Ndioro Ndiaye (Présidente de l’Alliance pour la migration, le leadership et le développement) : ‘Le Sénégal ne dispose pas d’une politique migratoire nationale’



A l’occasion de la Journée internationale des migrants célébrée ce samedi 18 décembre, la présidente de l’Alliance pour la migration, le leadership et le développement (Amld) préconise la création d’un comité interministériel chargé de formuler une politique migratoire nationale puisqu’il n’en existe pas au Sénégal.Pour Ndioro Ndiaye, les défis de cohérence politique doivent être très vite relevés pour une meilleure prise en charge de la préoccupante problématique des migrations.

Wal Fadjri : Quels sont les défis qui interpellent le Sénégal en terme de politique migratoire ?

Ndioro Ndiaye : Il y a surtout des défis de cohérence politique, de définition de politiques. Un comité intergouvernemental pourrait être mis en place, pas au niveau d’un ministère mais au-dessus des ministères, pour prendre en charge les besoins de tous les ministères de manière égalitaire. Ce comité devrait être équidistant de ce qui se passe au niveau du ministère de la Famille, du ministère des Affaires étrangères ou du ministère de l’Intérieur. Pour permettre à la Présidence ou à la Primature d’arbitrer, il faut créer ce comité interministériel qui sera chargé de formuler une politique migratoire nationale parce qu’il n’y en a pas au Sénégal et ailleurs. Il existe juste des programmes sectoriels qui prennent une charge une partie de ce qu’est la migration, mais pas une vision cohérente, globale, coordonnée de la migration. Une fois le problème campé et les contours de la problématique migratoire définis, sortir des axes à partir de cette politique migratoire devient facile : Migration et santé, migration et développement, migration et économie, migration et genre, migration et sciences sociales, etc.

Nous plaidons cela pour le Sénégal, mais aussi pour tous les pays de la sous-région et de l’Union africaine. On a commencé à y travailler depuis que nous sommes à l’Oim. Certains pays comme le Nigeria et le Burkina Faso sont très en avance sur le Sénégal par rapport à une décision allant vers la formulation d’une politique nationale et des programmes sectoriels par rapport à cette politique nationale. Mais pour y arriver, il faut un minimum d’autorité à toutes ces structures sectorielles qui se partagent la nature transversale de la migration et pour l’instant ça n’existe pas.

Quelle est la situation des migrants au Sénégal ?

La situation des migrants internes au Sénégal mérite une grande attention. Elle constitue une préoccupation réelle du gouvernement du Sénégal puisque vous avez vu toutes les initiatives prises par l’Etat ces dernières années et ces derniers mois en particulier. Des mesures qui visent non seulement les jeunes migrants internes que j’appelle, la cible des talibés qui migrent d’une région à une autre selon les opportunités spirituelles et économiques qui se présentent. Par rapport à cette migration interne, nous pouvons observer les risques de traite qu’encourent les enfants, soit parce que leurs parents sont complices et volontaires soit parce qu’ils ignorent simplement cela. La problématique de la traversée des frontières est également posée par cette gestion de la migration interne. Plusieurs mineurs non accompagnés qui envahissent notre pays, viennent des pays limitrophes et nos structures de gestion des frontières ne prennent pas les précautions vitales qu’il faut, pour éviter qu’un adulte traverse avec un groupe d’enfants sans que la vérification de la filiation et des documents ne se fasse.

Il y a énormément de défis, énormément de risques dans la gestion d’une migration régulière que nous constatons et il faut reconnaître que beaucoup d’efforts ont été faits. Et ces efforts doivent être partagés par l’Etat et les autres acteurs telles que les organisations de la société civile qui s’occupent de ces cibles et qui, vaille que vaille, créent des structures d’accueil, des programmes d’accompagnement à des retours volontaires à côté des organisations internationales telles que l’Oim. Ces actions sont à coordonner. Elles existent, elles sont bien, mais cela ne sert à rien de rester parcellaire comme nous le constatons. Et nous souhaitons que cela s’organise, ce qui n’est pas le cas pour l’instant malheureusement.

L’autre problème majeur qui se pose, c’est la non disponibilité de données fiables, réalisées par nos propres structures nationales. Nous nous basons souvent sur des chiffres donnés par des étrangers. Même si ces derniers ont des structures qualifiées, cette question m’interpelle quelque part parce que je sais que nous avons des personnes qualifiées, des experts. Dans les universités, nous disposons de chercheurs et la Direction de la statistique est également là. Pourquoi alors nous ne pouvons pas nous focaliser sur un programme de recherche qui génère des résultats sur lesquels les autorités sénégalaises et africaines peuvent se baser ? D’aucuns se demandent souvent où se trouvent les archives de la migration en Afrique ? Il est dommage de constater qu’elles se trouvent ailleurs. Même si l’Université de Dakar en possède un certain nombre, je ne suis pas convaincue que ces articles soient bien cordonnés, bien gérés pour satisfaire, en temps voulu, les besoins de ceux qui les réclament. Tout cela est à organiser.

Qu’est-ce qui justifie le thème retenu cette année et qui s’intéresse au droit des mineurs non accompagnés ?

Pour le thème de la journée des migrants, nous avons choisi le respect des droits des enfants mineurs non accompagnés pour créer une synergie avec ce que le gouvernement a essayé de faire ces dernières semaines en rapport avec le focus qu’il a mis sur les talibés et la gestion des daaras. Ces derniers peuvent constituer de bons abris pour les enfants qui échappent à un certain système formel. Les gouvernements les invitent à mieux s’organiser, à créer des programmes formels et à être liés à eux d’une manière ou d’une autre. C’est très bien. Ce serait une bonne contribution à résoudre le problème des enfants de la rue et des daaras que de les aider à être plus modernes, plus proches de la vision que le coordonnateur du programme national qu’est l’Etat veut créer.

On met beaucoup l’accent sur les points négatifs, mais il faut reconnaître que les migrants constituent bien souvent des créateurs de richesses pour les pays hôtes…

Les migrants sont une force de travail. Les migrants internes qui peuvent être saisonniers ou définitifs, contribuent à la création de richesses qui profitent aux pays hôtes. Que ce soit les commerçants, les traitants, les jeunes qui quittent les zones rurales pour venir en ville. Les différents flux migratoires suivent la même logique, on part d’un endroit pauvre vers un endroit plus riche. Il y a une contribution à la création de richesses, encore faudrait-il la déterminer. On le sait parce que c’est évident en observant les mouvements et ce que produisent les gens qui vont et qui viennent. Seulement, à ce niveau, je suis incapable de vous dire quel est le rapport entre cette production et le Pib parce qu’il n’y a pas de recherche là-dessus.

Propos recueillis par Amadou NDIAYE
Wal Fadjri

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