XAVIER GIZARD, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DU FORUM GLOBAL D’ASSOCIATIONS DE RÉGIONS (FOGAR) « Notre principal objectif est de montrer la valeur ajoutée de l’action décentralisée »

Plus de 12 ans se sont écoulés depuis l’engagement pris au Sommet Mondial de l’Alimentation de réduire de moitié le nombre de personnes sous alimentées d’ici 2015. A l’heure des premiers bilans, les progrès en la matière, sont bien décevants et la situation alimentaire aujourd’hui assez critique. Au moment où Dakar reçoit, à compter de ce lundi 18 janvier, le sommet des régions du monde sur la sécurité alimentaire, le constat est que près d’un milliard de personnes souffrent encore de la faim de manière chronique tandis que la malnutrition touche deux milliards de personnes. Pour camper les enjeux d’un sommet qui se tient jusqu’au mardi19 janvier, Xavier GIZARD, en sa qualité de Secrétaire Général du Forum Global d’Association des Régions.



Pourquoi avoir choisi Dakar comme ville-hôte de ce Sommet ? (Afronline.org)

Pour une raison très simple : au cours d’une réunion qui s’est déroulée à Tanger, nous avons décidé de lancer un travail des régions sur la sécurité alimentaire. L’Association des Régions sénégalaises figurait parmi les participants. Nous avons appris que le président Wade était prêt à accueillir un sommet mondial des Régions sur ce thème.

Quelle peut-être la valeur ajoutée d’une telle conférence pour la lutte contre l’insécurité alimentaire ? Ne pensez-vous que ce n’est qu’un sommet de plus, après la dernière session de la FAO à Rome qui n’a pas mobilisé grand monde ? (Sud Quotidien, Afronline.org)

Nous sommes dans une dynamique totalement différente. Nous n’avons aucune prétention de dire au nom des régions ce que devrait être la stratégie mondiale de lutte en faveur de la sécurité alimentaire. Notre principal objectif est de montrer la valeur ajoutée de l’action décentralisée pour garantir la production et l’accès des peuples aux biens alimentaires. Nous avons des exemples de projets très réussis en Amérique du Sud, en particulier au Brésil, et en Amérique centrale.

A partir des projets phares qui seront présentés au Sommet dans les ateliers, nous voulons essayer d’établir un cadre de référence par rapport à la feuille de route adoptée par tous les Etats de la planète en juin 2008, en identifiant les créneaux, les domaines dans lesquels une action des régions apparaît apporter une valeur ajoutée à l’effort de tout le monde. En sortira une feuille de route à discuter avec la Fao, le Pnud, le Représentant spécial de Ban Ki-Moon pour la sécurité alimentaire, la Commission européenne, les coopérations de grands Etats comme la France et l’Espagne, pour déboucher sur un programme pluriannuel de travail piloté de manière coordonnée par une trentaine de régions du Nord et du Sud du monde. Quelle est la petite pierre que peut apporter les régions dans leur domaine de compétence à l’effort général de la lutte contre l’insécurité alimentaire. Voilà le thème central du Sommet.

Bluff ou pas, le concept de coopération décentralisée reste encore une grande énigme pour les citoyens d’Afrique. Il semble que tout se négocie sur leur dos sans que les bénéfices leur parviennent souvent. Quel message pouvez-vous leur donner pour recadrer les choses ? (Sud Quotidien)

Je crois qu’il y a un mouvement à faveur de la décentralisation dans le monde entier. Je le constate de la même manière que les régions sont devenues les éléments de la construction dans les trente dernières années. Au Mali, au Sénégal, au Burkina Faso, on voit s’inscrire dans les lois des pouvoirs transférées aux Régions. Malheureusement, ces transferts ne sont souvent pas accompagnés pour l’instant ni des ressources financières correspondantes, ni de ressources humaines compétentes. Ce mouvement de décentralisation a donc besoin d’être renforcé. Là-dessus, la Commission européenne, à travers la Direction générale du Développement, est en train de prendre les bonnes orientations pour accompagner cette décentralisation. D’autre part, je pense que si l’on veut gagner du temps, le fait de mettre en place des coopérations décentralisées pour renforcer les autorités régionales et locales des pays en voie de développement, est une bonne chose.

Quelle est la place des Régions dans les politiques de développement de l’Union Européenne ? (Afronline.org)

Le grand progrès a été fait dans la communication de la Commission européenne du 6 octobre 2008, qui pour la première fois, traite de manière séparée dans sa politique d’aide au développement les Ong, la société civile et les autorités régionales et locales publiques qui sont des éléments des Etats. C’est un premier pas extrêmement important qui devrait d’ailleurs être suivi d’effet cette année puisque la Commission lance la révision du « Processus de Palerme » sur sa politique d’aide au développement. Cela est assorti aussi par des appels d’offres d’enveloppes financières qui sont en train de gonfler, signe qu’il y a une reconnaissance croissante de la Direction générale du développement, vis-à-vis de la coopération décentralisée.

Dans les pays développés, la crise économique est en train de mettre à mal les aides financières publiques au développement. Au même titre que les gouvernements centraux, les autorités locales européennes sont durement touchées par cette crise. Quelles sont les répercussions actuelles sur la coopération décentralisée ? (Afronline.org)

Je ne vois pas de répercussions négatives, en tout cas pas dans les régions qui participent activement à nos travaux. Ces régions continuent à maintenir l’effort en matière d’aide au développement. Prenons le cas de Brême, en Allemagne où les responsables politiques locaux se sont déclarés prêts à tout, sauf à diminuer les fonds octroyés au développement. Ceci est la démonstration qu’il y a là de bonnes institutions qui savent probablement mieux que certains Etats qui procèdent actuellement à des coupes budgétaires, ce que sont les besoins d’une gouvernance de la globalisation au 21 ème siècle.

L’efficacité de l’aide est un des grands défis pour les politiques de développement. Bien que les Régions et les Autorités Locales en générale soient reconnues pour être un acteur clé en termes de proximité des citoyens, elles forment une nébuleuse dont on a du mal à cerner les contours. Comment concilier leur apport à une meilleure efficacité de l’aide ? (Afronline.org)

Vous touchez là, un autre thème crucial du Sommet. Le risque des élans traditionnels et sympathiques vers la solidarité internationale est incarné par la fragmentation et l’émiettement de l’aide. Chacun y va de son petit puits, son petit dispensaire ou morceau de route, mais ceci ne mène nulle part. J’ai constaté ces derniers temps que certaines autorités régionales et locales ont pris conscience du problème. Il y a un glissement de paradigme entre un discours de base sur la solidarité internationale vis-à-vis des plus pauvres à un cadre qui s’appelle la globalisation, et dans lequel il y a des intérêts mutuels à ce que les uns et les autres se développent.

Il y a ensuite un deuxième aspect lié aux contraintes budgétaires. Quand la Toscane et la Bretagne s’aperçoivent qu’elles travaillent sur même sujet, dans la même région du Burkina Faso, que c’est sur le terrain que leurs techniciens se rencontrent et qu’elles s’aperçoivent qu’elles n’ont crées aucune synergie durant le montage de leur programme respectif, aujourd’hui ces mêmes régions disent qu’elles ne veulent plus travailler comme ça. Cela prendra du temps pour rendre l’aide plus efficace, mais nous sommes sur la bonne voie.

Qu’en est-il des Régions et autorités locales du Sud du monde ? (Afronline.org)

Cela varie d’un pays à un autre. Prenons le Maroc, où il y a une décentralisation vigoureuse qui est en cours et où la région Tanger-Tétouan a douze protocoles de coopération avec 12 régions européennes. Les Marocains en avaient ras-le-bol de recevoir chaque année, douze délégations pendant trois jours pour obtenir des petites aides ça et là. Il y a deux ans, nous avons décidé de réunir à la même table les représentants de la région de Tanger-Tétouan, les douze régions en question, le Pnud, la Commission européenne et la coopération française, espagnole et italienne. Cela s’est traduit par une installation d’une maison du développement où les représentants de tous ces acteurs, ont réfléchi sur la manière dont leurs efforts s’inscrivent dans la stratégie globale de développement de la région de Tanger-Tétouan. Les exigences exprimées par les responsables de cette autorité régionale sont symptomatiques des changements qui sont en cours dans les rapports régions du nord-régions du Sud. Au Mali, Sénégal, Burkina Faso, certaines autorités locales ont clairement fait comprendre à leur partenaire du Nord qu’il fallait passer à un rapport plus complexe et structurée.

Aujourd’hui, un audit de la coopération décentralisée est demandé par ceux qui élisent les maires de ville ici au Sénégal comme un peu partout. Que pensez-vous d’un tel processus ? (Sud Quotidien)

Ce n’est pas une mauvaise idée ; car les évaluations sont utiles. Après, on va tomber dans le débat qui est en cours avec la Commission européenne et entre nous au sein la plateforme des comités de villes et de régions sur les politiques d’aide au développement. Il s’agit d’un débat centré sur comment on évalue l’efficacité de l’aide. Voilà une question centrale. Les jeux d’acteurs sont une grande partie de la réponse à une bonne utilisation de l’argent.

Dans un cas comme le Sénégal, Dakar s’essouffle à cause de l’exode rural, sans que l’Etat et la ville ne soient capables d’encourager les fils de paysans, (marchands ambulants ou à la sauvette en ville) à rester dans les campagnes. A quoi une telle conférence peut-elle servir à ces jeunes agriculteurs de demain, qui ne se sentent plus paysans, mais citadins... ? (Sud Quotidien)

Vous pourriez poser la même question par rapport à un paysan français. Le fait que des agriculteurs ont des standards de référence qui soient urbains n’a rien de choquant en soi. Le problème est de savoir s’ils continuent à produire de l’agriculture ou s’ils la délaissent. Ceci nous conduit à réfléchir sur un défi crucial pour l’Afrique, à savoir la capacité de créer des marchés de proximité d’engrais agricoles. De ce point de vue, la coopération décentralisée constitue une valeur ajoutée. Lorsqu’il n’y a pas de routes, pas de camions ou de stockages, quand le fret coute dix fois plus cher qu’en Europe, cela se traduit par le fait que la population de Dakar est largement nourrie par des produits importées, subventionnées par des Etats ou des organisations puissantes avec la conséquence d’accélérer la mort de l’agriculture locale. Cette problématique est un défi majeur du Sommet de Dakar et un sujet d’un plan d’action pluriannuel dans les années qui vont venir.

Réalisé par Mame Aly KONTE (Sud Quotidien) et Joshua MASSARENTI (Afronline.org)

Accueil | Envoyer à un ami | Version imprimable | Augmenter la taille du texte | Diminuer la taille du texte
Bon à Savoir


Nouveau commentaire :


Dans la même rubrique :
1 2 3 4 5 » ... 28
Inscrivez-vous.entrez votre email pour garder le contact car nous avons besoin de vos avis et suggestions.merci d'avance