La décentralisation est d'actualité dans un grand nombre de pays africains et le Ministère de la Coopération est sollicité pour donner son appui technique et financier à ce processus. Sa politique est pour le moment en cours d'élaboration (groupe de réflexion, premières réalisations) et il parait donc important d'ouvrir un débat public sur ce thème.
A priori la décentralisation est une réforme intéressante
Elle répond à plusieurs motivations, qui sont souvent portées par des acteurs différents : les Etats eux mêmes, les populations concernées et leurs représentants, les ONG et les divers types de coopérations.
* La décentralisation peut favoriser la "mobilisation" ou la "participation" des populations en vue d'un développement à la base durable.
* La décentralisation peut permettre l'approfondissement et l'enracinement de la démocratie au niveau local.
* La décentralisation peut aboutir à une restructuration et à une religitimation de l'Etat, fort contesté actuellement par ses pratiques et par l'idéologie libérale ambiante.
Les liaisons entre décentralisation, développement local, démocratie et restructuration de l'Etat sont donc affirmées et à priori personne ne peut être contre ces objectifs ni suspecter la bonne foi des décideurs. La décentralisation, demandée par les Etats, devrait donc être un des axes importants de la politique de coopération française.
Mais, les textes actuellement en discussion, les premières réalisations et les réactions des populations montrent cependant que les modalités pratiques prévues pour la décentralisation risquent fort d'aller à l'encontre des objectifs prévus.
Nos inquiétudes portent sur les points suivants :
* a. La décentralisation est pour le moment initiée du sommet et souvent imposée aux populations. La première étape du processus est d'élaborer un cadre juridique et réglementaire, fixant les compétences des collectivités territoriales, les modalités de découpage, les instances de décision, de gestion et de contrôle. Il s'agit ensuite d'expliquer aux populations les textes établis ou de les consulter sur des points mineurs. La participation, officiellement avancée, est donc très réduite et les populations restent méfiantes vis à vis d'une nouvelle réforme provenant de l'extérieur.
* b. La décentralisation risque fort d'être un transfert du ou des modèles européens de la commune ou de la région. Même si tout le monde dit rechercher des adaptations, l'essentiel de l'architecture des réformes fait de larges emprunts à ces modèles. Ce risque de transfert peut être facilité par la formation à l'esprit juridique francophone de nombreux cadres africains et par le recours à la coopération décentralisée. Celle-ci peut être précieuse pour son expérience concrète des problèmes mais elle peut aussi avoir des effets très pervers, si ses agents sont insuffisamment préparés à tenir compte d'un contexte différent.
Par ailleurs la recherche de la viabilité financière des collectivités territoriales peut conduire à des regroupements, soit disant "objectivement nécessaires", d'un nombre trop important de villages, sans cohésion socio- économiques, rendant fort incertain l'exercice de la démocratie.
* c. Malgré la diversité des situations soulignée dans les études préparatoires (grandes métropoles, villes secondaires, gros bourgs ruraux, villages, fractions nomades), il est presque toujours retenu un cadre uniforme, en principe pour renforcer l'unicité de l'Etat et l'égalité des citoyens.
* d. La décentralisation devrait en principe permettre une restructuration de l'Etat, qui devrait aboutir à un "Etat de droit", plus efficace, plus honnête et plus légitime. Mais on ne s'interroge guère sur les causes profondes du mauvais fonctionnement de l'Etat et on ne se pose pas la question sacrilège des facteurs qui épargneraient aux communes les mêmes dysfonctionnements ("corruption", confusion biens publics/biens privés, clientélisme, inefficacité...) que ceux dénoncés au niveau de l'Etat.
La position de certaines coopérations ou de certaines ONG qui voient dans la décentralisation un moyen de contourner l'Etat est également illusoire. Il n'y aura pas de décentralisation réussie contre l'Etat.
* e. Il est en général reconnu que décentralisation et développement local sont des processus proches mais distincts, qui peuvent certes s'appuyer réciproquement mais qui sont de nature différente. Le développement local est avant tout une dynamique économique et sociale voire culturelle, plus ou moins concertée, impulsée par des acteurs individuels et collectifs sur un territoire donné. Les collectivités territoriales peuvent favoriser ces initiatives, être un lieu de concertation et d'arbitrage mais elles peuvent aussi les ignorer ou chercher à les freiner, tout en continuant à assurer leur rôle de gestion d'un certain nombre de services publics.
Cependant dans les faits le risque, déjà observé, est de donner moins d'attention aux différentes formes d'appui antérieures du développement local (gestion des ressources naturelles et du terroir, centre de gestion ou de services des organisations paysannes, fonds d'investissements locaux et systèmes financiers décentralisés...) et de les remplacer par des appuis aux instances décentralisées.
* f. Une même confusion est souvent observée entre décentralisation et démocratie locale. On attend de la décentralisation une possibilité de réels débats entre les représentants des diverses couches de la population, l'apparition de nouvelles élites ou de contre pouvoirs par rapport à l'Etat central. La réalité risque d'être fort différente. Il peut y avoir confiscation de la décentralisation par le pouvoir central, émergence ou renforcement d'une bureaucratie locale, transfert de la notion rentière de l'Etat au niveau inférieur. S'il existe une démocratie réelle au niveau des quartiers, des villages, des organisations professionnelles, des associations... elle a du mal à prendre corps dans les appareils politiques existant.
Et si on s'y prenait autrement?
* a. Une institution n'est que secondairement une construction juridique. En l'absence de mouvements sociaux qui rendent nécessaires des "compromis institutionnalisés", il semble préférable de privilégier une logique fonctionnelle sur une logique institutionnelle. C'est à dire qu'il faut partir des problèmes concrets, la création et la gestion des écoles, des dispensaires, des points d'eaux, des pistes, des marchés... et voir les formes d'organisations les plus adéquates pour résoudre ces problèmes et non pas créer une organisation a priori pour les résoudre.
* b. Cette logique fonctionnelle, à partir de problèmes concrets, permet d'associer réellement les populations à la conception des collectivités locales. Les différentes têtes de chapitre d'une future loi de décentralisation (fonctions à exercer, champ géographique, modes d'organisation et de financement, articulation avec les autres niveaux...) devraient faire l'objet de débats avec les populations concernées.
Il est probable que soient alors retenus des espaces supravillageois de proximité (5 à 20 villages) ou des quartiers. Logique fonctionnelle et implication réelle des populations semblent des conditions indispensables à une transformation radicale de l'attitude des populations vis à vis de l'impôt. A partir de leurs expériences propres, il faudra encourager des formes multiples de financement, mêlant payement du contribuable et payement de l'usager, contribution en argent et en travail, taxes ordinaires et taxes extraordinaires, ressources propres et contributions extérieures.
* c. Ces nouvelles pratiques de la décentralisation, en ouvrant un large débat, devraient rencontrer les dynamiques en cours. Elles peuvent créer des opportunités, favoriser l'émergence de nouveaux acteurs, établir des lieux de concertation et de nouvelles règles. La décentralisation est d'abord un processus avant de s'institutionnaliser. Elle établira de nouvelles distinctions et de nouvelles articulations (relative indépendance, appuis réciproques, conflits, concertation, entrismes...) avec le développement local.
* d. L'articulation décentralisation/développement local devrait également permettre de poser autrement le problème de la démocratie. Trop souvent les populations, notamment en milieu rural, ont l'impression que la démocratie se limite à l'imposition de formes venues de l'extérieur (multipartisme, élections à bulletin secret, discours démagogiques et promesses multiples...) qui ont peu de rapport avec leurs problèmes concrets. Il n'est bien sûr pas question de remettre en question les acquis de ces dernières années, les conférences nationales, le multipartisme, la liberté de la presse et la tenue d'élections ni de laisser entendre que l'Afrique n'est pas mûre pour la démocratie. Mais il serait intéressant de revenir à l'esprit de la démocratie, c'est à dire le libre débat sur les problèmes principaux de populations par les populations elles mêmes, la recherche de solutions conformes à l'intérêt général et prenant en compte les désirs des minorités, le respect ensuite des décisions prises, l'arbitrage des conflits... Et de voir que malgré certaines limitations, beaucoup de sociétés africaines ont accumulé un certain nombre de pratiques culturelles allant dans le sens de ce libre débat et de la recherche d'une solution acceptable par tous, pratiques qui peuvent être modifiées, complétées, revivifiées et servir de point de départ à l'invention de formes spécifiques adaptées et de solutions endogènes.
Face à la situation analysée, l'OPCF propose:
* 1. D'ouvrir davantage la réflexion sur la décentralisation administrative menée par des groupes d'experts au sein du ministère de la Coopération, en diffusant les rapports et en favorisant le recueil de contributions d'autres acteurs intéressés (inter-réseau, institutions, etc.)
* 2. D'identifier en quoi les acteurs locaux , en France, ou au niveau communal et intercommunal (syndicats intercommunaux, porteurs de "chartes de pays " , autres) apportent des enseignements utiles à la réflexion sur la décentralisation et le développement local.
* 3. De mieux articuler les logiques institutionnelles, juridiques et instrumentalistes avec les initiatives privées collectives locales existantes (organisations paysannes, associations de ressortissants de localités, autres groupes et entreprises) pour renforcer une démocratie locale et le développement du tissu économique.
A priori la décentralisation est une réforme intéressante
Elle répond à plusieurs motivations, qui sont souvent portées par des acteurs différents : les Etats eux mêmes, les populations concernées et leurs représentants, les ONG et les divers types de coopérations.
* La décentralisation peut favoriser la "mobilisation" ou la "participation" des populations en vue d'un développement à la base durable.
* La décentralisation peut permettre l'approfondissement et l'enracinement de la démocratie au niveau local.
* La décentralisation peut aboutir à une restructuration et à une religitimation de l'Etat, fort contesté actuellement par ses pratiques et par l'idéologie libérale ambiante.
Les liaisons entre décentralisation, développement local, démocratie et restructuration de l'Etat sont donc affirmées et à priori personne ne peut être contre ces objectifs ni suspecter la bonne foi des décideurs. La décentralisation, demandée par les Etats, devrait donc être un des axes importants de la politique de coopération française.
Mais, les textes actuellement en discussion, les premières réalisations et les réactions des populations montrent cependant que les modalités pratiques prévues pour la décentralisation risquent fort d'aller à l'encontre des objectifs prévus.
Nos inquiétudes portent sur les points suivants :
* a. La décentralisation est pour le moment initiée du sommet et souvent imposée aux populations. La première étape du processus est d'élaborer un cadre juridique et réglementaire, fixant les compétences des collectivités territoriales, les modalités de découpage, les instances de décision, de gestion et de contrôle. Il s'agit ensuite d'expliquer aux populations les textes établis ou de les consulter sur des points mineurs. La participation, officiellement avancée, est donc très réduite et les populations restent méfiantes vis à vis d'une nouvelle réforme provenant de l'extérieur.
* b. La décentralisation risque fort d'être un transfert du ou des modèles européens de la commune ou de la région. Même si tout le monde dit rechercher des adaptations, l'essentiel de l'architecture des réformes fait de larges emprunts à ces modèles. Ce risque de transfert peut être facilité par la formation à l'esprit juridique francophone de nombreux cadres africains et par le recours à la coopération décentralisée. Celle-ci peut être précieuse pour son expérience concrète des problèmes mais elle peut aussi avoir des effets très pervers, si ses agents sont insuffisamment préparés à tenir compte d'un contexte différent.
Par ailleurs la recherche de la viabilité financière des collectivités territoriales peut conduire à des regroupements, soit disant "objectivement nécessaires", d'un nombre trop important de villages, sans cohésion socio- économiques, rendant fort incertain l'exercice de la démocratie.
* c. Malgré la diversité des situations soulignée dans les études préparatoires (grandes métropoles, villes secondaires, gros bourgs ruraux, villages, fractions nomades), il est presque toujours retenu un cadre uniforme, en principe pour renforcer l'unicité de l'Etat et l'égalité des citoyens.
* d. La décentralisation devrait en principe permettre une restructuration de l'Etat, qui devrait aboutir à un "Etat de droit", plus efficace, plus honnête et plus légitime. Mais on ne s'interroge guère sur les causes profondes du mauvais fonctionnement de l'Etat et on ne se pose pas la question sacrilège des facteurs qui épargneraient aux communes les mêmes dysfonctionnements ("corruption", confusion biens publics/biens privés, clientélisme, inefficacité...) que ceux dénoncés au niveau de l'Etat.
La position de certaines coopérations ou de certaines ONG qui voient dans la décentralisation un moyen de contourner l'Etat est également illusoire. Il n'y aura pas de décentralisation réussie contre l'Etat.
* e. Il est en général reconnu que décentralisation et développement local sont des processus proches mais distincts, qui peuvent certes s'appuyer réciproquement mais qui sont de nature différente. Le développement local est avant tout une dynamique économique et sociale voire culturelle, plus ou moins concertée, impulsée par des acteurs individuels et collectifs sur un territoire donné. Les collectivités territoriales peuvent favoriser ces initiatives, être un lieu de concertation et d'arbitrage mais elles peuvent aussi les ignorer ou chercher à les freiner, tout en continuant à assurer leur rôle de gestion d'un certain nombre de services publics.
Cependant dans les faits le risque, déjà observé, est de donner moins d'attention aux différentes formes d'appui antérieures du développement local (gestion des ressources naturelles et du terroir, centre de gestion ou de services des organisations paysannes, fonds d'investissements locaux et systèmes financiers décentralisés...) et de les remplacer par des appuis aux instances décentralisées.
* f. Une même confusion est souvent observée entre décentralisation et démocratie locale. On attend de la décentralisation une possibilité de réels débats entre les représentants des diverses couches de la population, l'apparition de nouvelles élites ou de contre pouvoirs par rapport à l'Etat central. La réalité risque d'être fort différente. Il peut y avoir confiscation de la décentralisation par le pouvoir central, émergence ou renforcement d'une bureaucratie locale, transfert de la notion rentière de l'Etat au niveau inférieur. S'il existe une démocratie réelle au niveau des quartiers, des villages, des organisations professionnelles, des associations... elle a du mal à prendre corps dans les appareils politiques existant.
Et si on s'y prenait autrement?
* a. Une institution n'est que secondairement une construction juridique. En l'absence de mouvements sociaux qui rendent nécessaires des "compromis institutionnalisés", il semble préférable de privilégier une logique fonctionnelle sur une logique institutionnelle. C'est à dire qu'il faut partir des problèmes concrets, la création et la gestion des écoles, des dispensaires, des points d'eaux, des pistes, des marchés... et voir les formes d'organisations les plus adéquates pour résoudre ces problèmes et non pas créer une organisation a priori pour les résoudre.
* b. Cette logique fonctionnelle, à partir de problèmes concrets, permet d'associer réellement les populations à la conception des collectivités locales. Les différentes têtes de chapitre d'une future loi de décentralisation (fonctions à exercer, champ géographique, modes d'organisation et de financement, articulation avec les autres niveaux...) devraient faire l'objet de débats avec les populations concernées.
Il est probable que soient alors retenus des espaces supravillageois de proximité (5 à 20 villages) ou des quartiers. Logique fonctionnelle et implication réelle des populations semblent des conditions indispensables à une transformation radicale de l'attitude des populations vis à vis de l'impôt. A partir de leurs expériences propres, il faudra encourager des formes multiples de financement, mêlant payement du contribuable et payement de l'usager, contribution en argent et en travail, taxes ordinaires et taxes extraordinaires, ressources propres et contributions extérieures.
* c. Ces nouvelles pratiques de la décentralisation, en ouvrant un large débat, devraient rencontrer les dynamiques en cours. Elles peuvent créer des opportunités, favoriser l'émergence de nouveaux acteurs, établir des lieux de concertation et de nouvelles règles. La décentralisation est d'abord un processus avant de s'institutionnaliser. Elle établira de nouvelles distinctions et de nouvelles articulations (relative indépendance, appuis réciproques, conflits, concertation, entrismes...) avec le développement local.
* d. L'articulation décentralisation/développement local devrait également permettre de poser autrement le problème de la démocratie. Trop souvent les populations, notamment en milieu rural, ont l'impression que la démocratie se limite à l'imposition de formes venues de l'extérieur (multipartisme, élections à bulletin secret, discours démagogiques et promesses multiples...) qui ont peu de rapport avec leurs problèmes concrets. Il n'est bien sûr pas question de remettre en question les acquis de ces dernières années, les conférences nationales, le multipartisme, la liberté de la presse et la tenue d'élections ni de laisser entendre que l'Afrique n'est pas mûre pour la démocratie. Mais il serait intéressant de revenir à l'esprit de la démocratie, c'est à dire le libre débat sur les problèmes principaux de populations par les populations elles mêmes, la recherche de solutions conformes à l'intérêt général et prenant en compte les désirs des minorités, le respect ensuite des décisions prises, l'arbitrage des conflits... Et de voir que malgré certaines limitations, beaucoup de sociétés africaines ont accumulé un certain nombre de pratiques culturelles allant dans le sens de ce libre débat et de la recherche d'une solution acceptable par tous, pratiques qui peuvent être modifiées, complétées, revivifiées et servir de point de départ à l'invention de formes spécifiques adaptées et de solutions endogènes.
Face à la situation analysée, l'OPCF propose:
* 1. D'ouvrir davantage la réflexion sur la décentralisation administrative menée par des groupes d'experts au sein du ministère de la Coopération, en diffusant les rapports et en favorisant le recueil de contributions d'autres acteurs intéressés (inter-réseau, institutions, etc.)
* 2. D'identifier en quoi les acteurs locaux , en France, ou au niveau communal et intercommunal (syndicats intercommunaux, porteurs de "chartes de pays " , autres) apportent des enseignements utiles à la réflexion sur la décentralisation et le développement local.
* 3. De mieux articuler les logiques institutionnelles, juridiques et instrumentalistes avec les initiatives privées collectives locales existantes (organisations paysannes, associations de ressortissants de localités, autres groupes et entreprises) pour renforcer une démocratie locale et le développement du tissu économique.