettre de comprendre les crises qui secouent le monde actuellement parce que nous pensons qu’il faut que les citoyens discutent de la science. Contrairement à ce qui est prétendu, la base des sciences actuelles, qu’elles soient des sciences dures ou des sciences sociales, ce sont des dogmes, des opinions et de la métaphysique. Les débats étaient ouverts et nous avons choisi un certain nombre de questions comme la responsabilité sociale, éthique et politique des chercheurs, comment bâtir des synergies entre chercheurs, décideurs et acteurs sociaux et la question des biens communs de la connaissance. Le problème des universités au 21e siècle a été aussi posé et discuté mais aussi l’utilisation des langues dans la science parce que nous voulons que la science soit dite dans plusieurs langues et pas dans quelques langues seulement. Nous avons parlé de l’éducation de la science, de la fuite ou du drainage des cerveaux parce que certains pays captent les ressources humaines d’autres pays et cela démontre une certaine forme de domination. La liste n’est pas épuisée. Nous avons discuté de beaucoup d’autres sujets à travers les ateliers. Nous avons essayé de récapituler les éléments transversaux pour approfondir la réflexion et le dialogue et commencer à voir les lieux d’actions et identifier les évènements phares pour les alliances qui peuvent être construites après Dakar.
Quels enseignements tirez-vous des résultats de vos travaux ?
Le premier enseignement, c’est la richesse des débats grâce à la diversité des gens qui sont venus. Nous avons appris beaucoup de choses et cela donne des perspectives à chacun, au niveau de nos organisations, dans chaque continent et l’Afrique en particulier. Nous avons posé le débat de la citoyenneté pour voir comment mettre en perspective la science et la technologie au bénéfice d’un monde vivable, convivial et non plus au profit de quelques-uns pour des raisons économiques au détriment de la planète. Donc, ce moment d’échanges était important et a renforcé la confiance entre les acteurs de la recherche de quelque bord qu’ils soient et ceux qui sont engagés dans le changement politique et social dans le mouvement associatif. Il y a certaines questions qu’on doit pouvoir discuter ensemble pour que les mouvements sociaux aient un meilleur impact sur les décisions qui seront prises dans le monde.
Pouvez-vous nous faire l’état des lieux sur le développement de la recherche scientifique dans le continent ?
Le fait de tenir le forum en Afrique a été un défi qui nous interpelle pour que nous puissions parler de notre place dans la science. Sommes-nous seulement des spectateurs et des consommateurs ? Le constat est que, en terme de science, nous n’avons pas encore vu nos sociétés ni nos leaders en faire un élément stratégique. Or, la science est incontournable pour exister dans le monde qui advient. Les sommes qui sont investies dans le domaine de la science sont insignifiantes. L’ensemble des questions qui bloquent le devenir de l’Afrique, que ce soit l’eau, l’énergie, la sécurité alimentaire, méritent des choix pour savoir ce que nous voulons en matière de science, de technologie et de savoir en général. Il faut qu’on se réveille et cela va passer par des initiatives de ce genre pour que nous puissions exister de par nous-mêmes. Nous ne devons pas être des acteurs de seconde zone qui consomment seulement ce que font les autres. Il faut faire naître des initiatives communes pour que les acteurs se connaissent. Il faut que tout le monde s’engage et cherche des partenariats pour faire venir les Africains de tous bords qui sont porteurs de quelque chose. Ce que nous avons essayé de faire, c’est d’identifier les porteurs d’initiatives au niveau des acteurs des recherches scientifiques, des mouvements sociaux pour partager nos idées, amener la prise de conscience et susciter des liens et des réseaux pour que la société civile parvienne à mobiliser les acteurs comme les gouvernements. C’est ce que nous voulons pour l’après-Dakar. Dans les autres régions, les associations sont assez structurées. Nous, Africains, nous devons aussi nous structurer et avoir nos propres initiatives et porter notre politique à côté des autres.
Vous voulez que l’Afrique soit plus présente dans le monde scientifique mais on a remarqué qu’il y a eu plus de non-Africains que d’Africains à ce forum…
Justement, nous prenons le train en marche. On s’est dit que le premier forum s’est tenu sans nous. Le second, nous l’avons accueilli et nous nous sommes dit que nous devrions être présent en quantité et en qualité. Mais, vous constatez que nous avons encore du chemin à faire puisque nos acteurs ne considèrent pas encore la dimension stratégique et la place des sciences. Pour que notre communauté scientifique puisse avoir les moyens pour apporter des solutions à nos problèmes, il faudra nous mobiliser. Il y a eu des acquis, mais c’est largement insuffisant. Et ceux qui sont venus des autres continents, ils ont payé leurs billets d’avions, ils se prennent en charge durant leur séjour à Dakar. Nous interpellons les membres des comités scientifiques qui sont dans les facultés, les organisations non gouvernementales et les mouvements sociaux. Les sciences ne sont pas des questions théoriques. Ce sont des questions qui engagent notre survie. Si nous ne nous positionnons pas, l’Afrique restera à la traîne. Nous espérons qu’il y aura une forte mobilisation. Il est prouvé que l’Afrique, dans le passé, a été porteuse de sciences et c’est à la jeune génération de créer la différence parce qu’on est dans un monde globalisé. Il faut que les jeunes Africains prennent leurs places à côté des jeunes Américains, Chinois, Indiens et autres. Et rien ne leur sera facilité s’ils ne prennent pas eux-mêmes les choses en main parce que nous avons lâché l’affaire.
Donc depuis le premier forum qui a eu lieu à Bélem au Brésil en 2009, vous n’avez pas constaté un changement palpable ?
On a constaté que la question des sciences et des techniques était faiblement prise en charge en termes de réflexion mais aussi en termes d’utilisation des savoirs acquis dans ce domaine pour comprendre le monde actuel et poser les changements recherchés. Des initiatives parallèles commencent à naître surtout en Europe. Donc nous commençons à voir une meilleure prise en charge des questions scientifiques et techniques par tous les acteurs des mouvements sociaux Alors, il y a eu une petite évolution. Maintenant, ce que nous cherchons à construire à partir de Dakar, ce sont des agendas communs et des actions communes parce que cela va de pair. Ensemble, mouvements sociaux et acteurs de la recherche, il faut que nous travaillions en commun pour pouvoir apporter des changements. C’est cet agenda qui se profile à l’horizon avec un point fort autour de Rio+20 parce que le sommet de la Terre s’était tenu à Rio en 1992. Il va y avoir des événements importants, il faut que nous essayions de voir comment nous pouvons impacter, éveiller, alerter et édifier les gens sur l’importance des sciences pour résoudre les impasses dans lesquelles nous nous sommes mis. Cela nous permettra d’avoir une autre manière d’utilisation des ressources naturelles et le partage des richesses qu’on peut en tirer.
Le premier forum sur la science s’est tenu, il y a seulement deux ans. Ne pensez-vous pas que les acteurs de la recherche scientifique se sont rapprochés un peu tardivement ?
On a constaté qu’il y avait beaucoup de chercheurs qui participaient aux forums sociaux mondiaux mais ils venaient plus en tant que militants. Il a fallu qu’il y ait quelques impasses au niveau de ces forums, notamment à Nairobi, pour que certains fassent un appel pour l’organisation d’un forum sur la science. Maintenant, ce que nous cherchons c’est de renforcer la dynamique du Forum social mondial en termes de pertinence par les résultats que nous avons avec le forum mondial sciences et démocratie pour voir comment nous allons renforcer la maîtrise des enjeux par les acteurs des mouvements sociaux. C’est comme cela qu’ils pourront mieux peser sur les décisions. Le forum mondial sciences et démocratie est né un peu plus tard. Mais, c’est venu en complément et ça vise à nourrir le forum social parce qu’on rencontre différents types d’acteurs dans notre forum. Cela nous permet d’avoir des débats plus ouverts pour remettre en cause nos positions. Donc le Forum mondial sciences et démocratie est autonome, mais peut conforter le Forum social mondial sur certaines dimensions.
Propos recueillis par Yacine CISSE
Wal Fadjri