La philosophie des Systèmes financiers décentralisés (Sfd) est d’offrir des services financiers aux populations à faible revenu, exclues du système bancaire classique. Cependant, le taux d’intérêt plafonné à 27 % chez les institutions de micro-finance est jugé très élevé par bon nombre d’observateurs. Le président Abdoulaye Wade, dans une sortie, avait d’ailleurs qualifié ce taux d’usurier. Dans l’entretien qu’il nous a accordé en marge d’un séminaire qui s’est tenu samedi et dimanche à Saly, sur la microfinance, l’économiste-financier Souleymane Sarr explique pourquoi les taux appliqués par les Sfd sont élevés.
Wal Fadjri : Comment expliquez-vous que des institutions censées faire du crédit à des individus à revenu faible leur fixe des taux d’intérêt plafonné à 27 % ?
Souleymane Sarr : Les taux d’intérêt appliqués par les Services financiers décentralisés diffèrent de ceux appliqués par les banques pour plusieurs raisons. Les banques sont régies par la loi bancaire qui est une loi communautaire. Elle leur donne un certain nombre d’avantages relatifs à l’accès à des ressources financières bon marché. Du fait de leur statut juridique (les banques sont des sociétés anonymes), elles peuvent ouvrir leur capital, s’adresser aux marchés financiers pour des levées de fonds et se faire re-financer par la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Bceao) à des taux très bas. C’est en fonction de tout cela que la loi communautaire a fixé le taux d’usure des banques à 18 %. Au niveau des Sfd et des établissements financiers, les autorités monétaires qui ont la prérogative de fixer les taux, l’ont fixé à 27 %. C’est aussi en tenant compte des spécificités des institutions de microfinance (Imf) qui sont des structures pour lesquelles la loi a mis un certain nombre de contraintes pour les encadrer. Les institutions de microfinance ne peuvent pas ouvrir leur capital, ne peuvent pas s’adresser au marché obligataire ni interbancaire. Les Imf ont pour seules sources de mobilisation de fonds, l’épargne des déposants. Et la collecte de l’épargne coûte très cher parce c’est de l’épargne à court terme, très volatile. Les coûts de mobilisation sont aussi très élevés parce qu’il faut aux Sfd un réseau de proximité physique qui coûte cher en termes d’entretien, de coûts de possession, etc.
Notre cible (celles des Imf) et la vulnérabilité des segments auxquels nous nous attaquons font que les autorités monétaires ont essayé de fixer un taux d’usure qui puisse assurer la pérennisation de ces outils qui participent au développement de l’inclusion financière. C’est pourquoi les banques et les Sfd n’ont pas les mêmes structures de coûts.
Wal Fadjri : Puisque les taux d’intérêt élevés des institutions de microfinance font l’objet de débat, leur baisse est-elle envisageable ?
Souleymane Sarr : Ce taux de 27 % est un taux effectif. Quand tu prends un crédit de 100 000 francs, pour connaître l’intérêt, on ne multiplie pas cet argent par vingt-sept, c’est pas ça ! C’est après avoir intégré tous les coûts d’exploitation qu’on retrouve 27 % qui est un taux effectif. Il ne s’applique pas directement à l’assiette qui constitue le prêt. Mais en fait, ce taux-là n’est pas élevé. Au regard des coûts que nous engageons pour satisfaire cette population, du niveau de densité des réseaux qui s’étendent à l’échelle nationale ; au regard de tout ce nous mobilisons comme moyens logistiques, humains, matériels, financiers, ce taux n’est pas élevé. D’autant plus qu’au Sénégal, nous avons les Systèmes de finances décentralisés qui appliquent les plus bas taux dans la sous-région.
La fixation de ces taux est une prérogative des autorités monétaires. Diminuer un taux d’intérêt, dans le cadre d’une politique monétaire, pourrait agir sur l’inflation, c’est-à-dire desserrer le crédit, booster la consommation et l’inflation. Les autorités monétaires ont dit que notre objectif, c’est de maîtriser l’inflation, on élève le taux d’usure pour les banques et pour les Sfd. Baisser ces taux n’est pas de notre ressort, mais nous avons l’obligation d’être en deçà de ces taux ou de ne pas les dépasser.
Wal Fadjri : Pourquoi les Sfd sont-ils moins exposés à la crise financière que les banques commerciales ?
Souleymane Sarr : Les Sfd financent l’économie réelle alors que les banques et le système financier sophistiqué financent une économie virtuelle. On vous dit qu’une entreprise cotée en bourse en Europe, sa valeur virtuelle de marché, ce qu’on appelle l’équité intangible, peut faire plus de trente fois sa valeur nette comptable. En fonction de la demande et de l’offre qui s’adressent à ces actions, la valeur de l’entreprise peut faire plus de trois à sept fois sa valeur comptable réelle. C’est pour dire que les Sfd financent l’économie réelle et les banques financent une économie virtuelle. C’est pourquoi, au-delà de la microfinance, il est proposé de recourir à la finance islamique parce que, elle aussi, finance l’économie réelle. Elle s’interdit de financer la spéculation, comme le font les banques classiques. La microfinance s’adresse à des activités qui existent, elle les finance et cet argent va directement à l’acquisition de biens et services qu’il est possible de revendre sur le marché.
Wal Fadjri : Les Sfd sont-ils devenus de sérieux concurrents pour les banques ?
Souleymane Sarr : L’objectif des autorités au Sénégal et dans la sous-région, c’est de parvenir à l’intégration du système financier. Dans les pays développés, il n’y a pas un secteur bancaire et un secteur de microfinance. Il y a une seule loi qui régit les deux mais ça, c’est l’aboutissement d’un processus. Actuellement, les banques se rendent compte que leurs portefeuilles clients se limitaient à quelques grosses entreprises. Toutes les banques qui faisaient des concours à la Société africaine de raffinage (Sar), à la Senelec, aux Industries chimiques du Sénégal (Ics) ont eu, avec la crise, des problèmes pour se faire rembourser. Ces banques se rendent compte qu’elles avaient concentré le risque sur quelques entreprises alors que ces entreprises ne constituent pas l’économie réelle. L’économie réelle, c’est la microfinance. C’est pourquoi les banques font ce qu’on appelle du downskilling. Elles sont en train de descendre en gamme pour voir ceux qui financent l’économie réelle, en l’occurrence l’informel et les exclus du système financier classique, pour leur proposer des services bancaires, l’octroi de crédit y compris.
Par contre, les institutions de microfinance qui se sont très tôt investies, ont accompagné ces clients vers une progression sûre, qui a permis le développement de ces petites entreprises. Ensuite, les institutions de microfinance sont en train de mettre en place des guichets Pme pour accompagner des entreprises qu’elles ont eues depuis 15 ans. C’est sûr que ceux qui font du upskilling et ceux qui font du downskilling vont se rencontrer. Les institutions de microfinance, dans leur souci de diversification, vont faire de la domiciliation de salaires, des virements étrangers, les transferts d’argent, etc., des services, en fait, bancaires dont n’avaient pas accès les populations à faible revenu. En cela, il peut y avoir, à terme, une concurrence.
Wal Fadjri
Wal Fadjri : Comment expliquez-vous que des institutions censées faire du crédit à des individus à revenu faible leur fixe des taux d’intérêt plafonné à 27 % ?
Souleymane Sarr : Les taux d’intérêt appliqués par les Services financiers décentralisés diffèrent de ceux appliqués par les banques pour plusieurs raisons. Les banques sont régies par la loi bancaire qui est une loi communautaire. Elle leur donne un certain nombre d’avantages relatifs à l’accès à des ressources financières bon marché. Du fait de leur statut juridique (les banques sont des sociétés anonymes), elles peuvent ouvrir leur capital, s’adresser aux marchés financiers pour des levées de fonds et se faire re-financer par la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Bceao) à des taux très bas. C’est en fonction de tout cela que la loi communautaire a fixé le taux d’usure des banques à 18 %. Au niveau des Sfd et des établissements financiers, les autorités monétaires qui ont la prérogative de fixer les taux, l’ont fixé à 27 %. C’est aussi en tenant compte des spécificités des institutions de microfinance (Imf) qui sont des structures pour lesquelles la loi a mis un certain nombre de contraintes pour les encadrer. Les institutions de microfinance ne peuvent pas ouvrir leur capital, ne peuvent pas s’adresser au marché obligataire ni interbancaire. Les Imf ont pour seules sources de mobilisation de fonds, l’épargne des déposants. Et la collecte de l’épargne coûte très cher parce c’est de l’épargne à court terme, très volatile. Les coûts de mobilisation sont aussi très élevés parce qu’il faut aux Sfd un réseau de proximité physique qui coûte cher en termes d’entretien, de coûts de possession, etc.
Notre cible (celles des Imf) et la vulnérabilité des segments auxquels nous nous attaquons font que les autorités monétaires ont essayé de fixer un taux d’usure qui puisse assurer la pérennisation de ces outils qui participent au développement de l’inclusion financière. C’est pourquoi les banques et les Sfd n’ont pas les mêmes structures de coûts.
Wal Fadjri : Puisque les taux d’intérêt élevés des institutions de microfinance font l’objet de débat, leur baisse est-elle envisageable ?
Souleymane Sarr : Ce taux de 27 % est un taux effectif. Quand tu prends un crédit de 100 000 francs, pour connaître l’intérêt, on ne multiplie pas cet argent par vingt-sept, c’est pas ça ! C’est après avoir intégré tous les coûts d’exploitation qu’on retrouve 27 % qui est un taux effectif. Il ne s’applique pas directement à l’assiette qui constitue le prêt. Mais en fait, ce taux-là n’est pas élevé. Au regard des coûts que nous engageons pour satisfaire cette population, du niveau de densité des réseaux qui s’étendent à l’échelle nationale ; au regard de tout ce nous mobilisons comme moyens logistiques, humains, matériels, financiers, ce taux n’est pas élevé. D’autant plus qu’au Sénégal, nous avons les Systèmes de finances décentralisés qui appliquent les plus bas taux dans la sous-région.
La fixation de ces taux est une prérogative des autorités monétaires. Diminuer un taux d’intérêt, dans le cadre d’une politique monétaire, pourrait agir sur l’inflation, c’est-à-dire desserrer le crédit, booster la consommation et l’inflation. Les autorités monétaires ont dit que notre objectif, c’est de maîtriser l’inflation, on élève le taux d’usure pour les banques et pour les Sfd. Baisser ces taux n’est pas de notre ressort, mais nous avons l’obligation d’être en deçà de ces taux ou de ne pas les dépasser.
Wal Fadjri : Pourquoi les Sfd sont-ils moins exposés à la crise financière que les banques commerciales ?
Souleymane Sarr : Les Sfd financent l’économie réelle alors que les banques et le système financier sophistiqué financent une économie virtuelle. On vous dit qu’une entreprise cotée en bourse en Europe, sa valeur virtuelle de marché, ce qu’on appelle l’équité intangible, peut faire plus de trente fois sa valeur nette comptable. En fonction de la demande et de l’offre qui s’adressent à ces actions, la valeur de l’entreprise peut faire plus de trois à sept fois sa valeur comptable réelle. C’est pour dire que les Sfd financent l’économie réelle et les banques financent une économie virtuelle. C’est pourquoi, au-delà de la microfinance, il est proposé de recourir à la finance islamique parce que, elle aussi, finance l’économie réelle. Elle s’interdit de financer la spéculation, comme le font les banques classiques. La microfinance s’adresse à des activités qui existent, elle les finance et cet argent va directement à l’acquisition de biens et services qu’il est possible de revendre sur le marché.
Wal Fadjri : Les Sfd sont-ils devenus de sérieux concurrents pour les banques ?
Souleymane Sarr : L’objectif des autorités au Sénégal et dans la sous-région, c’est de parvenir à l’intégration du système financier. Dans les pays développés, il n’y a pas un secteur bancaire et un secteur de microfinance. Il y a une seule loi qui régit les deux mais ça, c’est l’aboutissement d’un processus. Actuellement, les banques se rendent compte que leurs portefeuilles clients se limitaient à quelques grosses entreprises. Toutes les banques qui faisaient des concours à la Société africaine de raffinage (Sar), à la Senelec, aux Industries chimiques du Sénégal (Ics) ont eu, avec la crise, des problèmes pour se faire rembourser. Ces banques se rendent compte qu’elles avaient concentré le risque sur quelques entreprises alors que ces entreprises ne constituent pas l’économie réelle. L’économie réelle, c’est la microfinance. C’est pourquoi les banques font ce qu’on appelle du downskilling. Elles sont en train de descendre en gamme pour voir ceux qui financent l’économie réelle, en l’occurrence l’informel et les exclus du système financier classique, pour leur proposer des services bancaires, l’octroi de crédit y compris.
Par contre, les institutions de microfinance qui se sont très tôt investies, ont accompagné ces clients vers une progression sûre, qui a permis le développement de ces petites entreprises. Ensuite, les institutions de microfinance sont en train de mettre en place des guichets Pme pour accompagner des entreprises qu’elles ont eues depuis 15 ans. C’est sûr que ceux qui font du upskilling et ceux qui font du downskilling vont se rencontrer. Les institutions de microfinance, dans leur souci de diversification, vont faire de la domiciliation de salaires, des virements étrangers, les transferts d’argent, etc., des services, en fait, bancaires dont n’avaient pas accès les populations à faible revenu. En cela, il peut y avoir, à terme, une concurrence.
Wal Fadjri