Beatrice Gorez, coordinatrice de la Coalition pour des accords de pêche équitables (Cape) : « La pêche artisanale est le modèle d’avenir en Afrique »



Les assises annuelles de programmation des activités de la Coalition pour des accords de pêche équitables (Cape) ont réuni, du 19 au 22février, à Bruxelles, les différents partenaires de l’organisation, notamment la confédération africaine des organisations professionnelles de pêche artisanale (Coapa) et le réseau des journalistes pour une pêche artisanale responsable en Afrique de l’Ouest (Rejoprao). La rencontre a été marquée, cette année, par la présentation du nouveau site de type wikipedia pour servir de base d’informations susceptibles de contribuer à l’amélioration de la transparence dans le secteur de la pêche. Le site www.transprentsea se veut une plateforme d’informations au service de la pêche et particulièrement des communautés de pêcheurs africains. La coordinatrice de la Cape, Mme Béatrice Gorez, évoque les enjeux du secteur et les perspectives pour une pêche responsable et durable en Afrique.

Quels sont les enjeux de cette rencontre axée sur la pêche artisanale et comment voyez– vous aujourd’hui le secteur ?
C’est une rencontre de programmation de nos activités pour les trois prochaines années et nous avons voulu associer nos partenaires notamment la confédération africaine des organisations professionnelles de pêche artisanale (Coapa) et le réseau des journalistes pour une pêche responsable en Afrique (Rejoprao). Nous avons fait cette rencontre de programmation parce que nous voyons que les enjeux, vu d’Europe mais aussi d’Afrique, évoluent beaucoup, donc il était important de réfléchir sur ces enjeux et de voir en quoi cela va changer. Par rapport à nos activités, nous sommes pour des accords de pêche équitables mais nous voyons aujourd’hui que ces accords deviennent de plus en plus marginaux. Ce qu’on voit se développer, ce sont surtout des multinationales qui se cachent derrière des sociétés mixtes pour pavillonner leurs bateaux dans des pays comme le Sénégal, la Mauritanie, etc. Les accords de pêche avec les pays de l’Union européenne ne sont que la face visible de l’iceberg mais en dessous, il y a autre chose qui n’a rien à voir avec les accords de pêche et qui n’est pas aussi transparent quelque part. On a le cas de ces sociétés mixtes qui manquent de transparence mais aussi celui des bateaux espagnols, français, asiatiques qui prennent le pavillon des pays côtiers ouest-africains et on ne sait pas trop bien ce qu’ils font parce qu’ils n’embarquent pas d’observateurs. Tout cela est donc une zone grise où il n’y a pas beaucoup d’informations. De ce fait, une chose importante qu’on a essayé de voir, c’est comment améliorer la transparence dans le secteur de la pêche en Afrique. C’est pour cela que nous avons essayé de développer un système de type Wikipedia qui va rassembler toutes les informations qui existent sur les conditions d’accès dans les différentes pêcheries, sur les licences, sur les accords de pêche, pour les mettre à la disposition du grand public. Le site sera une plateforme d’informations au service de la pêche et des communautés de pêcheurs en Afrique particulièrement.
Notre ambition est d’accompagner les communautés de pêcheurs, les aider à mieux comprendre les enjeux actuels de la pêche particulièrement.

La réforme de la politique commune de pêche continue encore de susciter d’intenses débats, pouvez-vous nous faire le point de la situation ?
C’est un processus qui a été très long. On a commencé en 2009 par un livre vert qui a été publié par la Commission européenne et, à cette époque déjà, nous avions mobilisé les organisations ouest-africaines pour donner leur avis. A cette époque, je crois que c’était le seul groupe hors Union européenne qui a donné son avis sur la politique européenne de la pêche. Ce qui est très pertinent parce que même si l’Afrique de l’Ouest ne fait pas partie de l’Europe, elle reçoit les impacts de la politique européenne de la pêche. Notamment par les flottes qui sont actives dans ou en dehors des accords de pêche.
En conséquence, il est très important que des gens qui sont victimes de cela puissent donner leur avis. Ils ont donc donné leur avis en 2009 et depuis lors, il y a eu des propositions qui ont été faites et qui sont passées au Parlement et au Conseil. Toutefois, la décision continue à se prendre. C’est un processus très long et très complexe mais ce qui est important aujourd’hui c’est que le Parlement européen vient de donner son opinion par rapport à la future politique commune de la pêche qui, dans les grandes lignes, soutient ce pourquoi nous et le partenaire ouest-africain avons plaidé, depuis le départ.

Vous êtes donc en phase avec la nouvelle politique ?
On est en phase avec la décision du Parlement européen. Malheureusement, cette décision n’est pas finalisée et elle doit maintenant retourner auprès des Etats membres de l’Union européenne qui vont donner leur décision. On sait qu’au niveau des Etats membres de l’Union européenne, nous avons beaucoup moins d’écoute car, ils écoutent, avant tout, les acteurs de la pêche industrielle.
Evidemment, le résultat risque d’être plus décevant pour nous que ce qu’a donné le Parlement européen.

Au menu de la dernière réunion de la Commission de la pêche, il y a eu le vote sur l’Accord entre l’Union européenne et la Mauritanie. Le cas échéant, cet accord ne risque-t-il pas d’avoir un effet boule de neige dans les pays voisins ?
L’accord en question n’est toujours pas signé. C’est aussi un processus très long et donc on se bat beaucoup avec nos partenaires mauritaniens, les acteurs de la pêche artisanale et les Ongs pour que ce soit vraiment un accord qui assure la durabilité et l’équité.
Pour nous, l’élément essentiel de cet accord, par rapport à cela, c’est que, s’il est voté, il sera le premier accord de non accès. C'est-à-dire, c’est un cadre qui empêcherait les bateaux européens d’avoir accès aux ressources et aux zones de pêche qui sont importantes pour la pêche artisanale mauritanienne. Je crois que si l’on arrive à cela, ce sera vraiment un tournant dans la politique de pêche parce que ce sera la première fois qu’un accord de pêche reconnaisse et respecte les besoins de la pêche artisanale locale.
Quelles sont, aujourd’hui, vos perspectives, particulièrement pour la zone ouest-africaine ?
Nous avons passé trois jours à discuter et parmi les grands axes qui se dégagent, il y a d’abord la transparence. Tout le monde a reconnu qu’il y a un manque de transparence tant au niveau des acteurs de la pêche industrielle que de la pêche artisanale. Mais aussi au niveau des gouvernements qui, par exemple, ne publient pas leur liste de bateaux sous licence et ne publient pas toujours non plus de données sur leur budget et sur la façon dont l’argent des accords de la pêche est dépensé. Il y a vraiment beaucoup d’endroits où il y a de l’opacité. On a beaucoup soulevé, par exemple au niveau du Sénégal, la question des sociétés mixtes qui agissent dans la plus grande opacité.
On a rappelé aussi qu’il y avait eu des octrois de licences de manière illégale à des chalutiers russes alors que cela n’est pas prévu par la loi. Il y a vraiment eu beaucoup d’exemples qui ont été donnés et qui ont montré que la transparence est vraiment une clé pour la participation des communautés côtières et des citoyens simplement.

La pêche artisanale se sent menacée par la pêche industrielle, est-ce votre avis ?
Je crois que la pêche artisanale a plus d’atouts par rapport à la pêche industrielle. Plusieurs personnes ont reconnu ici que, dans plusieurs pays africains, sans subventions et sans accords d’accès qui l’impose, la pêche industrielle est en train de mourir. Sid ‘Ahmed Ould Abeid de la Mauritanie a dit que chez lui, la pêche artisanale côtière est en train de se développer et elle est très dynamique. Il a dit que la pêche industrielle, en Mauritanie, est en train de mourir. Je crois qu’au niveau du Sénégal, si l’on regarde les débarquements et les exportations, le dynamisme ne vient pas de la pêche industrielle mais de la pêche artisanale. Cela montre qu’il y a une opportunité aujourd’hui pour la pêche artisanale, si elle est soutenue convenablement, de devenir le modèle de pêche dynamique en Afrique. Et pour cela, il y a des outils qui existent au niveau de la Fao par exemple, la négociation de lignes directrices d’appui à la pêche artisanale. Cela peut servir à accompagner la pêche artisanale pour qu’elle devienne le modèle préférentiel, c'est-à-dire le modèle de développement de la pêche en Afrique. Il faut se rappeler que la pêche industrielle, en Afrique, c’est une pêche d’importation. Aucun chalutier n’a jamais été construit en Afrique comme étant quelque chose de local. Ce sont tous des bateaux qui ont été importés d’Europe, de Chine, de Corée mais ce n’est pas une pêche locale. Si l’on ne la subventionne plus parce que, par exemple, dans le cas des accords de pêche, elle était très subventionnée mais si l’on arrête cela et qu’on arrête aussi de lui attribuer des licences par des moyens corrompus, illicites, opaques ; si elle doit être gérée au grand jour comme tout secteur avec des coûts et des bénéfices normaux dans beaucoup de cas, elle ne peut pas s’adapter. Je crois qu’on est à un tournant et que si l’on peut l’accompagner, la pêche artisanale sera le modèle d’avenir mais ce ne sera pas la pêche industrielle.
La pêche artisanale ne doit plus se sentir menacée par la pêche industrielle. C’est tout à fait le contraire.

Aujourd’hui, quel doit être la position des Etats africains par rapport à cela ?
Moi, je cois qu’ils doivent réfléchir à leur intérêt dans le long terme qui n’est pas d’avoir des bateaux qui sont chers à maintenir et qui font des bêtises parce qu’ils ne peuvent pas être rentables s’ils ne viennent pas pêcher à deux miles de la côte ou qui se permettent d’ignorer la loi. Je crois que ce n’est pas ça leur intérêt à long terme. Mais il s’agira plutôt d’accompagner la pêche artisanale, d’essayer de mieux la servir. Il faut lui fournir des infrastructures nécessaires, lui fournir un appui correct surtout en services de base pour qu’elle puisse se développer correctement. Le souhait de la pêche mondiale, c’est qu’on arrive à un modèle de pêche qui soit durable aussi bien au niveau social qu’environnemental. Et pour moi, ce modèle là, dans la majeure partie des cas, que ce soit en Afrique ou en Europe, est la pêche artisanale.



Croyez-vous à la capacité de la pêche artisanale d’assurer la sécurité alimentaire ?
C’est évident, par exemple, au niveau des petits pélagiques en Afrique de l’Ouest, la pêche artisanale est le vecteur qui permet une meilleure sécurité alimentaire aussi bien pour les hommes que les femmes. Parce que ce sont les hommes qui pêchent mais ce sont les femmes qui recueillent le poisson, le transforment et le mettent sur le marché.

Propos recueillis par notre envoyé spécial à Bruxelles, Adama Mbodj
Le Soleil

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