L’agriculture sénégalaise a connu de plus beaux jours. L’Institut sénégalais de recherches agricoles, banque de la connaissance agricole, est aujourd’hui au bord du gouffre. Faute de bon traitement salarial, les chercheurs quittent en masse l’institution pour des prairies plus grasses. Ce qui fait courir de gros risques à la recherche agricole dans un pays où plus de 70% de la population vit de l’agriculture. Macoumba Diouf, le directeur général tire la sonnette d’alarme.
LA SITUATION DE L’ISRA
Dans un premier temps, il faut noter que la vulgarisation ou la formation agricole participe à rendre l’agriculture productive, compétitive et durable. Il n’y a que la recherche agricole qui peut générer un savoir, améliorer le matériel végétal et les itinéraires techniques. Aujourd’hui, dans un environnement agraire hostile, marquée par une pluviométrie très erratique dans le temps et dans l’espace, des sols pauvres ou qui en ont la tendance, il n’y a pas moyens d’améliorer la productivité en dehors de la recherche agricole. Dans un second temps, il faut admettre qu’on ne peut pas développer le Sénégal si on marginalise le secteur qui occupe 70% de la population active et qui constitue un des piliers de l’économie nationale.
Le chercheur de l’Isra est loin d’être dans de bonnes conditions de travail. A ma nomination, on m’a dit qu’on veut une recherche plus proche des producteurs, dont les résultats sont probants, une recherche transformable en espèces sonnantes et trébuchantes. Mais cela à un prix. De 1974 aux années 1980, tout allait comme sur des roulettes aussi bien en termes d’effectifs que de moyens de recherche. Pourtant, la problématique de la recherche était moins aiguë par rapport à aujourd’hui, où l’environnement est beaucoup plus hostile. Paradoxalement, au moment où l’environnement devient plus hostile, la recherche plus opportune et même indispensable, les effectifs chutent de façon vertigineuse. La fuite des cerveaux ou l’érosion du personnel est une triste réalité chez nous.
Beaucoup de chercheurs sont dans la sous-région parce que l’institut n’est plus attrayant en terme de traitement salarial. Le problème à régler et sur lequel je suis d’accord avec mon autorité, c’est qu’il faut revaloriser les salaires à l’Isra pour retenir les chercheurs performants, qui nous ont valu autant de satisfactions. Les chercheurs de l’Université, qui ne sont pas interpellés en matière de développement agricole, bénéficient d’un meilleur traitement que nous. Ce n’est pas parce qu’ils ne font pas de recherches utiles. Mais, pour faire un diplôme d’études approfondies (Dea) ou une thèse de doctorat, il faut venir à l’Isra. Suffisant pour qu’on ait le même traitement, d’autant qu’on a les mêmes diplômes et qu’on est plus interpellé qu’eux sur le secteur agricole qui, s’il n’est pas développé, le Sénégal ne peut pas se développer. Ils touchent 3,5 fois plus qu’un chercheur de l’Isra. C’est inacceptable. C’est pourquoi les chercheurs quittent l’Institut pour l’Université, convaincus que l’Isra ne fait pas vivre son chercheur. Aucun de ceux qui sont partis n’a évoqué un autre argument.
La conséquence de ces départs massifs, c’est la menace à court ou à long terme sur l’agriculture. Le risque qui guette l’Isra, c’est le déficit de techniciens et de chercheurs dans le domaine de l’agriculture, pilier de l’économie nationale. Pire, le personnel est vieillissant et l’Etat ne recrute plus. L’Isra est un institut aux résultats probants mais qui a du mal, faute de moyens, de mener à bien sa mission régalienne. Mais ce qui me réconforte, c’est que ce sont des choses que le régime actuel a héritées. Je déborde d’optimisme que ce sera bientôt corrigé, parce que je connais l’avis des personnes à qui j’ai eu à parler de cette question
INSUFFISANCE DU BUDGET
En termes clairs, l’Isra n’a pas de budget pour mener des activités de recherche. Certes, l’Etat finance l’Institut en payant les salaires et les charges de structures (eau, électricité et téléphone) mais, il ne finance pas les activités de recherche et d’investigation sur le terrain. Les 7 milliards dont il est question, les 55% constituent les charges salariales et de structures, les 35% sont des fonds compétitifs provenant des projets de recherche qu’on a gagnés et les 10% sont nos recettes propres que nous générons à partir des semences de premier niveau, qui coûtent 2 500 francs le kilo dans les normes. Pourtant, l’Etat, en dehors de ces 7 milliards, devait nous accorder une enveloppe pour mener des activités de recherche, peut-être pas à 100%. Mais l’Etat doit financer les recherches stratégiques. Par exemple, le Sénégal a intérêt à développer les biocarburants pour avoir son indépendance énergétique. Aucun pays ne le fera à sa place. Heureusement cette année, le ministre de l’Agriculture, Amath Sall a impliqué l’Isra dans les programmes spéciaux. Nous coordonnons le programme des biocarburants pour une enveloppe de 400 millions et celui du manioc pour 1 120 milliards, sans compter ceux du tournesol et du fonio. Nous saluons cette initiative du ministère de tutelle car, on a besoin de davantage de moyens pour mener des recherches sur ce qui intéresse d’abord, notre pays.
LE SESAME, PRODUIT IDEAL POUR L’AGRICULTURE DU SENEGAL
Appréciant cet environnement agraire très hostile, notée dans les années 1980 durant lesquelles l’agriculture était au creux de la vague, il fallait des innovations, des solutions novatrices et courageuses voire révolutionnaires. Mieux, après l’alternance, la diversification occupe une place réelle dans la politique agricole de notre pays. On a diversifié les productions agricoles pour sécuriser la production agricole nationale. Et comme l’agriculture est encore pluviale, si on n’a pas un matériel végétal diversifié et résistant, ce serait la catastrophe. Malgré les différentes variétés déjà existantes, on commence à rencontrer des difficultés. C’est pourquoi nous sommes dans une dynamique de réactualisation de la carte variétale. C’est dans ce sens que le sésame qui n’est pas exigeant en eau (200 mm) et en engrais (80 kg à l’hectare), est très adapté à l’environnement hostile du Sénégal. Mieux, le sésame a un double avantage pour le producteur. Il peut en faire une culture vivrière comme une culture de rente.
Aujourd’hui, il concurrence sérieusement l’arachide, indépendamment de notre volonté. Car, quoi qu’on puisse dire, même si l’on devait se limiter à la paille, cela vaut la peine de faire de l’arachide. Mais le sésame a des vertus indiscutables. Avec le sésame, on fait aujourd’hui de la pâte d’arachide, de l’huile plus onctueuse que celle de l’arachide, du savon, du miel, du chocolat, des tourteaux d’une valeur nutritionnelle incomparable, de la pommade et du karité. Contrairement au sésame, il y a un champignon qui attaque les graines d’arachides vers la maturité, surtout s’il y a une pause pluviométrique, et y introduit une toxine appelée l’aflatoxine. La consommation de ces graines vous expose au cancer et c’est pourquoi, on interdit la trituration traditionnelle de l’arachide, qui se fait à froid. Le sésame détient aussi des vertus mystiques et c’est scientifiquement prouvé. Les plantes oléagineuses en général, ont besoin de beaucoup d’engrais. L’arachide absorbe 200 kg d’engrais mpk à l’hectare, le sésame n’en prend que 80. Dans le département de Sédhiou, vous trouvez des bouteilles dans lesquelles il y a des graines protectrices contre les mauvais esprits autour du cou de jeunes enfants. Suffisant pour que les populations se l’approprient.
DONNEES STATISTIQUES SUR LA FILIERE
Aujourd’hui, les productions sont autour de 25 000 tonnes par an. Et les surfaces exploitées sont estimées à 15 000 hectares. Quant à l’effectif, nous n’avons pas de données exactes mais le sésame est cultivé dans toutes les régions administratives et écologiques du pays où l’on ne demande que des variétés pures à haut rendement, à teinte claire, homogènes et un paquet technique pour maîtriser les techniques de culture depuis les semis jusqu’à la récolte. Au nord, il est avéré que le sésame marche en culture irriguée. Des tests ont été faits à Bakel, à Matam, à Ross Béthio. C’est donc une espèce adaptée à toutes les écologies du pays. Ce qui nous a permis de couvrir l’ensemble des zones écologiques et d’établir une carte variétale pour cette plante qui bouscule sérieusement l’arachide qui a reculé d’au moins de 50% dans le Kaolack. Cependant, il reste une vaste campagne de sensibilisation et de formation à faire pour que l’ensemble des techniciens se saisisse de la spéculation.
L’Isra a fait une étude scientifique sur la filière et a identifié les goulots par un diagnostic sans complaisance des problèmes qui gangrènent le développement de la filière. Le problème de la production et du paquet technique est réglé. Le seul goulot d’étranglement est le manque d’organisation dans le circuit de commercialisation. Le circuit n’est pas encore formellement organisé. On n’a pas encore un dispositif comme dans l’arachide, qui permet de rapprocher l’acquéreur du producteur. Certes, il y a des zones qui ont commencé à appuyer des opérateurs privés (Op) dans la collecte primaire mais ces intermédiaires, à cause de leur prix dérisoire, n’encouragent pas les producteurs, privés de capacités de négociation du fait de leur faible quantité de production, à développer la filière. Mais le ministre a tout récemment organisé une rencontre avec tous les acteurs pour une réflexion sur les dispositifs à mettre en place pour faciliter la collecte primaire par la création de points de vente pour renforcer les capacités de négociations des producteurs.
RECONSTITUTION DU CAPITAL SEMENCIER
On est dans une phase de relance. On a un dossier entièrement bien ficelé à la demande du président de la République. A l’occasion du Conseil présidentiel du 21 mai dernier, il s’est interrogé sur la reconstitution du capital semencier qui n’est toujours pas une réalité. Ce qu’il y a, c’est que le dispositif qui doit fonctionner pour qu’on reconstitue le capital semencier de 120 000 tonnes n’a pas fonctionné. Les véritables maillons de la chaîne de reconstitution que sont les opérateurs privés n’ont pas fonctionné. Je précise que l’Isra a l’obligation et le rôle régalien, même s’il ne recevait pas de moyens de l’Etat, de créer des variétés, de produire des semences de premier niveau et les prébases. Et la quantité de prébases nécessaires pour renouveler le capital semencier à 120 000 tonnes au bout de 5 ans est de 35 tonnes, toutes variétés confondues. Certains maillons de la chaîne n’ayant pas fonctionné, ce matériel génital est toujours perdu. Pire, les gens viennent se procurer des prébases comme n’importe quelle semence, obtiennent de bons rendements et vendent à la Sonacos ou font des graines de consommation, tout simplement parce qu’ils ne s’inscrivent pas dans une dynamique de démultiplication. Ainsi se brise la chaîne de reconstitution. Comme solution, le producteur fait recours annuellement à sa réserve personnelle devenue inféconde parce qu’ayant trop produit. Alors, qu’on fasse bien la différence entre semence et graine. La semence est un matériel génital d’origine d’un niveau connu, allant de la prébase aux niveaux 1 et 2. Donc, il n’y a pas de mauvaises semences, mais de mauvaises graines que les privés agréés collectent de porte en porte auprès des paysans ou dans les loumas, à la fin de l’hivernage, pour les revendre.
Le Quotidien