L’Institut fondamental d’Afrique noire (Ifan) a une histoire quasiment emmêlée avec celle de son parrain, Cheikh Anta Diop. Pourtant, l’Ifan est plus vieux que l’auteur de ‘Nations nègres et cultures’. L’Ifan célèbre, en effet, ce lundi du mois décembre, son 70e anniversaire. Biologiste et spécialiste de la reproduction des poissons, le professeur Papa Ndiaye est, après le premier directeur, Théodore Monod, le deuxième directeur de l’Ifan à être un naturaliste. L’institution, qu’il dirige depuis décembre 2004, souffre de problèmes de communication qui affectent sa visibilité. Pour fêter ses 70 ans, cet institut a choisi pour thème un des talons d’Achille du continent : L’intégration.
Wal Fadjri : Vous avez choisi comme thème : ‘L’intégration’ pour célébrer les 70 ans de l’Ifan. Voulez-vous sonner l’alerte et dire aux pouvoirs publics que de ce point de vue-là, ça ne bouge pas ?
Pr Papa NDIAYE : On peut bien le dire et je crois que cela pourrait être l’une des conclusions du colloque. L’Ifan, lui, dès sa création, avait déjà une vocation panafricaniste. Les programmes de l’Institut tournaient autour de l’Afrique noire, en général, et en particulier, l’Afrique de l’Ouest. Après les indépendances, nous sommes toujours restés dans cette dynamique. Nous appartenons à des réseaux où nous travaillons avec plusieurs laboratoires africains et même européens. Nous n’avons pas beaucoup de moyens, ces laboratoires ont des moyens consistants et nous permettent de souffler. Au cours de la célébration des 70 ans de l’Ifan, notre objectif sera de faire l’état des lieux, les tendances et les dynamiques d’intégration de la période coloniale à nos jours. Il sera aussi question d’identifier les tendances positives des processus d’intégration africaine, à travers les études réalisées par l’Ifan Cheikh Anta Diop au cours de ses 70 ans d’existence et de procéder à l’examen critique des actions entreprises en vue de l’intégration africaine.
Wal Fadjri : Et qu’est-ce qui vous a dicté le thème de ‘L’intégration’ ? L’actualité ou le caractère indispensable de cette politique ?
Pr Papa NDIAYE : Nous pensons que l’intégration est un thème d’actualité. Il est vrai que, du point de vue de l’intégration politique, il y a des problèmes. En revanche, au plan scientifique, on peut dire qu’il y a des percées, mais nous pouvons faire mieux si la recherche est soutenue comme il le faut par les pouvoirs publics. Ce qui n’est pas toujours le cas.
Wal Fadjri : A voir le thème, on est en droit de se demander ce qui prime à l’Ifan. C’est la recherche fondamentale ou la prospective ?
Pr Papa NDIAYE : Les deux à la fois. Les recherches fondamentales que nous faisons, tout en contribuant à consolider des acquis scientifiques, ouvrent des perspectives qui permettent d’anticiper sur le réel physique et humain, participant ainsi de la prospective. Mais nous ne faisons pas que cela. Notre continent a aussi besoin de choses concrètes ici et maintenant, pour régler des problèmes existentiels de communication, de pauvreté et d’analphabétisme. C’est pour cela que de plus en plus, nous nous intéressons aux questions de développement et nous avons actuellement d’importants programmes de recherche-développement. Evidemment, ces objectifs de développement seront atteints plus vite dans une démarche africaine intégrée. D’où l’importance du thème du colloque, axé sur la question de l’intégration des Etats africains dans ses dimensions multisectorielles.
Wal Fadjri : Vous célébrez à partir du lundi 15 décembre 2008 les 70 ans de l’Ifan. C’est dire que votre institution n’a pas démarré son histoire avec son parrain, le Pr Cheikh Anta Diop.
Pr Papa NDIAYE : C’est vrai que le Pr Cheikh Anta Diop est le parrain de l’Ucad et de l’Ifan. Mais, l’Ifan est plus vieux que le chercheur Cheikh Anta Diop et l’Ucad. Cheikh Anta a été recruté en 1961 comme Assistant de recherche à l’Ifan. Alors que l’Ifan est né en 1936, sur le papier, par décret du gouverneur Brévié. Deux ans après, l’Institut aura un Secrétaire général, en la personne de Théodore Monod, qui en sera le premier directeur. L’Ifan est intégré à l’Université de Dakar en 1959. Il devient Institut fondamental d’Afrique noire en 1966, puis Institut fondamental d’Afrique noire Cheikh Anta Diop, vingt ans plus tard. C’est un établissement au sein de l’Ucad de Dakar, régi par la loi 73-16 du 3 avril 1973 faisant l’Institut fondamental d’Afrique noire en établissement public.
Wal Fadjri : Qu’est-ce qui se fait à l’Ifan ?
Pr Papa NDIAYE : L’Ifan est un institut pluridisciplinaire. Nous avons 16 laboratoires. Quand on parle de l’Ifan, le grand public pense que nous faisons de l’histoire, de la géographie ou de la sociologie. Or, nous avons d’autres laboratoires, nous faisons des recherches dans les sciences naturelles. Cheikh Anta était un chimiste-physicien. Moi, je suis un biologiste, spécialiste de la reproduction des poissons. Il y a des laboratoires spécialisés sur les plantes, d’autres sont orientés vers les eaux usées et nous avons un laboratoire de linguistique. L’institut a donc une vocation transversale. Il est également impliqué dans l’enseignement et l’encadrement. L’Ifan est, entre autres, chargé d’effectuer, de susciter et de promouvoir des travaux scientifiques se rapportant à l’Afrique noire en général et à l’Afrique de l’Ouest en particulier. L’Institut est aussi chargé d’assurer la publication et la diffusion des travaux d’ordre scientifique se rapportant à sa mission, de réunir, dans ses musées, ses archives et sa bibliothèque, les collections scientifiques et la documentation nécessaires à la connaissance et à l’étude des questions intéressant l’Afrique noire et de participer à l’application des règlements concernant le classement des monuments historiques, les fouilles, l’exploitation des objets (ethnographiques ou d’art africain).
Wal Fadjri : Votre institution a été créée en 1938, donc durant la période coloniale. Est-ce que ses missions ont entre-temps changé ?
Pr Papa NDIAYE : Les missions n’ont pas fondamentalement varié. Les moyens humains et financiers, eux, ont changé. A sa création, on peut dire que les moyens étaient suffisants ; car, entre 1936 et 1938, le budget était de 90 millions de francs Cfa avec seulement sept chercheurs. Aujourd’hui, nous sommes en 2008, le budget dépasse à peine la centaine de millions de francs Cfa avec plus de 45 chercheurs.
Wal Fadjri : Qui fait chez vous la commande de la recherche, l’Etat ou les chercheurs ?
Pr Papa NDIAYE : Dans la plupart des cas, les sujets de recherche sont délimités par les chercheurs eux-mêmes. l’initiative de la recherche vient de nous. En général, nous définissons nous-mêmes nos programmes de recherche qui, autant que possible, collent aux priorités nationales et africaines et sont approuvés par les autorités universitaires. Le chercheur est aussi par essence un homme libre, qui doit voir plus loin, c’est sa démarche prospective, comme on le disait tantôt. Nous cherchons des partenaires et des moyens pour mettre en œuvre nos programmes. Evidemment, il arrive parfois que les pouvoirs publics nous confient des recherches importantes.
Wal Fadjri : Qu’en est-il de vos rapports avec les autres institutions de recherche d’Afrique ?
Pr Papa NDIAYE : Dans le cadre des réseaux, nous avons des rapports avec beaucoup d’instituts de la sous-région. Nous avons, ainsi, des programmes comme celui portant sur les plantes médicinales en Afrique de l’Ouest qui couvrent le Sénégal, le Mali, la Mauritanie, le Burkina Faso, les deux Guinée et la Gambie. Il y a également un programme sur les eaux usées qui couvre plusieurs pays de la sous région. Dans la plupart des pays africains, il existe des institutions de recherche mais l’Ucad a cette particularité d’être une Université très ouverte. On y trouve beaucoup de chercheurs africains.
Wal Fadjri : Et comment les instituts de recherche des pays développés accueillent les résultats de vos recherches ? Les prennent-ils au sérieux ?
Pr Papa NDIAYE : En tout cas, nous, nous prenons nos recherches au sérieux. Et c’est le plus important. Elles sont publiées dans les bulletins (A et B) de l’Ifan en priorité. Et ce sont des bulletins très bien cotés au plan international. Les résultats, publiés dans ces bulletins, sont très appréciés. Nous avons aussi des documents de vulgarisation comme ‘Les notes africaines’ qui sont également bien accueillis dans le milieu scientifique.
Wal Fadjri : Il arrive souvent que des institutions de recherche occidentales découvrent des choses en Afrique. Vous arrive-t-il d’interroger la véracité des assertions ou de collaborer à ces recherches ?
Pr Papa NDIAYE : L’Afrique est un terrain fertile pour la recherche. On y a découvert beaucoup de choses. Les découvertes faites par les institutions de recherche occidentales ou asiatiques ont l’avantage de ne pas souffrir comme nous de déficit de communication. Nos travaux passent souvent inaperçus pour des raisons de communication. Lorsque les chercheurs occidentaux disent, par exemple, que Eve est noire, ils mentionnent rarement Cheikh Anta Diop qui, pourtant a scientifiquement prouvé, entre autres, que le berceau de l’humanité c’est le continent africain. Personnellement, et dans un autre domaine de recherche, j’ai découvert, en 1990, pour la première fois, la présence de deux molécules de vitellogénine chez le Greochromis niloticus ; or, chez les poissons, on ne signalait que la présence d’une seule molécule chez les femelles en période de reproduction. Ma découverte est passée inaperçue. C’est seulement en 1993, trois ans après, que des chercheurs japonais ont fait la même découverte chez d’autres espèces de cichlidae. Comme ils ont des moyens, ils se sont attribués ma découverte. Tout est question de communication.
Wal Fadjri : Et vous travaillez à la résolution de ce problème ?
Pr Papa NDIAYE : C’est un combat de tous les jours. Mais je pense bien que si nous réussissons notre politique d’intégration en matière de recherche, nous parviendrons à inverser cette tendance. Tenez, même dans le cadre du Sida, qui fait tant de bruit, la deuxième molécule a été découverte par une équipe dans laquelle travaillait le Pr Souleymane Mboup. Mais, en dehors du Sénégal, rares sont les pays où le Pr Mboup est cité.
Wal Fadjri : Vous avez 70 ans, l’institution a donc vieilli. En est-il pour autant du personnel et des infrastructures de recherche ?
Pr Papa NDIAYE : Ah, non ! Le personnel est en perpétuel rajeunissement. Un bon nombre de chercheurs sont à la retraite. Par contre, le matériel de recherche a besoin de renouvellement et pour cela, il faut des moyens. On en trouve parfois. Par exemple, le laboratoire des eaux usées a coûté autour de 80 millions de francs Cfa. Le laboratoire de botanique se renouvelle depuis deux ans. Au département de l’information scientifique, nous sommes en train de mettre en place un matériel moderne de numérisation.
Wal Fadjri : Et qu’est-ce qui fait que vos chercheurs sont discrets ? Ce sont les journalistes qui ne vous tendent pas leur micro ou ce sont vos chercheurs qui s’abstiennent de s’exprimer à travers les médias ?
Pr Papa NDIAYE : Pourtant nous faisons de la recherche de pointe dans beaucoup de domaines. C’est le cas notamment dans le domaine de la Linguistique et de la Botanique. Les chercheurs ont intérêt à faire connaître leurs recherches davantage tout comme les journalistes ont le devoir de venir s’informer. C’est leur vocation.
Wal Fadjri : Le grand public ne vous sent pas notamment sur la lancinante question des inondations. Vous arrive-t-il de poser les problématiques et d’ébaucher des solutions ?
Pr Papa NDIAYE : Poser des problématiques et chercher des solutions, c’est la démarche normale du chercheur. J’ai dit tantôt que nous faisons de la recherche développement pour apporter des réponses à certains questionnements. Pour ne citer qu’un exemple (il y en a d’autres), dans le domaine de la pêche, juste après le Conseil présidentiel, consacré à ce secteur, nous avons envoyé un mémorandum au chef de l’Etat.
Wal Fadjri : Avez-vous reçu la réaction du président de la République ?
Pr Papa NDIAYE : Les réactions ne sont pas toujours immédiates. Il arrive même qu’il n’y en ait pas, mais cela ne nous empêche pas de continuer notre travail de recherche.
Wal Fadjri : Au final, on peut dire qu’à l’Ifan, il y a des chercheurs qui cherchent et qui trouvent.
Pr Papa NDIAYE : Vous pouvez le dire sans risque de vous tromper.
Propos recueillis par Hamidou SAGNA
Wal Fadjri
Wal Fadjri : Vous avez choisi comme thème : ‘L’intégration’ pour célébrer les 70 ans de l’Ifan. Voulez-vous sonner l’alerte et dire aux pouvoirs publics que de ce point de vue-là, ça ne bouge pas ?
Pr Papa NDIAYE : On peut bien le dire et je crois que cela pourrait être l’une des conclusions du colloque. L’Ifan, lui, dès sa création, avait déjà une vocation panafricaniste. Les programmes de l’Institut tournaient autour de l’Afrique noire, en général, et en particulier, l’Afrique de l’Ouest. Après les indépendances, nous sommes toujours restés dans cette dynamique. Nous appartenons à des réseaux où nous travaillons avec plusieurs laboratoires africains et même européens. Nous n’avons pas beaucoup de moyens, ces laboratoires ont des moyens consistants et nous permettent de souffler. Au cours de la célébration des 70 ans de l’Ifan, notre objectif sera de faire l’état des lieux, les tendances et les dynamiques d’intégration de la période coloniale à nos jours. Il sera aussi question d’identifier les tendances positives des processus d’intégration africaine, à travers les études réalisées par l’Ifan Cheikh Anta Diop au cours de ses 70 ans d’existence et de procéder à l’examen critique des actions entreprises en vue de l’intégration africaine.
Wal Fadjri : Et qu’est-ce qui vous a dicté le thème de ‘L’intégration’ ? L’actualité ou le caractère indispensable de cette politique ?
Pr Papa NDIAYE : Nous pensons que l’intégration est un thème d’actualité. Il est vrai que, du point de vue de l’intégration politique, il y a des problèmes. En revanche, au plan scientifique, on peut dire qu’il y a des percées, mais nous pouvons faire mieux si la recherche est soutenue comme il le faut par les pouvoirs publics. Ce qui n’est pas toujours le cas.
Wal Fadjri : A voir le thème, on est en droit de se demander ce qui prime à l’Ifan. C’est la recherche fondamentale ou la prospective ?
Pr Papa NDIAYE : Les deux à la fois. Les recherches fondamentales que nous faisons, tout en contribuant à consolider des acquis scientifiques, ouvrent des perspectives qui permettent d’anticiper sur le réel physique et humain, participant ainsi de la prospective. Mais nous ne faisons pas que cela. Notre continent a aussi besoin de choses concrètes ici et maintenant, pour régler des problèmes existentiels de communication, de pauvreté et d’analphabétisme. C’est pour cela que de plus en plus, nous nous intéressons aux questions de développement et nous avons actuellement d’importants programmes de recherche-développement. Evidemment, ces objectifs de développement seront atteints plus vite dans une démarche africaine intégrée. D’où l’importance du thème du colloque, axé sur la question de l’intégration des Etats africains dans ses dimensions multisectorielles.
Wal Fadjri : Vous célébrez à partir du lundi 15 décembre 2008 les 70 ans de l’Ifan. C’est dire que votre institution n’a pas démarré son histoire avec son parrain, le Pr Cheikh Anta Diop.
Pr Papa NDIAYE : C’est vrai que le Pr Cheikh Anta Diop est le parrain de l’Ucad et de l’Ifan. Mais, l’Ifan est plus vieux que le chercheur Cheikh Anta Diop et l’Ucad. Cheikh Anta a été recruté en 1961 comme Assistant de recherche à l’Ifan. Alors que l’Ifan est né en 1936, sur le papier, par décret du gouverneur Brévié. Deux ans après, l’Institut aura un Secrétaire général, en la personne de Théodore Monod, qui en sera le premier directeur. L’Ifan est intégré à l’Université de Dakar en 1959. Il devient Institut fondamental d’Afrique noire en 1966, puis Institut fondamental d’Afrique noire Cheikh Anta Diop, vingt ans plus tard. C’est un établissement au sein de l’Ucad de Dakar, régi par la loi 73-16 du 3 avril 1973 faisant l’Institut fondamental d’Afrique noire en établissement public.
Wal Fadjri : Qu’est-ce qui se fait à l’Ifan ?
Pr Papa NDIAYE : L’Ifan est un institut pluridisciplinaire. Nous avons 16 laboratoires. Quand on parle de l’Ifan, le grand public pense que nous faisons de l’histoire, de la géographie ou de la sociologie. Or, nous avons d’autres laboratoires, nous faisons des recherches dans les sciences naturelles. Cheikh Anta était un chimiste-physicien. Moi, je suis un biologiste, spécialiste de la reproduction des poissons. Il y a des laboratoires spécialisés sur les plantes, d’autres sont orientés vers les eaux usées et nous avons un laboratoire de linguistique. L’institut a donc une vocation transversale. Il est également impliqué dans l’enseignement et l’encadrement. L’Ifan est, entre autres, chargé d’effectuer, de susciter et de promouvoir des travaux scientifiques se rapportant à l’Afrique noire en général et à l’Afrique de l’Ouest en particulier. L’Institut est aussi chargé d’assurer la publication et la diffusion des travaux d’ordre scientifique se rapportant à sa mission, de réunir, dans ses musées, ses archives et sa bibliothèque, les collections scientifiques et la documentation nécessaires à la connaissance et à l’étude des questions intéressant l’Afrique noire et de participer à l’application des règlements concernant le classement des monuments historiques, les fouilles, l’exploitation des objets (ethnographiques ou d’art africain).
Wal Fadjri : Votre institution a été créée en 1938, donc durant la période coloniale. Est-ce que ses missions ont entre-temps changé ?
Pr Papa NDIAYE : Les missions n’ont pas fondamentalement varié. Les moyens humains et financiers, eux, ont changé. A sa création, on peut dire que les moyens étaient suffisants ; car, entre 1936 et 1938, le budget était de 90 millions de francs Cfa avec seulement sept chercheurs. Aujourd’hui, nous sommes en 2008, le budget dépasse à peine la centaine de millions de francs Cfa avec plus de 45 chercheurs.
Wal Fadjri : Qui fait chez vous la commande de la recherche, l’Etat ou les chercheurs ?
Pr Papa NDIAYE : Dans la plupart des cas, les sujets de recherche sont délimités par les chercheurs eux-mêmes. l’initiative de la recherche vient de nous. En général, nous définissons nous-mêmes nos programmes de recherche qui, autant que possible, collent aux priorités nationales et africaines et sont approuvés par les autorités universitaires. Le chercheur est aussi par essence un homme libre, qui doit voir plus loin, c’est sa démarche prospective, comme on le disait tantôt. Nous cherchons des partenaires et des moyens pour mettre en œuvre nos programmes. Evidemment, il arrive parfois que les pouvoirs publics nous confient des recherches importantes.
Wal Fadjri : Qu’en est-il de vos rapports avec les autres institutions de recherche d’Afrique ?
Pr Papa NDIAYE : Dans le cadre des réseaux, nous avons des rapports avec beaucoup d’instituts de la sous-région. Nous avons, ainsi, des programmes comme celui portant sur les plantes médicinales en Afrique de l’Ouest qui couvrent le Sénégal, le Mali, la Mauritanie, le Burkina Faso, les deux Guinée et la Gambie. Il y a également un programme sur les eaux usées qui couvre plusieurs pays de la sous région. Dans la plupart des pays africains, il existe des institutions de recherche mais l’Ucad a cette particularité d’être une Université très ouverte. On y trouve beaucoup de chercheurs africains.
Wal Fadjri : Et comment les instituts de recherche des pays développés accueillent les résultats de vos recherches ? Les prennent-ils au sérieux ?
Pr Papa NDIAYE : En tout cas, nous, nous prenons nos recherches au sérieux. Et c’est le plus important. Elles sont publiées dans les bulletins (A et B) de l’Ifan en priorité. Et ce sont des bulletins très bien cotés au plan international. Les résultats, publiés dans ces bulletins, sont très appréciés. Nous avons aussi des documents de vulgarisation comme ‘Les notes africaines’ qui sont également bien accueillis dans le milieu scientifique.
Wal Fadjri : Il arrive souvent que des institutions de recherche occidentales découvrent des choses en Afrique. Vous arrive-t-il d’interroger la véracité des assertions ou de collaborer à ces recherches ?
Pr Papa NDIAYE : L’Afrique est un terrain fertile pour la recherche. On y a découvert beaucoup de choses. Les découvertes faites par les institutions de recherche occidentales ou asiatiques ont l’avantage de ne pas souffrir comme nous de déficit de communication. Nos travaux passent souvent inaperçus pour des raisons de communication. Lorsque les chercheurs occidentaux disent, par exemple, que Eve est noire, ils mentionnent rarement Cheikh Anta Diop qui, pourtant a scientifiquement prouvé, entre autres, que le berceau de l’humanité c’est le continent africain. Personnellement, et dans un autre domaine de recherche, j’ai découvert, en 1990, pour la première fois, la présence de deux molécules de vitellogénine chez le Greochromis niloticus ; or, chez les poissons, on ne signalait que la présence d’une seule molécule chez les femelles en période de reproduction. Ma découverte est passée inaperçue. C’est seulement en 1993, trois ans après, que des chercheurs japonais ont fait la même découverte chez d’autres espèces de cichlidae. Comme ils ont des moyens, ils se sont attribués ma découverte. Tout est question de communication.
Wal Fadjri : Et vous travaillez à la résolution de ce problème ?
Pr Papa NDIAYE : C’est un combat de tous les jours. Mais je pense bien que si nous réussissons notre politique d’intégration en matière de recherche, nous parviendrons à inverser cette tendance. Tenez, même dans le cadre du Sida, qui fait tant de bruit, la deuxième molécule a été découverte par une équipe dans laquelle travaillait le Pr Souleymane Mboup. Mais, en dehors du Sénégal, rares sont les pays où le Pr Mboup est cité.
Wal Fadjri : Vous avez 70 ans, l’institution a donc vieilli. En est-il pour autant du personnel et des infrastructures de recherche ?
Pr Papa NDIAYE : Ah, non ! Le personnel est en perpétuel rajeunissement. Un bon nombre de chercheurs sont à la retraite. Par contre, le matériel de recherche a besoin de renouvellement et pour cela, il faut des moyens. On en trouve parfois. Par exemple, le laboratoire des eaux usées a coûté autour de 80 millions de francs Cfa. Le laboratoire de botanique se renouvelle depuis deux ans. Au département de l’information scientifique, nous sommes en train de mettre en place un matériel moderne de numérisation.
Wal Fadjri : Et qu’est-ce qui fait que vos chercheurs sont discrets ? Ce sont les journalistes qui ne vous tendent pas leur micro ou ce sont vos chercheurs qui s’abstiennent de s’exprimer à travers les médias ?
Pr Papa NDIAYE : Pourtant nous faisons de la recherche de pointe dans beaucoup de domaines. C’est le cas notamment dans le domaine de la Linguistique et de la Botanique. Les chercheurs ont intérêt à faire connaître leurs recherches davantage tout comme les journalistes ont le devoir de venir s’informer. C’est leur vocation.
Wal Fadjri : Le grand public ne vous sent pas notamment sur la lancinante question des inondations. Vous arrive-t-il de poser les problématiques et d’ébaucher des solutions ?
Pr Papa NDIAYE : Poser des problématiques et chercher des solutions, c’est la démarche normale du chercheur. J’ai dit tantôt que nous faisons de la recherche développement pour apporter des réponses à certains questionnements. Pour ne citer qu’un exemple (il y en a d’autres), dans le domaine de la pêche, juste après le Conseil présidentiel, consacré à ce secteur, nous avons envoyé un mémorandum au chef de l’Etat.
Wal Fadjri : Avez-vous reçu la réaction du président de la République ?
Pr Papa NDIAYE : Les réactions ne sont pas toujours immédiates. Il arrive même qu’il n’y en ait pas, mais cela ne nous empêche pas de continuer notre travail de recherche.
Wal Fadjri : Au final, on peut dire qu’à l’Ifan, il y a des chercheurs qui cherchent et qui trouvent.
Pr Papa NDIAYE : Vous pouvez le dire sans risque de vous tromper.
Propos recueillis par Hamidou SAGNA
Wal Fadjri