Moubarack LO, directeur de cabinet adjoint du président Macky SALL : « Intégrer la variable démographie dans toutes nos politiques sectorielles »

Il est important, aujourd’hui, de donner la qualification aux jeunes, de les éduquer et d’améliorer le système de santé au Sénégal. C’est la conviction de l’économiste Moubarack Lô qui a pris part à la sixième réunion annuelle de l’Union africaine et de la Commission économique pour l’Afrique (21 – 26 mars 2013, à Abidjan). C’est un défi, déclare-t-il dans cet entretien dans lequel il souligne, entre autres, la nécessité de mettre en place de bonnes politiques permettant de relancer l’économie.



Le taux de dépendance des jeunes est encore très élevé au Sénégal. Que faire pour faciliter l’accès à l’emploi à un plus grand nombre de personnes ?
Le taux de dépendance relie les personnes qui ne peuvent pas travailler et ceux qui sont actifs. D’après les dernières estimations, le Sénégal a un taux de dépendance de 1,15. Cela veut dire que 100 actifs prennent en charge 115 non actifs. Mais, je dois préciser que cette donnée est sans doute surestimée, parce qu’elle ne prend pas en compte les 2 millions de migrants sénégalais qui travaillent à l’extérieur. Si l’on avait incorporé cette dimension, on aurait eu, sans doute, un taux de dépendance encore plus faible. La situation ne serait pas aussi alarmante. Toujours est-il qu’il y a une baisse du taux de dépendance et que le Sénégal est en train de connaître une transition démographique avec une baisse de la mortalité et de la natalité. Le nombre d’enfants par femme qui était de 6,6 au milieu des années 80 est aujourd’hui à 5. Il y a, en moyenne, 5 enfants par femme et la tendance de l’indice synthétique de fécondité est à la baisse. Ce qui fait que nous sommes en train de bénéficier du dividende démographique, parce que la base de la population active qui est en train de s’élargir permet à la société de développer plus d’épargnes, mais également plus de productivités et de réduire le taux de dépendance. Le challenge pour une population importante où vous avez la moitié de la population qui a moins de 19 ans, c’est en termes de besoins d’éducation, de santé. Tout récemment vous avez entendu les problèmes qu’il y a à orienter des bacheliers à l’université. L’explication, c’est démographique. On a fait des institutions, mais au fil des années, avec les jeunes qui arrivent, les infrastructures ne peuvent pas suivre. C’est le problème à l’élémentaire, au secondaire et dans les centres de santé. C’est pourquoi, c’est extrêmement important pour nos pays d’intégrer la variable démographie comme variable transversale dans toutes nos politiques sectorielles. Parce que si vous ne prenez pas en charge la problématique de la démographie, vous allez faire des investissements, mais vous serez toujours en retard par rapport à la demande.

Quelles sont les stratégies que le Sénégal doit mettre en œuvre pour résoudre ces questions démographiques qui sapent la croissance économique?
Disons que la démographie ne sape pas la croissance économique, parce que le Sénégal bénéficie plutôt aujourd’hui d’un dividende démographique positif. La démographie sert plutôt la croissance économique. Mais, nous n’avons pas encore atteint le potentiel maximum. Dans la décennie 2010-2020, si les bonnes politiques sont mises en place, le Sénégal pourrait bénéficier, en termes économique, du fait d’avoir une population jeune. Mais, pour que ce dividende soit capitalisé, il faut que les jeunes soient formés, qu’ils aient un emploi, parce que pour pouvoir exprimer leurs potentiels, il faut bien qu’ils aient les qualifications, qu’ils aient des activités. C’est cela le défi. Il faut que ces jeunes soient aussi en bonne santé. Comment faire donc pour relancer l’économie et diversifier la base économique, donner la qualification aux jeunes, les éduquer, améliorer le système de santé et de nutrition ? Parce que cela aussi joue dans la survie des enfants, mais également dans l’amélioration du taux de mortalité maternelle, parce que tout cela contribue à renforcer le capital humain. Comment faire pour créer des emplois ?

Suffit-il, aujourd’hui, d’annoncer des programmes et de ne pas les mettre en œuvre ?
Je suis d’accord. Aujourd’hui, dans notre document de Stratégie nationale de développement économique et social, l’existence du dividende démographique est reconnue comme une opportunité qui s’offre à nous, dans la période 2000-2050, notamment dans cette période 2010-2020. Mais, au-delà de la reconnaissance, de la rhétorique, comment faire pour transformer les faits, améliorer le système de santé, la formation professionnelle, créer des emplois, permettre aux femmes qui désirent développer une contraception, d’accéder aux services dans le respect de nos valeurs culturelles ? Voilà les problématiques. Il faut voir comment faire pour financer le programme de planification familiale. Ce sont des choses concrètes pour lesquelles le Sénégal a pris des engagements. Maintenant, il faut qu’on tienne ces engagements. Il faut, année après année, quand on fait des évaluations, qu’on puisse découvrir qu’on est en train de réaliser les déclarations, car il ne faut pas que ce soit simplement des mots qu’on décline sans suivi.

Justement dans le domaine de la planification familiale, comment faire pour combattre les résistances socioculturelles ?
La culture est à la base de tout. Nous sommes dans une démocratie, il faut donc laisser le temps au temps et convaincre les populations à adopter certaines pratiques. Il faut que la planification familiale soit volontaire. La meilleure manière de le faire, c’est par l’éducation des filles. Si une fille est éduquée aujourd’hui, vous n’avez pas besoin de lui dire, elle sait qu’elle doit développer l’espacement des naissances, parce que c’est bon pour sa santé. Elle sait qu’avoir deux enfants sur une année est un risque pour elle. Pour cette raison, je crois beaucoup à la vertu de l’éducation. Mais, on ne va jamais avoir des changements en brusquant les cultures. Il faut laisser ces dernières faire leurs mutations, conserver ce qui doit l’être, s’ouvrir là où c’est nécessaire. C’est comme çà qu’il faut progresser. Sinon, on va avoir des tensions inutiles et on n’aura pas de résultats de toute façon.

Le financement de la santé n’est-il pas une contrainte ?
Le Sénégal fait beaucoup d’efforts, mais les investissements dans la santé ne sont pas suffisants. Il suffit d’aller dans les hôpitaux pour s’en rendre compte. Aujourd’hui, certains hôpitaux manquent de tout en termes d’équipements. C’est aussi là où encore une fois, au-delà de la rhétorique, que nous devons aller beaucoup plus de l’avant et mettre les ressources. On peut avoir un fonds de mise à niveau des infrastructures sanitaires qui peut représenter plusieurs milliers de milliards de F Cfa sur plusieurs années. Mais, aujourd’hui, il y a cette urgence de mettre à niveau les infrastructures sanitaires. J’ai visité le service Cancérologie de l’Hôpital Le Dantec, mais il ne répond pas aux normes. Je suis au regret de dire que je suis triste, surtout quand j’ai vu les conditions dans lesquelles les malades sont, avec une exiguïté des locaux. Le Sénégal mérite mieux que cela. En tant que collaborateur du chef de l’Etat Macky Sall, j’ose mettre les doigts sur les problèmes et dire que nous devons les attaquer. On ne doit pas laisser les problèmes s’accumuler année après année.

Compte tenu de ces éléments que vous évoquez, êtes-vous optimiste quant à la réalisation du dividende démographique au Sénégal. Surtout que la santé est considérée comme un élément moteur pour atteindre cet objectif ?
Il y a deux aspects pour le dividende démographique. D’ailleurs, on parle d’un double dividende. Il y a celui qui est automatique, qu’on obtient, parce que le ratio de dépendance baisse. Quand on a moins de personnes à prendre en charge par rapport aux actifs, on bénéficie, de facto, du dividende démographique. On peut faire plus d’épargne, parce qu’il y a moins de dépenses d’entretien. Mais, il y a un deuxième facteur plus important. Il s’agit de la productivité. C’est le deuxième dividende démographique. Pour obtenir ce facteur, il faut investir sur les personnes. Il faut donc donner de la qualification aux jeunes, les mettre en situation d’emploi. Dans ce domaine, je dois dire que tout reste à faire. Nous avons démarré un programme de scolarisation universelle, mais au-delà, le plus important, c’est la qualification professionnelle. Nous devons réorienter notre système éducatif pour permettre, jusqu’à 35% de nos jeunes, de pouvoir être scolarisés dans la formation professionnelle et technique. Dès la classe de troisième secondaire, on devrait orienter une bonne partie des jeunes vers la formation professionnelle, mais également réussir l’objectif d’amener toute une génération à ce niveau. Cela doit être une volonté forte pour garantir et promouvoir l'accès à l’emploi une fois qu’on a fini la formation ou à l’auto-emploi par le financement. Là également, des programmes seront lancés dès cette année.

Lesoleil

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