La dimension sociale de l’entreprise préoccupe beaucoup Jean Loup Feltz, le conseiller du Directeur général de l’Agence française de développement (Afd) à Paris. Invité au forum francophone des dirigeants et chefs d’entreprise sur les bonnes pratiques de la responsabilité sociale des entreprises (Rse) qui s’est tenu à Dakar mardi dernier, sous l’égide de l’ambassade du Canada au Sénégal et du réseau ‘Rse-Sénégal’, M. Feltz a demandé à ces derniers de faire attention au reclassement de leurs salariés qui seront appelés à être licenciés à cause de la crise financière internationale et au maintien de leurs bonnes conditions de vie. Dans l’entretien qu’il nous a accordé en marge de cette rencontre, il a attiré l’attention des patrons sur le contenu évolutif de la Rse qui sera accentué dans les mois et années à venir par la crise.
Wal Fadjri : Quel regard portez-vous sur le concept de responsabilité sociale de l’entreprise (Rse) au Sénégal ?
Jean Loup FELTZ : Je suis au Sénégal pour m'informer concrètement des projets d'innovation sociale et environnementale qui sont mis en place par les entreprises. Tout ce que j'ai entendu aujourd'hui (témoignages de chefs d'entreprises sur la Rse lors du forum tenu à Dakar mardi dernier, Ndlr) confirme quelque chose qu'on observe également dans les pays développés. C'est que les entreprises privées font beaucoup de choses qui relèvent de la Rse et qu'en principe, elles ne seraient pas obligées de faire. En effet, la simple bonne gestion, la simple exploitation de leur société ne les oblige pas à développer certains types d'actions qui améliorent les conditions de vie des populations. Aujourd'hui au Sénégal, les entreprises ont pris conscience de leur rôle sociétal, c'est-à-dire du rôle qu'elles ont vis-à-vis de la société qui les entoure et qui est dans leur périphérie immédiate. Au Sénégal, je trouve que les entreprises mènent des actions Rse assez exemplaires. Elles font des actions qui ont un véritable impact sur l'amélioration des conditions de travail des employés et des conditions de vie des populations ainsi que l'amélioration de leur environnement. Il y en a même certaines de ces actions qui sont porteuses d'avenir.
Wal Fadjri : Les actions des entreprises se résument généralement à la construction de forages, de salles de classe, aux soins médicaux gratuits, etc. Ces actions sont-elles suffisantes pour l'amélioration des conditions de vie des populations ?
Jean Loup FELTZ : Il ne faut pas uniquement regarder l'action physique. Il faut regarder son impact. Vous avez des actions physiques qui sont banales, comme changer le mode de chauffage dans une entreprise. Cette action peut avoir un impact important sur l'environnement, sur la diminution du Co2 (gaz carbonique). Dans les pays comme la Chine qui sont très pollués, il est clair que ce type d’action est déterminant pour l'avenir des Chinois. Il faut regarder les actions non seulement sur le plan physique, mais aussi sur l'environnement, sur les populations pour savoir exactement si ce sont de bonnes pratiques de Rse.
Wal Fadjri : Quels conseils donnerez-vous aux dirigeants et chefs d'entreprise sénégalais pour la mise en œuvre de bonnes pratiques de Rse ?
Jean Loup FELTZ : Je n'ai aucun conseil à donner au Sénégal. Je trouve que la prise de conscience de la Rse est très avancée au Sénégal. Et elle est pratiquement aussi avancée que dans certains pays du Nord. Le seul conseil que je peux leur donner, c'est de continuer comme ils ont commencé parce que je trouve que c'est exemplaire. Mais, quand on participe comme moi à des travaux de recherche sur la Rse dans des pays comme la France ou dans des régions comme l'Europe, on se rend compte qu’elle a un contenu évolutif et qu'elle va beaucoup évoluer dans les mois et années qui viennent. Et la crise financière et économique internationale va contribuer à une évolution plus forte et plus rapide. Soyons attentifs à ce qui est en train de se passer. Des entreprises vont devoir licencier à cause de cette crise. Il faudra nécessairement qu'elles fassent attention au reclassement de leurs salariés, au maintien de bonnes conditions de vie pour ces derniers mêmes s'ils sont licenciés. Il y a des moments où vous ne pouvez pas faire autrement pour assurer la survie de l'entreprise.
La crise sera un révélateur de la façon dont on va gérer la Rse. Elle va, par ailleurs, créer de plus en plus de besoins de compétitions, de compétitivité puisque beaucoup d'entreprises sont en situation difficile. Quand nous allons sortir de la crise d'ici un à deux ans, les entreprises vont encore se battre plus pour récupérer leurs parts de marché. Il ne faut pas que l'homme, que l'environnement soient subordonnés au critère du profit ou du critère financier. Au contraire, il faut accroître la Rse, la conscientisation de la Rse dans les mois qui viennent pour que l'homme ne soit pas oublié dans la sortie de crise.
Il sera d’ailleurs important de pouvoir évaluer. Des cabinets vont se créer pour évaluer les performances de la Rse d'une entreprise. Et le développement de ce type d’évaluation par des cabinets spécialisés est salutaire. C'est très important pour l'opinion publique de savoir qu'il y a des critères très approfondis qui vont permettre de vérifier que les entreprises ne racontent pas n'importe quoi dans leur communication. Or, il faut aussi des gens qui puissent dire non.
Wal Fadjri : Quel soutien financier l'Agence française de développement (Afd) peut-elle apporter aux entreprises sénégalaises qui sont dans une dynamique de bonnes pratiques de la Rse ?
Jean Loup FELTZ : Nous sommes déjà intervenus sur plusieurs projets environnementaux comme l’assainissement de la Baie de Hann, et sur des projets d'entreprise, avec les Ciments du Sahel par exemple. Ce n'est pas seulement aujourd'hui que nous avons commencé à faire de la Rse au Sénégal. Sachez que le Directeur général de l'Afd est, depuis quelques années, très sensibilisé sur cette question. Nos propres diligences Rse dans les projets, les programmes et les opérations que nous finançons, nous obligent à un suivi très rapproché que nous intégrons dans toutes nos actions et dans toutes nos opérations au Sénégal comme ailleurs. Et que nous n'avons pas l'intention de diminuer ou de réduire la voilure sur le domaine de la Rse. Au contraire, il faut l'augmenter.
Wal Fadjri : Quellle est l'expérience de l'Afd en matière de Rse ?
Jean Loup FELTZ : Les racines de la Rse sont anciennes. Mais telle qu'on la voit aujourd'hui dans la littérature publique ou privée et dans les actions des entreprises, c’est un concept relativement récent. Le groupe Afd, c'est-à-dire l'Afd et Proparco (c'est une filiale majoritaire de l'Afd pour le financement des entreprises privées), porte, depuis le début des années 1990, une attention particulière sur les aspects sociaux et environnementaux des projets de développement que nous avons financés. Nous avons étendu cette préoccupation à tous nos projets, et notamment à toutes les entreprises que nous sommes amenés à financer soit directement, soit indirectement par l’intermédiaire des banques. Ainsi, quand nous finançons une banque pour des projets de petites et moyennes entreprises (Pme), nous laissons dans certains cas à la banque une marge qui permet de financer sur subvention les actions de Rse dans les Pme en question.
Wal Fadjri : Lors de votre intervention portant sur le financement de l'investissement Rse, vous avez mis l'accent sur les questions de transparence, de corruption, de blanchiment. Quelles sont vos préoccupations majeures dans ces domaines ?
Jean Loup FELTZ : Tous les gens qui suivent le monde des affaires au niveau mondial ou les grandes sociétés savent qu'il y a entre les systèmes judiciaires et les pratiques, notamment dans la finance internationale ou dans les grandes entreprises, une lutte qui fait que les magistrats, notamment américains et européens, se préoccupent de plus en plus de la lutte contre certains fléaux qui gangrènent l'humanité et qui peuvent faire disparaître des sociétés financières et des entreprises. Des efforts importants sont faits pour le système judiciaire qui regarde de très près la possibilité de lutter efficacement contre la corruption et contre le blanchiment d'argent notamment. De plus en plus d’outils se développent pour faire face à ces enjeux et mieux contrôler les mouvements illicites Ainsi, les outils à la disposition des entreprises pour lutter contre ces fléaux mondiaux s'accentuent, s'affinent, s'approfondissent. Et les grandes entreprises, sous la pression de l'opinion publique et du système judiciaire, mettent en place de plus en plus, à l'intérieur de chez elles, au sein de leur structure, toute une organisation qui permet de lutter efficacement contre la corruption ou le blanchiment d'argent et qui permet aux salariés de l'entreprise de dénoncer certaines actions frauduleuses...
Wal Fadjri : Avez-vous chiffré l'impact de la corruption et du blanchiment ?
Jean Loup FELTZ : Par définition, l'impact de la corruption et du blanchiment est très difficile à chiffrer. Il peut y avoir de la corruption qui n'est jamais dévoilée. Aujourd'hui, il y a de très grandes entreprises qui, pour une petite action, se retrouvent finalement devant les tribunaux et sont condamnées à des amendes très importantes. C'est un risque de plus en plus important pour l'entreprise. Et on peut se prémunir de ce risque grâce à des outils et des méthodes de contrôle efficaces.
Wal Fadjri : Quelles sont les dispositions prises par l'Afd pour faire face à ces fléaux ?
Jean Loup FELTZ : Depuis une vingtaine d'années, nous suivons de très près nos financements avec des procédures très rigoureuses qui nous permettent de savoir exactement où va notre argent. Nous suivons également les comportements et les réglementations qui permettent de mettre au point les appels d'offres parce que nous sommes amenés à financer. Et nous avons dans nos dispositions contractuelles avec les maîtres d'ouvrage public en ce qui concerne l'Afd et les maîtres d'ouvrage privé, en ce qui concerne Proparco, des dispositions spécifiques pour s’assurer qu’à chaque étape clé d’un projet, les règles de bonnes gouvernances sont respectées. Et nous nous appuyons pour cela sur un réseau d'agences très important qui est disséminé dans le monde entier dans toutes nos zones d'intervention et qui nous permet de suivre de très près tout ce que nous finançons.
Wal Fadjri : Etes-vous parvenus à prendre des entreprises la main dans le sac ?
Jean Loup FELTZ : Nous ne sommes pas dans une logique de sanction systématique. Nous sommes là pour promouvoir l'action. Si à l'occasion de ces actions ou de ces opérations, il y a des comportements non vertueux, nous intervenons. Nous avons les moyens d'intervenir. Cela n’arrive pas tous les jours. C'est même plutôt rare, sporadique. D'ailleurs, nous avons des procédures très simples qui permettent à n'importe qui de nous prévenir tout de suite si, jamais, il y a quelque chose qui ne va pas. Les bailleurs de fonds ont tous ce type de procédures et, souvent, nous sommes en co-financement. Ce que nous finançons est bien encadré.
Wal Fadjri : Comment percevez-vous le secteur privé en général ?
Jean Loup FELTZ : Le développement, la croissance économique, tout ce qui donne aux citoyens ou habitants d'un pays la possibilité d'être non plus des êtres de besoin, mais des êtres de désir, repose sur la capacité d’un pays à créer sa propre richesse. Et ce sont bien les entreprises privées la principale source de valeur ajoutée primaire dans le monde, qui sont créatrices d’emploi et de richesse. Le secteur privé est donc une priorité pour le développement et la croissance économique d’un pays et un interlocuteur indispensable pour un bailleur comme l’Afd.
Aujourd'hui, nous sommes dans une crise. Nous essayons de faire en sorte qu'elle soit productive pour une nouvelle croissance, pour une nouvelle société mondiale, pour une nouvelle humanité. Elle peut se traduire par des initiatives privées qui sont prises dans de nouveaux domaines technologique, environnemental, financier. Aujourd'hui, les Etats font beaucoup d'efforts avec les organisations internationales pour favoriser les initiatives privées. L'Afd y prend sa part. Le secteur privé est aujourd'hui le plus sûr garant de la promotion de la croissance économique dans les pays. Et au Sénégal en particulier, où l’appui au secteur privé constitue notre premier axe stratégique d’intervention.
Wal Fadjri : Quels sont les problèmes auxquels vous êtes confrontés avec vos clients ?
Jean Loup FELTZ : En général, les problèmes sont de différentes natures. Le premier problème est celui des études. Les études de faisabilité que les gens font, sont souvent lacunaires, elles oublient de prendre en compte certains aspects. Elles manquent toujours de quelque chose comme le régime fiscal d'importation. Le deuxième problème est ce que l'on peut appeler le couple produit-marché. Des entrepreneurs se lancent, mais sans que l'étude du produit ait montré que ça peut s'adapter à un marché durable. Ils n'ont pas suffisamment analysé le couple produit-marché. Le problème financier est la troisième cause de difficultés. Il faut savoir que, souvent, les entreprises privées manquent de fonds de propres, c'est-à-dire d'argent qu'elles pourront rémunérer sur la durée au lieu de payer des intérêts tout de suite. Donc ça allège leur trésorerie Elles se retrouvent ainsi à emprunter à des taux atteignant parfois 20 %. C'est trop. Elles sont étranglées par les frais financiers dans les cinq premières années et elles sont obligées de s'arrêter. La quatrième cause est externe à l'entreprise. Une dévaluation monétaire ou une réglementation douanière ou fiscale qui change, pénalise l'entreprise. Ou bien il y a un retournement de coût sur les marchés comme ceux auxquels on a pu assister cette année. Ce sont autant de facteurs non favorables au développement du projet.
Wal Fadjri : Quelles sont vos perspectives ?
Jean Loup FELTZ : Le groupe Afd a connu une croissance très forte depuis une dizaine d'années. Cette croissance va se poursuivre. L'Afd a vu son champ de compétences se développer. Et nous avons aujourd'hui une panoplie d'outils qui va nous permettre de faire encore plus pour le développement des pays ou des entreprises qui sont dans notre zone d'intervention. Les besoins de financement dans le monde et de financement adapté surtout à long terme sont de plus en plus importants. Nous allons suivre le mouvement si les autorités françaises nous en donnent les moyens. Et c'est ce qu'elles font pour l'instant.
Wal Fadjri
Wal Fadjri : Quel regard portez-vous sur le concept de responsabilité sociale de l’entreprise (Rse) au Sénégal ?
Jean Loup FELTZ : Je suis au Sénégal pour m'informer concrètement des projets d'innovation sociale et environnementale qui sont mis en place par les entreprises. Tout ce que j'ai entendu aujourd'hui (témoignages de chefs d'entreprises sur la Rse lors du forum tenu à Dakar mardi dernier, Ndlr) confirme quelque chose qu'on observe également dans les pays développés. C'est que les entreprises privées font beaucoup de choses qui relèvent de la Rse et qu'en principe, elles ne seraient pas obligées de faire. En effet, la simple bonne gestion, la simple exploitation de leur société ne les oblige pas à développer certains types d'actions qui améliorent les conditions de vie des populations. Aujourd'hui au Sénégal, les entreprises ont pris conscience de leur rôle sociétal, c'est-à-dire du rôle qu'elles ont vis-à-vis de la société qui les entoure et qui est dans leur périphérie immédiate. Au Sénégal, je trouve que les entreprises mènent des actions Rse assez exemplaires. Elles font des actions qui ont un véritable impact sur l'amélioration des conditions de travail des employés et des conditions de vie des populations ainsi que l'amélioration de leur environnement. Il y en a même certaines de ces actions qui sont porteuses d'avenir.
Wal Fadjri : Les actions des entreprises se résument généralement à la construction de forages, de salles de classe, aux soins médicaux gratuits, etc. Ces actions sont-elles suffisantes pour l'amélioration des conditions de vie des populations ?
Jean Loup FELTZ : Il ne faut pas uniquement regarder l'action physique. Il faut regarder son impact. Vous avez des actions physiques qui sont banales, comme changer le mode de chauffage dans une entreprise. Cette action peut avoir un impact important sur l'environnement, sur la diminution du Co2 (gaz carbonique). Dans les pays comme la Chine qui sont très pollués, il est clair que ce type d’action est déterminant pour l'avenir des Chinois. Il faut regarder les actions non seulement sur le plan physique, mais aussi sur l'environnement, sur les populations pour savoir exactement si ce sont de bonnes pratiques de Rse.
Wal Fadjri : Quels conseils donnerez-vous aux dirigeants et chefs d'entreprise sénégalais pour la mise en œuvre de bonnes pratiques de Rse ?
Jean Loup FELTZ : Je n'ai aucun conseil à donner au Sénégal. Je trouve que la prise de conscience de la Rse est très avancée au Sénégal. Et elle est pratiquement aussi avancée que dans certains pays du Nord. Le seul conseil que je peux leur donner, c'est de continuer comme ils ont commencé parce que je trouve que c'est exemplaire. Mais, quand on participe comme moi à des travaux de recherche sur la Rse dans des pays comme la France ou dans des régions comme l'Europe, on se rend compte qu’elle a un contenu évolutif et qu'elle va beaucoup évoluer dans les mois et années qui viennent. Et la crise financière et économique internationale va contribuer à une évolution plus forte et plus rapide. Soyons attentifs à ce qui est en train de se passer. Des entreprises vont devoir licencier à cause de cette crise. Il faudra nécessairement qu'elles fassent attention au reclassement de leurs salariés, au maintien de bonnes conditions de vie pour ces derniers mêmes s'ils sont licenciés. Il y a des moments où vous ne pouvez pas faire autrement pour assurer la survie de l'entreprise.
La crise sera un révélateur de la façon dont on va gérer la Rse. Elle va, par ailleurs, créer de plus en plus de besoins de compétitions, de compétitivité puisque beaucoup d'entreprises sont en situation difficile. Quand nous allons sortir de la crise d'ici un à deux ans, les entreprises vont encore se battre plus pour récupérer leurs parts de marché. Il ne faut pas que l'homme, que l'environnement soient subordonnés au critère du profit ou du critère financier. Au contraire, il faut accroître la Rse, la conscientisation de la Rse dans les mois qui viennent pour que l'homme ne soit pas oublié dans la sortie de crise.
Il sera d’ailleurs important de pouvoir évaluer. Des cabinets vont se créer pour évaluer les performances de la Rse d'une entreprise. Et le développement de ce type d’évaluation par des cabinets spécialisés est salutaire. C'est très important pour l'opinion publique de savoir qu'il y a des critères très approfondis qui vont permettre de vérifier que les entreprises ne racontent pas n'importe quoi dans leur communication. Or, il faut aussi des gens qui puissent dire non.
Wal Fadjri : Quel soutien financier l'Agence française de développement (Afd) peut-elle apporter aux entreprises sénégalaises qui sont dans une dynamique de bonnes pratiques de la Rse ?
Jean Loup FELTZ : Nous sommes déjà intervenus sur plusieurs projets environnementaux comme l’assainissement de la Baie de Hann, et sur des projets d'entreprise, avec les Ciments du Sahel par exemple. Ce n'est pas seulement aujourd'hui que nous avons commencé à faire de la Rse au Sénégal. Sachez que le Directeur général de l'Afd est, depuis quelques années, très sensibilisé sur cette question. Nos propres diligences Rse dans les projets, les programmes et les opérations que nous finançons, nous obligent à un suivi très rapproché que nous intégrons dans toutes nos actions et dans toutes nos opérations au Sénégal comme ailleurs. Et que nous n'avons pas l'intention de diminuer ou de réduire la voilure sur le domaine de la Rse. Au contraire, il faut l'augmenter.
Wal Fadjri : Quellle est l'expérience de l'Afd en matière de Rse ?
Jean Loup FELTZ : Les racines de la Rse sont anciennes. Mais telle qu'on la voit aujourd'hui dans la littérature publique ou privée et dans les actions des entreprises, c’est un concept relativement récent. Le groupe Afd, c'est-à-dire l'Afd et Proparco (c'est une filiale majoritaire de l'Afd pour le financement des entreprises privées), porte, depuis le début des années 1990, une attention particulière sur les aspects sociaux et environnementaux des projets de développement que nous avons financés. Nous avons étendu cette préoccupation à tous nos projets, et notamment à toutes les entreprises que nous sommes amenés à financer soit directement, soit indirectement par l’intermédiaire des banques. Ainsi, quand nous finançons une banque pour des projets de petites et moyennes entreprises (Pme), nous laissons dans certains cas à la banque une marge qui permet de financer sur subvention les actions de Rse dans les Pme en question.
Wal Fadjri : Lors de votre intervention portant sur le financement de l'investissement Rse, vous avez mis l'accent sur les questions de transparence, de corruption, de blanchiment. Quelles sont vos préoccupations majeures dans ces domaines ?
Jean Loup FELTZ : Tous les gens qui suivent le monde des affaires au niveau mondial ou les grandes sociétés savent qu'il y a entre les systèmes judiciaires et les pratiques, notamment dans la finance internationale ou dans les grandes entreprises, une lutte qui fait que les magistrats, notamment américains et européens, se préoccupent de plus en plus de la lutte contre certains fléaux qui gangrènent l'humanité et qui peuvent faire disparaître des sociétés financières et des entreprises. Des efforts importants sont faits pour le système judiciaire qui regarde de très près la possibilité de lutter efficacement contre la corruption et contre le blanchiment d'argent notamment. De plus en plus d’outils se développent pour faire face à ces enjeux et mieux contrôler les mouvements illicites Ainsi, les outils à la disposition des entreprises pour lutter contre ces fléaux mondiaux s'accentuent, s'affinent, s'approfondissent. Et les grandes entreprises, sous la pression de l'opinion publique et du système judiciaire, mettent en place de plus en plus, à l'intérieur de chez elles, au sein de leur structure, toute une organisation qui permet de lutter efficacement contre la corruption ou le blanchiment d'argent et qui permet aux salariés de l'entreprise de dénoncer certaines actions frauduleuses...
Wal Fadjri : Avez-vous chiffré l'impact de la corruption et du blanchiment ?
Jean Loup FELTZ : Par définition, l'impact de la corruption et du blanchiment est très difficile à chiffrer. Il peut y avoir de la corruption qui n'est jamais dévoilée. Aujourd'hui, il y a de très grandes entreprises qui, pour une petite action, se retrouvent finalement devant les tribunaux et sont condamnées à des amendes très importantes. C'est un risque de plus en plus important pour l'entreprise. Et on peut se prémunir de ce risque grâce à des outils et des méthodes de contrôle efficaces.
Wal Fadjri : Quelles sont les dispositions prises par l'Afd pour faire face à ces fléaux ?
Jean Loup FELTZ : Depuis une vingtaine d'années, nous suivons de très près nos financements avec des procédures très rigoureuses qui nous permettent de savoir exactement où va notre argent. Nous suivons également les comportements et les réglementations qui permettent de mettre au point les appels d'offres parce que nous sommes amenés à financer. Et nous avons dans nos dispositions contractuelles avec les maîtres d'ouvrage public en ce qui concerne l'Afd et les maîtres d'ouvrage privé, en ce qui concerne Proparco, des dispositions spécifiques pour s’assurer qu’à chaque étape clé d’un projet, les règles de bonnes gouvernances sont respectées. Et nous nous appuyons pour cela sur un réseau d'agences très important qui est disséminé dans le monde entier dans toutes nos zones d'intervention et qui nous permet de suivre de très près tout ce que nous finançons.
Wal Fadjri : Etes-vous parvenus à prendre des entreprises la main dans le sac ?
Jean Loup FELTZ : Nous ne sommes pas dans une logique de sanction systématique. Nous sommes là pour promouvoir l'action. Si à l'occasion de ces actions ou de ces opérations, il y a des comportements non vertueux, nous intervenons. Nous avons les moyens d'intervenir. Cela n’arrive pas tous les jours. C'est même plutôt rare, sporadique. D'ailleurs, nous avons des procédures très simples qui permettent à n'importe qui de nous prévenir tout de suite si, jamais, il y a quelque chose qui ne va pas. Les bailleurs de fonds ont tous ce type de procédures et, souvent, nous sommes en co-financement. Ce que nous finançons est bien encadré.
Wal Fadjri : Comment percevez-vous le secteur privé en général ?
Jean Loup FELTZ : Le développement, la croissance économique, tout ce qui donne aux citoyens ou habitants d'un pays la possibilité d'être non plus des êtres de besoin, mais des êtres de désir, repose sur la capacité d’un pays à créer sa propre richesse. Et ce sont bien les entreprises privées la principale source de valeur ajoutée primaire dans le monde, qui sont créatrices d’emploi et de richesse. Le secteur privé est donc une priorité pour le développement et la croissance économique d’un pays et un interlocuteur indispensable pour un bailleur comme l’Afd.
Aujourd'hui, nous sommes dans une crise. Nous essayons de faire en sorte qu'elle soit productive pour une nouvelle croissance, pour une nouvelle société mondiale, pour une nouvelle humanité. Elle peut se traduire par des initiatives privées qui sont prises dans de nouveaux domaines technologique, environnemental, financier. Aujourd'hui, les Etats font beaucoup d'efforts avec les organisations internationales pour favoriser les initiatives privées. L'Afd y prend sa part. Le secteur privé est aujourd'hui le plus sûr garant de la promotion de la croissance économique dans les pays. Et au Sénégal en particulier, où l’appui au secteur privé constitue notre premier axe stratégique d’intervention.
Wal Fadjri : Quels sont les problèmes auxquels vous êtes confrontés avec vos clients ?
Jean Loup FELTZ : En général, les problèmes sont de différentes natures. Le premier problème est celui des études. Les études de faisabilité que les gens font, sont souvent lacunaires, elles oublient de prendre en compte certains aspects. Elles manquent toujours de quelque chose comme le régime fiscal d'importation. Le deuxième problème est ce que l'on peut appeler le couple produit-marché. Des entrepreneurs se lancent, mais sans que l'étude du produit ait montré que ça peut s'adapter à un marché durable. Ils n'ont pas suffisamment analysé le couple produit-marché. Le problème financier est la troisième cause de difficultés. Il faut savoir que, souvent, les entreprises privées manquent de fonds de propres, c'est-à-dire d'argent qu'elles pourront rémunérer sur la durée au lieu de payer des intérêts tout de suite. Donc ça allège leur trésorerie Elles se retrouvent ainsi à emprunter à des taux atteignant parfois 20 %. C'est trop. Elles sont étranglées par les frais financiers dans les cinq premières années et elles sont obligées de s'arrêter. La quatrième cause est externe à l'entreprise. Une dévaluation monétaire ou une réglementation douanière ou fiscale qui change, pénalise l'entreprise. Ou bien il y a un retournement de coût sur les marchés comme ceux auxquels on a pu assister cette année. Ce sont autant de facteurs non favorables au développement du projet.
Wal Fadjri : Quelles sont vos perspectives ?
Jean Loup FELTZ : Le groupe Afd a connu une croissance très forte depuis une dizaine d'années. Cette croissance va se poursuivre. L'Afd a vu son champ de compétences se développer. Et nous avons aujourd'hui une panoplie d'outils qui va nous permettre de faire encore plus pour le développement des pays ou des entreprises qui sont dans notre zone d'intervention. Les besoins de financement dans le monde et de financement adapté surtout à long terme sont de plus en plus importants. Nous allons suivre le mouvement si les autorités françaises nous en donnent les moyens. Et c'est ce qu'elles font pour l'instant.
Wal Fadjri