On parle souvent de l’électrification de l’Afrique, mais un autre enjeu mérite d’être mis en lumière : les réseaux de transport. Sa population et sa superficie, et la croissance de son économie nécessitent de mettre de nouvelles infrastructures au service de son immense potentiel. L’Afrique a besoin de construire routes et voies ferrées, ports et hubs aériens, mais aussi voitures, trains et avions.
Ce sont d’abord des routes qu’il faut construire
Avec 70 000 kilomètres de routes, l’Afrique ne représente que 7 % du réseau mondial, alors que le continent concentre 15 % de la population du globe, et 22 % de la superficie terrestre. Un retard certes, mais un formidable défi à relever ! Construire 70 000 à 100 000 kilomètres de routes en plus constitue sans aucun doute le défi du siècle pour l’Afrique.
Dans le même temps, les lacunes infrastructurelles haussent le coût des marchandises échangées entre pays africains de 30 % à 40 %. C’est de moitié supérieur à une situation équivalente en Asie ou en Amérique du Sud ! Cependant, il faudrait bien 4 points des PIB africains par an pendant dix ans pour construire et entretenir de nouvelles routes, adéquates aux promesses d’échanges du continent. Nous sommes encore loin du compte, car cela correspond à investir entre 50 et 70 milliards d’euros par an, sans négliger l’entretien croissant.
Mais ce changement implique aussi une révolution conceptuelle : comprendre que les anciens réseaux routiers ne sont plus à niveau ; qu’il faut entretenir les axes côtiers tout en développant ceux de l’intérieur ; qu’au-delà de l’amélioration de ses routes intérieures, le vrai défi est d’échanger avec ses voisins, et de désenclaver. En clair, pas d’union africaine et de rapprochement sans mutation du réseau routier.
Il est difficile de ne pas évoquer l’un des drames africains : ses routes meurtrières sur lesquelles des milliers de personnes meurent chaque année. Ce n’est pas qu’une cause du manque d’éclairage au-dessus des axes de transports. Dans un pays comme le Kenya, qu’on présente souvent à la pointe, seuls 17 % des routes sont goudronnées. Ainsi, depuis quinze ans, 10 % des morts sur la route succombent en Afrique subsaharienne, alors qu’il n’y a guère plus de 6 millions de voitures dans cette région du monde.
Globalement, cela correspond à un coût socio-économique de 2 % du produit intérieur brut africain. Le développement et l’amélioration des réseaux de transport ne sont donc pas seulement une motivation économique, c’est également un enjeu de développement social, de santé publique et d’environnement.
Mers et ciels africains, à la conquête des échanges
Un autre intérêt majeur serait de développer le secteur aéroportuaire, et de libérer les ailes de l’Afrique. Comme en Angola ou au Nigéria où l’on construit de vastes plateformes pour accueillir des milliers de passagers, de touristes bien sûr, mais aussi des hommes d’affaires africains, des familles et des curieux. Encore aujourd’hui, bon nombre de pays ont une "croissance aérienne" doublement supérieure à celle de leur propre économie ; il n’en est pas encore question en Afrique, où malgré une croissance qui côtoie les 5 % (contre 2,4 % dans les pays en voie de développement économique en 2015), on peine à faire décoller les aspirations dans le domaine aérien, pour étendre les horizons africains.
L’année dernière, le nombre de passagers dans le ciel africain a augmenté de 3 % (contre 0,9 % l’année précédente) ; c’est encourageant, mais en deçà des espérances si l’on reconnaît le potentiel accessible. L’Afrique ne représente encore que 2,4 % du trafic passager du globe, mais si les 12 premières puissances africaines ouvraient leur ciel à leurs voisins, cela ferait mécaniquement baisser le prix du transport d’un tiers, tandis que le trafic augmenterait de 81 % (soit 11 millions de passagers dans les airs) : un gain de près d’un milliard d’euros, 150 000 emplois, sans même avoir commencé le gros du travail !
Il s’agit ni plus ni moins que de se tenir à la déclaration de Yamoussoukro de 1988 : comme l’Afrique du Sud et la Zambie, lorsqu’ils ouvrent leur espace aérien ! Les prix baissent de 40 % et le nombre de passagers augmente d’autant. Lorsque le Maroc décide en 2005 d’ouvrir son espace à l’Europe ; le trafic augmente de 180 %, le nombre de passagers de 160 %, et le nombre de routes aériennes passent de 80 à 309. Qu’on ne s’y trompe pas : la prospérité africaine peut aussi venir des airs, et ce très rapidement.
Un Henry Ford africain pour libérer les mobilités
Ainsi des ports côtiers, ainsi des fabrications automobiles : l’Afrique compterait près de 41 millions de véhicules, soit 43 pour mille habitants (contre 174 pour mille en moyenne sur terre) même si l’Afrique du Sud, le Maroc, l’Égypte et l’Algérie représentent le gros de ce chiffre. Songez que l’Égypte, 3e producteur automobile africain en 2014, n’en fabriquait encore que 27 000 ! Rien qu’au Maroc, Renault en produit plus de 270 000 par an, et au Nigéria, entre 2006 et 2012, la production a augmenté de 125 %, avec 70 000 nouveaux emplois à la clé.
Il est évident que toutes ces contraintes infrastructurelles sont liées ; et ce cercle jusqu’ici vicieux pourrait bientôt délivrer le continent de l’étau qui l’enserre et l’empêche de mieux se mouvoir. Elle est loin l’époque d’Ali Pacha et de ses "rêves" de trains en Égypte ; aujourd’hui enfin l’Afrique peut gigoter et danser, désirer tramways, métros et trains grande vitesse !
Mais il faudra pour cela rendre les chemins accessibles au plus grand nombre : à peine un tiers des habitants africains des zones rurales vivent au contact de routes ; et comme le commerce intra-africain ne pèse que 10 % face aux échanges extérieurs des pays du continent, nul doute qu’il échappe encore à la population une bonne partie des bénéfices commerciaux de leur terre, qui s’envolent bien souvent à l’export. Seule la mise en place d’une nouvelle politique radicale dans le domaine des routes, des avions et des mers transporteront l’Afrique vers la prospérité.
@P_de_Moerloose
En savoir plus sur http://www.lesechos.fr/
Ce sont d’abord des routes qu’il faut construire
Avec 70 000 kilomètres de routes, l’Afrique ne représente que 7 % du réseau mondial, alors que le continent concentre 15 % de la population du globe, et 22 % de la superficie terrestre. Un retard certes, mais un formidable défi à relever ! Construire 70 000 à 100 000 kilomètres de routes en plus constitue sans aucun doute le défi du siècle pour l’Afrique.
Dans le même temps, les lacunes infrastructurelles haussent le coût des marchandises échangées entre pays africains de 30 % à 40 %. C’est de moitié supérieur à une situation équivalente en Asie ou en Amérique du Sud ! Cependant, il faudrait bien 4 points des PIB africains par an pendant dix ans pour construire et entretenir de nouvelles routes, adéquates aux promesses d’échanges du continent. Nous sommes encore loin du compte, car cela correspond à investir entre 50 et 70 milliards d’euros par an, sans négliger l’entretien croissant.
Mais ce changement implique aussi une révolution conceptuelle : comprendre que les anciens réseaux routiers ne sont plus à niveau ; qu’il faut entretenir les axes côtiers tout en développant ceux de l’intérieur ; qu’au-delà de l’amélioration de ses routes intérieures, le vrai défi est d’échanger avec ses voisins, et de désenclaver. En clair, pas d’union africaine et de rapprochement sans mutation du réseau routier.
Il est difficile de ne pas évoquer l’un des drames africains : ses routes meurtrières sur lesquelles des milliers de personnes meurent chaque année. Ce n’est pas qu’une cause du manque d’éclairage au-dessus des axes de transports. Dans un pays comme le Kenya, qu’on présente souvent à la pointe, seuls 17 % des routes sont goudronnées. Ainsi, depuis quinze ans, 10 % des morts sur la route succombent en Afrique subsaharienne, alors qu’il n’y a guère plus de 6 millions de voitures dans cette région du monde.
Globalement, cela correspond à un coût socio-économique de 2 % du produit intérieur brut africain. Le développement et l’amélioration des réseaux de transport ne sont donc pas seulement une motivation économique, c’est également un enjeu de développement social, de santé publique et d’environnement.
Mers et ciels africains, à la conquête des échanges
Un autre intérêt majeur serait de développer le secteur aéroportuaire, et de libérer les ailes de l’Afrique. Comme en Angola ou au Nigéria où l’on construit de vastes plateformes pour accueillir des milliers de passagers, de touristes bien sûr, mais aussi des hommes d’affaires africains, des familles et des curieux. Encore aujourd’hui, bon nombre de pays ont une "croissance aérienne" doublement supérieure à celle de leur propre économie ; il n’en est pas encore question en Afrique, où malgré une croissance qui côtoie les 5 % (contre 2,4 % dans les pays en voie de développement économique en 2015), on peine à faire décoller les aspirations dans le domaine aérien, pour étendre les horizons africains.
L’année dernière, le nombre de passagers dans le ciel africain a augmenté de 3 % (contre 0,9 % l’année précédente) ; c’est encourageant, mais en deçà des espérances si l’on reconnaît le potentiel accessible. L’Afrique ne représente encore que 2,4 % du trafic passager du globe, mais si les 12 premières puissances africaines ouvraient leur ciel à leurs voisins, cela ferait mécaniquement baisser le prix du transport d’un tiers, tandis que le trafic augmenterait de 81 % (soit 11 millions de passagers dans les airs) : un gain de près d’un milliard d’euros, 150 000 emplois, sans même avoir commencé le gros du travail !
Il s’agit ni plus ni moins que de se tenir à la déclaration de Yamoussoukro de 1988 : comme l’Afrique du Sud et la Zambie, lorsqu’ils ouvrent leur espace aérien ! Les prix baissent de 40 % et le nombre de passagers augmente d’autant. Lorsque le Maroc décide en 2005 d’ouvrir son espace à l’Europe ; le trafic augmente de 180 %, le nombre de passagers de 160 %, et le nombre de routes aériennes passent de 80 à 309. Qu’on ne s’y trompe pas : la prospérité africaine peut aussi venir des airs, et ce très rapidement.
Un Henry Ford africain pour libérer les mobilités
Ainsi des ports côtiers, ainsi des fabrications automobiles : l’Afrique compterait près de 41 millions de véhicules, soit 43 pour mille habitants (contre 174 pour mille en moyenne sur terre) même si l’Afrique du Sud, le Maroc, l’Égypte et l’Algérie représentent le gros de ce chiffre. Songez que l’Égypte, 3e producteur automobile africain en 2014, n’en fabriquait encore que 27 000 ! Rien qu’au Maroc, Renault en produit plus de 270 000 par an, et au Nigéria, entre 2006 et 2012, la production a augmenté de 125 %, avec 70 000 nouveaux emplois à la clé.
Il est évident que toutes ces contraintes infrastructurelles sont liées ; et ce cercle jusqu’ici vicieux pourrait bientôt délivrer le continent de l’étau qui l’enserre et l’empêche de mieux se mouvoir. Elle est loin l’époque d’Ali Pacha et de ses "rêves" de trains en Égypte ; aujourd’hui enfin l’Afrique peut gigoter et danser, désirer tramways, métros et trains grande vitesse !
Mais il faudra pour cela rendre les chemins accessibles au plus grand nombre : à peine un tiers des habitants africains des zones rurales vivent au contact de routes ; et comme le commerce intra-africain ne pèse que 10 % face aux échanges extérieurs des pays du continent, nul doute qu’il échappe encore à la population une bonne partie des bénéfices commerciaux de leur terre, qui s’envolent bien souvent à l’export. Seule la mise en place d’une nouvelle politique radicale dans le domaine des routes, des avions et des mers transporteront l’Afrique vers la prospérité.
@P_de_Moerloose
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