Héritière du Bureau organisation et méthodes (Bom), la Délégation générale à la réforme de l’Etat et à l’assistance technique (Dgreat) veut, désormais, atteindre sa vitesse de croisière sous l'impulsion du chef de l'Etat, Macky Sall, dont l'ambition est de doter le Sénégal d'une Administration publique efficace, facteur de développement. Déterminé à faire adhérer tous les Sénégalais à cette grande ambition du président de la République, le Délégué général Abdoul Aziz Tall dresse, en exclusivité pour « Le Soleil », les voies et moyens pour y parvenir.
M. le Délégué général, après une année d’exercice du nouveau régime, les Sénégalais sont curieux de connaître la vision du gouvernement en matière de réformes administratives. Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste-t-elle ?
Le chef de l’Etat a pour ambition de doter le Sénégal d’une administration publique moderne et efficace, capable d’impulser le développement politique et socio-économique du pays. Pour atteindre cet objectif, deux aspects fondamentaux devraient être impérativement intégrés par tous les acteurs impliqués.
Quels sont ces deux aspects fondamentaux que vous venez d’évoquer ?
D’une part, l’action des politiques publiques pour le développement ne sera qu’un vœu pieux si l’administration, qui en est l’instrument, n’est pas à la hauteur des ambitions. Une administration efficace et au service des citoyens reste une condition nécessaire pour la réussite des différentes politiques menées. Il faudra donc que les agents administratifs, à tous les niveaux, comprennent que leur obligation principale consiste à remplir les missions qui leur sont confiées avec efficacité et surtout répondre aux attentes des citoyens. Cette exigence constitue la trame de fond de la vision de Monsieur le président de la République en matière d’administration des services de l’Etat.
D’autre part, le déficit de citoyenneté sera toujours un frein à l’efficacité de l’action politique et administrative. La réforme du système administratif devrait s’accompagner d’une élévation de l’engagement des citoyens envers la chose publique. La vision du chef de l’Etat pour la réforme administrative repose sur la recherche d’une articulation savante entre ces deux nécessités et nous invitons tous les Sénégalais à porter ce credo qui reste la clé de notre développement économique et sociopolitique.
La Délégation générale à la réforme de l’Etat et à l’assistance technique est également très attendue dans ce domaine. Pouvez-vous nous édifier sur la place qu’elle occupe dans la nouvelle réforme ?
La Délégation générale à la réforme de l’Etat et à l’assistance technique (Dgreat) est une structure administrative d’études placée sous l’autorité du secrétaire général de la présidence. Elle joue un rôle de conseil et d’assistance en matière d’organisation administrative, de renforcement des capacités des institutions et ressources humaines de l’Etat, et de coordination de la politique nationale de coopération technique.
Le Sénégal a une vieille tradition en matière de réformes visant l’efficacité de l’administration. Quel rôle la Dgreat entend-elle jouer dans cette nouvelle vision du chef de l’Etat qui concerne l’administration publique ?
La Dgreat a pour mission de coordonner les politiques de modernisation de l’Etat et de réforme de l’administration. Elle est née des cendres de l’ancienne Délégation au management public issue de la réforme de 1992, elle même héritière de l’ex Bom (Bureau, organisation et méthodes). Elle occupe donc une place centrale dans le dispositif de réforme et d’amélioration des performances de l’administration publique souhaitées par le président de la République.
Comme le montre l’évolution institutionnelle qui a conduit à sa création, sa présence dans l’échiquier institutionnel traduit l’importance que les pouvoirs publics accordent à l’efficacité du management public. Une importance affichée par l’Etat depuis le début de l’indépendance (sauf la parenthèse des douze dernières années marquées par des pratiques administratives peu orthodoxes), mais dont les origines sont encore plus anciennes.
En effet, depuis la période précoloniale, la recherche de l’efficacité et de l’efficience dans la gestion des affaires publiques est une réalité. Au Sénégal, les empires, tels que ceux dirigés par Cheikhou Oumar Foutiyou Tall, Thierno Souleymane Baal ou Mabadiakhou Bâ, nous ont offert des modèles achevés de pratiques managériales que l’on peut encore mettre à profit aujourd’hui. Les différents leaders traditionnels avaient une connaissance poussée des notions et de la pratique de la division du travail, de la spécialisation, de la gestion du temps, de la planification et de la gestion des ressources humaines et matérielles.
Après les indépendances, la bataille pour l’application des normes de rationalité a continué. Suivant cet ordre d’idées, la mission qui consiste à définir les politiques menant à l’efficacité administrative n’est pas nouvelle.
C’est dire donc que le Sénégal a une longue tradition administrative, et qu’il a toujours entrepris des réformes institutionnelles dont le but était l’amélioration du rendement du service public. Elles ont été effectuées par touches successives, avec des tentatives de consolidation de chaque étape avant de passer à la phase suivante. Mais dans un contexte mondial en perpétuelle évolution, la réforme holistique envisagée par le chef de l’Etat se justifie par la nécessité d’une refondation du système administratif pour l’arrimer aux nouvelles missions de l’Etat et l’adapter à des réalités économiques, politiques, sociales et culturelles en mutation.
Par rapport à cet historique, quelle nouveauté propose la Dgreat ?
La nouveauté réside dans l’approche globale qui émerge de la vision prospective du président de la République, Macky Sall. Dans l'ancien dispositif institutionnel, la Dgreat se contentait d’assurer le secrétariat des différents organes de pilotage des réformes. Elle ambitionne désormais de jouer son vrai rôle avec un raffermissement de ses pouvoirs de décision et une confirmation de son statut de Bureau d’études des différents départements ministériels et de conseiller technique de la présidence, ainsi que de l’ensemble de l’administration centrale et décentralisée.
Cet objectif paraît fort ambitieux. Mais est-ce que l’état actuel de notre système administratif s’y prête facilement ?
L’état actuel du système rend la réforme impérieuse, puisque le régime précédent, issu de la première alternance (2000-2012), a non seulement remis en cause les avancées en matière de réformes administratives réalisées avant son avènement, mais a également affaibli la capacité de gestion de l’administration. Certaines tendances ont vu le jour, ou du moins se sont intensifiées, au cours de cette période, à savoir une inflation des structures ministérielles et une création tous azimuts d’agences et de directions nationales sans que cela ne soit suivi pour autant d’une réduction d’organes préexistants.
Du coup, cette tendance qui relevait de l’absence d’une vision stratégique globale et d’une gestion prospective a été source d’une redondance des organigrammes, de dédoublements des emplois et des missions, ainsi que de dysfonctionnements organisationnels dans le système administratif, causant des conflits de compétences, une dispersion des dépenses publiques, une certaine anarchie dans l’action administrative et un développement accéléré de pratiques peu orthodoxes au sein de l’appareil administratif. A cela se sont greffés une multiplicité et une lourdeur des procédures administratives, un affaiblissement des corps de contrôle, une gestion peu rationnelle des ressources humaines, une formation continue insuffisante et un système de motivation non incitatif.
Le gouvernement en charge des préoccupations des citoyens devra continuer à expliquer aux Sénégalais, parallèlement aux actions de redressement louables qu’il mène sous la conduite du Premier ministre, que certains problèmes requièrent des solutions qui pourraient remettre totalement en cause les formules coûteuses utilisées par l’ancien régime dans le domaine des infrastructures, de l’énergie, de l’habitat et autres, et que, de ce point de vue, les réponses à apporter ne seront pas aussi rapides et spontanées que les citoyens le souhaitent.
Au surplus, beaucoup de réformes ne pouvaient s’opérer qu’en relation avec l’Assemblée nationale, alors que celle-ci a été installée il y a à peine huit mois. C’est ce qui faisait dire à Mouhamadou Mbodj du Forum civil qu’en réalité, on ne doit pas parler d’un bilan d’une année, au regard du rôle que l’Assemblée nationale doit jouer dans les réformes à engager par le gouvernement.
Un travail d’envergure devrait être donc entrepris pour remettre le système sur orbite. D'où cette vision ambitieuse du nouveau régime qui va s’appuyer sur des agents de l’administration qui, nous en sommes convaincus, feront preuve, s’ils bénéficient d’un pilotage adéquat, de beaucoup de vaillance.
Qu’est-ce qui est envisagé pour la mise en œuvre de cette vision par le gouvernement ?
Un Schéma directeur pour la modernisation de l’administration publique a été conçu à partir d’une démarche inclusive. Il implique tous les acteurs de l’administration du secteur parapublic et de la société civile. Ce schéma est, aujourd’hui, le cadre référentiel de la modernisation de l’administration dans lequel on préconise un certain nombre de mesures qui ont pour finalité une rationalisation et une efficacité de l’action administrative, une efficience de la gestion des ressources et une institutionnalisation d’une culture d’évaluation et de reddition des comptes qui doivent être perçues non seulement comme une exigence économique, mais aussi en tant que pilier de la consolidation démocratique. Toutes ces mesures doivent aller de pair avec un renforcement des pouvoirs délégués, déconcentrés et décentralisés, un rapprochement de l’administration des citoyens et une amélioration des relations avec les usagers.
Pensez-vous qu’il sera aisé d’appliquer ces mesures dans un environnement aussi complexe que celui que vous venez de décrire ?
Ces différentes mesures doivent être instaurées à travers une approche basée sur une réelle pédagogie car les résistances, comme pour toute réforme, ne manqueront pas. La nouveauté liée à l’approche globale par une réforme fédératrice de l’ensemble des initiatives visant à une meilleure qualité du service public et la nécessité d’un temps pour le renforcement du dispositif institutionnel de pilotage pour la planification conceptuelle et l’appropriation des outils d’interventions, ainsi que la mise à niveau du personnel d’exécution ont conduit à la révision des échéances fixées, auparavant, sur une période de référence allant de 2012 à 2015.
Les différentes mesures du Schéma directeur pour la réforme de l’administration s’inscrivent désormais dans un horizon temporel allant de 2013 à 2025 et que nous jugeons plus réaliste pour une restructuration en profondeur d’une administration trouvée dans un état de désorganisation avancée. Au cours de cette échéance, l’administration sénégalaise devra se doter d’un cadre organisationnel, de mécanismes de pilotage et de suivi de la gestion publique conformes aux normes régionales et aux standards internationaux sur la qualité du service public.
Pour ce faire, nous allons travailler sur trois principaux axes stratégiques, à savoir la rénovation de l’organisation administrative, l’amélioration de la qualité de la gestion publique et celle de la qualité des services rendus aux citoyens. Il est ainsi envisagé la simplification et la modernisation des procédures administratives ; l’amélioration de la politique d’accueil du public ; la promotion de l’administration électronique ; la réorganisation de l’administration centrale, y compris la présidence et la primature ; l’approfondissement de la déconcentration et de la décentralisation ; la modernisation de la gestion des ressources humaines ; la promotion de la culture des résultats, ainsi que la révision des règles de gestion budgétaires et financières.
Le processus de réforme a-t-il réellement démarré ?
Nous sommes conscients de l’ampleur du travail qui nous attend, et nos réflexions sur le modèle opératoire nous ont amenés à diviser le travail en plusieurs phases. Nous sommes, à l’heure actuelle, dans la phase transitoire de la réalisation du Schéma directeur pour la réforme de l’administration qui se déroulera entre 2013 et 2014.
Il est envisagé l’adoption de textes qui rendent compte des exigences définies par les conventions régionales, notamment ‘‘La Déclaration des droits des citoyens dans leurs rapports avec l’administration et les services publics dans les Etats africains’’, et « la Charte africaine sur les valeurs et principes de la fonction publique et de l’administration », initiées par l’Union africaine ; l’amélioration du site des démarches administratives et l’automatisation des procédures relatives à l’investissement privé, la normalisation du processus de création et de modification des structures administratives, la réalisation d’audits stratégiques et organisationnels des ministères déjà annoncés par le chef de l’Etat lors du dernier conseil des ministres, et la mise en place d’un dispositif de planification et de suivi-évaluation, ainsi que d’unités statistiques pour la fiabilité des systèmes d’informations.
De manière pratique, comment comptez-vous procéder ?
Quelques ministères pilotes seront identifiés pour la mise en place de la réforme tandis que les structures déconcentrées seront dotées d’une charte de la déconcentration et feront l’objet d’une actualisation de leur cadre normatif et institutionnel. Il y aura également une évaluation des domaines et compétences transférées des collectivités locales pour un approfondissement de la décentralisation.
Dans ce vaste chantier, quelles sont les actions accomplies jusqu’ici pour atteindre ces objectifs ?
Ce vaste chantier, comme vous le dites, nous l’avons entamé. Nous avons, d’abord, établi l'état des lieux qui sert de point de départ des actions à entreprendre en matière de réforme. Nous avons commencé le processus de l’audit organisationnel dont les termes de référence sont prêts et avons procédé au démarrage de l’étude sur la rationalisation des agences dont le rapport sera déposé au plus tard en fin Juillet.
A une échelle plus grande, les actions phares que nous avons entamées sont relatives à l’instauration et à la vulgarisation de la Gestion axée sur les résultats (Gar) et des Contrats de performance (Cdp) liant les ministères et les services administratifs et agences sous leur tutelle. Ces deux outils visent à rationaliser l’action administrative et la gestion des fonds publics, tout en assurant une plus grande transparence, une lisibilité et une traçabilité de la gestion administrative. Il s’agit de faire en sorte que les fonds publics ne soient plus dépensés dans des activités pour lesquelles ils n’étaient pas destinés. En effet, la réforme devra permettre non seulement la rationalisation des agences, mais aussi la traçabilité des fonds publics.
Le président de la République souhaite profondément une révolution culturelle de l’administration sénégalaise au sein de laquelle l’évaluation et la reddition des comptes deviendront la règle, et l’impunité l’exception. En réalité, il s’agit d’un véritable changement de paradigme dans la gestion des affaires publiques.
Comment les usagers du service public vont-ils sentir ces changements que vous envisagez d’introduire ?
Le citoyen, nous ne le dirons jamais assez, est au cœur de l’action du service public. Malheureusement, ils sont, aujourd’hui, nombreux à avoir des appréhensions à se rendre auprès des services administratifs, craignant d’être mal accueillis. Une telle situation peut générer des pratiques de corruption ou de népotisme. Or, ce sont les principes d’égalité, de neutralité et de mutabilité qui doivent sous-tendre l’action du service public. C’est dire que l’amélioration de l’accueil constitue, indéniablement, une attente à laquelle la modernisation de l’Etat doit répondre pour faciliter, d’abord, les démarches des citoyens, mais aussi pour donner une meilleure image du service public.
Il reste entendu que l’accueil, tant physique que téléphonique, est un vecteur d’image essentiel ; c’est lui qui induit la confiance, la méfiance voire la défiance. Il est, en outre, le lieu par excellence d’incarnation de la relation à l’usager. C’est l’occasion de relever, pour le regretter, la manière souvent peu conviviale dont le citoyen est accueilli.
A cet égard, une action d’envergure de renforcement des capacités des agents de l’Etat est envisagée. Parallèlement à cette initiative, il convient de rappeler l’importance capitale à élever la conscience citoyenne à l’égard de la chose publique.
Les termes de références de ce programme de renforcement de capacités sont déjà préparés et certains partenaires se sont montrés très intéressés à participer à son financement. L’agent du service public devra intégrer, dans son action au quotidien, que le citoyen est au cœur de sa mission. Que le citoyen ne fréquente pas les services publics pour demander une faveur, mais pour solliciter un service auquel il a droit. Autrement dit, il doit être servi avec les mêmes égards, au même titre qu’un « client » qui fréquente un service commercial dans un environnement concurrentiel.
A ce propos, le chef de l’Etat insistait, dans sa communication, lors du conseil des ministres du 12 Juillet 2012, pour qu’une attention particulière soit accordée au traitement du courrier et aux rapports entre l’administration et les citoyens en termes d’accueil et de prise en charge de leurs demandes. Dans le cas spécifique des correspondances, c’est le lieu de rappeler qu’il y a une obligation de réponse à tout courrier adressé aux services de l’administration.
Propos recueillis par Cheikh THIAM - Pape SEYDI (photos)
Le Soleil
M. le Délégué général, après une année d’exercice du nouveau régime, les Sénégalais sont curieux de connaître la vision du gouvernement en matière de réformes administratives. Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste-t-elle ?
Le chef de l’Etat a pour ambition de doter le Sénégal d’une administration publique moderne et efficace, capable d’impulser le développement politique et socio-économique du pays. Pour atteindre cet objectif, deux aspects fondamentaux devraient être impérativement intégrés par tous les acteurs impliqués.
Quels sont ces deux aspects fondamentaux que vous venez d’évoquer ?
D’une part, l’action des politiques publiques pour le développement ne sera qu’un vœu pieux si l’administration, qui en est l’instrument, n’est pas à la hauteur des ambitions. Une administration efficace et au service des citoyens reste une condition nécessaire pour la réussite des différentes politiques menées. Il faudra donc que les agents administratifs, à tous les niveaux, comprennent que leur obligation principale consiste à remplir les missions qui leur sont confiées avec efficacité et surtout répondre aux attentes des citoyens. Cette exigence constitue la trame de fond de la vision de Monsieur le président de la République en matière d’administration des services de l’Etat.
D’autre part, le déficit de citoyenneté sera toujours un frein à l’efficacité de l’action politique et administrative. La réforme du système administratif devrait s’accompagner d’une élévation de l’engagement des citoyens envers la chose publique. La vision du chef de l’Etat pour la réforme administrative repose sur la recherche d’une articulation savante entre ces deux nécessités et nous invitons tous les Sénégalais à porter ce credo qui reste la clé de notre développement économique et sociopolitique.
La Délégation générale à la réforme de l’Etat et à l’assistance technique est également très attendue dans ce domaine. Pouvez-vous nous édifier sur la place qu’elle occupe dans la nouvelle réforme ?
La Délégation générale à la réforme de l’Etat et à l’assistance technique (Dgreat) est une structure administrative d’études placée sous l’autorité du secrétaire général de la présidence. Elle joue un rôle de conseil et d’assistance en matière d’organisation administrative, de renforcement des capacités des institutions et ressources humaines de l’Etat, et de coordination de la politique nationale de coopération technique.
Le Sénégal a une vieille tradition en matière de réformes visant l’efficacité de l’administration. Quel rôle la Dgreat entend-elle jouer dans cette nouvelle vision du chef de l’Etat qui concerne l’administration publique ?
La Dgreat a pour mission de coordonner les politiques de modernisation de l’Etat et de réforme de l’administration. Elle est née des cendres de l’ancienne Délégation au management public issue de la réforme de 1992, elle même héritière de l’ex Bom (Bureau, organisation et méthodes). Elle occupe donc une place centrale dans le dispositif de réforme et d’amélioration des performances de l’administration publique souhaitées par le président de la République.
Comme le montre l’évolution institutionnelle qui a conduit à sa création, sa présence dans l’échiquier institutionnel traduit l’importance que les pouvoirs publics accordent à l’efficacité du management public. Une importance affichée par l’Etat depuis le début de l’indépendance (sauf la parenthèse des douze dernières années marquées par des pratiques administratives peu orthodoxes), mais dont les origines sont encore plus anciennes.
En effet, depuis la période précoloniale, la recherche de l’efficacité et de l’efficience dans la gestion des affaires publiques est une réalité. Au Sénégal, les empires, tels que ceux dirigés par Cheikhou Oumar Foutiyou Tall, Thierno Souleymane Baal ou Mabadiakhou Bâ, nous ont offert des modèles achevés de pratiques managériales que l’on peut encore mettre à profit aujourd’hui. Les différents leaders traditionnels avaient une connaissance poussée des notions et de la pratique de la division du travail, de la spécialisation, de la gestion du temps, de la planification et de la gestion des ressources humaines et matérielles.
Après les indépendances, la bataille pour l’application des normes de rationalité a continué. Suivant cet ordre d’idées, la mission qui consiste à définir les politiques menant à l’efficacité administrative n’est pas nouvelle.
C’est dire donc que le Sénégal a une longue tradition administrative, et qu’il a toujours entrepris des réformes institutionnelles dont le but était l’amélioration du rendement du service public. Elles ont été effectuées par touches successives, avec des tentatives de consolidation de chaque étape avant de passer à la phase suivante. Mais dans un contexte mondial en perpétuelle évolution, la réforme holistique envisagée par le chef de l’Etat se justifie par la nécessité d’une refondation du système administratif pour l’arrimer aux nouvelles missions de l’Etat et l’adapter à des réalités économiques, politiques, sociales et culturelles en mutation.
Par rapport à cet historique, quelle nouveauté propose la Dgreat ?
La nouveauté réside dans l’approche globale qui émerge de la vision prospective du président de la République, Macky Sall. Dans l'ancien dispositif institutionnel, la Dgreat se contentait d’assurer le secrétariat des différents organes de pilotage des réformes. Elle ambitionne désormais de jouer son vrai rôle avec un raffermissement de ses pouvoirs de décision et une confirmation de son statut de Bureau d’études des différents départements ministériels et de conseiller technique de la présidence, ainsi que de l’ensemble de l’administration centrale et décentralisée.
Cet objectif paraît fort ambitieux. Mais est-ce que l’état actuel de notre système administratif s’y prête facilement ?
L’état actuel du système rend la réforme impérieuse, puisque le régime précédent, issu de la première alternance (2000-2012), a non seulement remis en cause les avancées en matière de réformes administratives réalisées avant son avènement, mais a également affaibli la capacité de gestion de l’administration. Certaines tendances ont vu le jour, ou du moins se sont intensifiées, au cours de cette période, à savoir une inflation des structures ministérielles et une création tous azimuts d’agences et de directions nationales sans que cela ne soit suivi pour autant d’une réduction d’organes préexistants.
Du coup, cette tendance qui relevait de l’absence d’une vision stratégique globale et d’une gestion prospective a été source d’une redondance des organigrammes, de dédoublements des emplois et des missions, ainsi que de dysfonctionnements organisationnels dans le système administratif, causant des conflits de compétences, une dispersion des dépenses publiques, une certaine anarchie dans l’action administrative et un développement accéléré de pratiques peu orthodoxes au sein de l’appareil administratif. A cela se sont greffés une multiplicité et une lourdeur des procédures administratives, un affaiblissement des corps de contrôle, une gestion peu rationnelle des ressources humaines, une formation continue insuffisante et un système de motivation non incitatif.
Le gouvernement en charge des préoccupations des citoyens devra continuer à expliquer aux Sénégalais, parallèlement aux actions de redressement louables qu’il mène sous la conduite du Premier ministre, que certains problèmes requièrent des solutions qui pourraient remettre totalement en cause les formules coûteuses utilisées par l’ancien régime dans le domaine des infrastructures, de l’énergie, de l’habitat et autres, et que, de ce point de vue, les réponses à apporter ne seront pas aussi rapides et spontanées que les citoyens le souhaitent.
Au surplus, beaucoup de réformes ne pouvaient s’opérer qu’en relation avec l’Assemblée nationale, alors que celle-ci a été installée il y a à peine huit mois. C’est ce qui faisait dire à Mouhamadou Mbodj du Forum civil qu’en réalité, on ne doit pas parler d’un bilan d’une année, au regard du rôle que l’Assemblée nationale doit jouer dans les réformes à engager par le gouvernement.
Un travail d’envergure devrait être donc entrepris pour remettre le système sur orbite. D'où cette vision ambitieuse du nouveau régime qui va s’appuyer sur des agents de l’administration qui, nous en sommes convaincus, feront preuve, s’ils bénéficient d’un pilotage adéquat, de beaucoup de vaillance.
Qu’est-ce qui est envisagé pour la mise en œuvre de cette vision par le gouvernement ?
Un Schéma directeur pour la modernisation de l’administration publique a été conçu à partir d’une démarche inclusive. Il implique tous les acteurs de l’administration du secteur parapublic et de la société civile. Ce schéma est, aujourd’hui, le cadre référentiel de la modernisation de l’administration dans lequel on préconise un certain nombre de mesures qui ont pour finalité une rationalisation et une efficacité de l’action administrative, une efficience de la gestion des ressources et une institutionnalisation d’une culture d’évaluation et de reddition des comptes qui doivent être perçues non seulement comme une exigence économique, mais aussi en tant que pilier de la consolidation démocratique. Toutes ces mesures doivent aller de pair avec un renforcement des pouvoirs délégués, déconcentrés et décentralisés, un rapprochement de l’administration des citoyens et une amélioration des relations avec les usagers.
Pensez-vous qu’il sera aisé d’appliquer ces mesures dans un environnement aussi complexe que celui que vous venez de décrire ?
Ces différentes mesures doivent être instaurées à travers une approche basée sur une réelle pédagogie car les résistances, comme pour toute réforme, ne manqueront pas. La nouveauté liée à l’approche globale par une réforme fédératrice de l’ensemble des initiatives visant à une meilleure qualité du service public et la nécessité d’un temps pour le renforcement du dispositif institutionnel de pilotage pour la planification conceptuelle et l’appropriation des outils d’interventions, ainsi que la mise à niveau du personnel d’exécution ont conduit à la révision des échéances fixées, auparavant, sur une période de référence allant de 2012 à 2015.
Les différentes mesures du Schéma directeur pour la réforme de l’administration s’inscrivent désormais dans un horizon temporel allant de 2013 à 2025 et que nous jugeons plus réaliste pour une restructuration en profondeur d’une administration trouvée dans un état de désorganisation avancée. Au cours de cette échéance, l’administration sénégalaise devra se doter d’un cadre organisationnel, de mécanismes de pilotage et de suivi de la gestion publique conformes aux normes régionales et aux standards internationaux sur la qualité du service public.
Pour ce faire, nous allons travailler sur trois principaux axes stratégiques, à savoir la rénovation de l’organisation administrative, l’amélioration de la qualité de la gestion publique et celle de la qualité des services rendus aux citoyens. Il est ainsi envisagé la simplification et la modernisation des procédures administratives ; l’amélioration de la politique d’accueil du public ; la promotion de l’administration électronique ; la réorganisation de l’administration centrale, y compris la présidence et la primature ; l’approfondissement de la déconcentration et de la décentralisation ; la modernisation de la gestion des ressources humaines ; la promotion de la culture des résultats, ainsi que la révision des règles de gestion budgétaires et financières.
Le processus de réforme a-t-il réellement démarré ?
Nous sommes conscients de l’ampleur du travail qui nous attend, et nos réflexions sur le modèle opératoire nous ont amenés à diviser le travail en plusieurs phases. Nous sommes, à l’heure actuelle, dans la phase transitoire de la réalisation du Schéma directeur pour la réforme de l’administration qui se déroulera entre 2013 et 2014.
Il est envisagé l’adoption de textes qui rendent compte des exigences définies par les conventions régionales, notamment ‘‘La Déclaration des droits des citoyens dans leurs rapports avec l’administration et les services publics dans les Etats africains’’, et « la Charte africaine sur les valeurs et principes de la fonction publique et de l’administration », initiées par l’Union africaine ; l’amélioration du site des démarches administratives et l’automatisation des procédures relatives à l’investissement privé, la normalisation du processus de création et de modification des structures administratives, la réalisation d’audits stratégiques et organisationnels des ministères déjà annoncés par le chef de l’Etat lors du dernier conseil des ministres, et la mise en place d’un dispositif de planification et de suivi-évaluation, ainsi que d’unités statistiques pour la fiabilité des systèmes d’informations.
De manière pratique, comment comptez-vous procéder ?
Quelques ministères pilotes seront identifiés pour la mise en place de la réforme tandis que les structures déconcentrées seront dotées d’une charte de la déconcentration et feront l’objet d’une actualisation de leur cadre normatif et institutionnel. Il y aura également une évaluation des domaines et compétences transférées des collectivités locales pour un approfondissement de la décentralisation.
Dans ce vaste chantier, quelles sont les actions accomplies jusqu’ici pour atteindre ces objectifs ?
Ce vaste chantier, comme vous le dites, nous l’avons entamé. Nous avons, d’abord, établi l'état des lieux qui sert de point de départ des actions à entreprendre en matière de réforme. Nous avons commencé le processus de l’audit organisationnel dont les termes de référence sont prêts et avons procédé au démarrage de l’étude sur la rationalisation des agences dont le rapport sera déposé au plus tard en fin Juillet.
A une échelle plus grande, les actions phares que nous avons entamées sont relatives à l’instauration et à la vulgarisation de la Gestion axée sur les résultats (Gar) et des Contrats de performance (Cdp) liant les ministères et les services administratifs et agences sous leur tutelle. Ces deux outils visent à rationaliser l’action administrative et la gestion des fonds publics, tout en assurant une plus grande transparence, une lisibilité et une traçabilité de la gestion administrative. Il s’agit de faire en sorte que les fonds publics ne soient plus dépensés dans des activités pour lesquelles ils n’étaient pas destinés. En effet, la réforme devra permettre non seulement la rationalisation des agences, mais aussi la traçabilité des fonds publics.
Le président de la République souhaite profondément une révolution culturelle de l’administration sénégalaise au sein de laquelle l’évaluation et la reddition des comptes deviendront la règle, et l’impunité l’exception. En réalité, il s’agit d’un véritable changement de paradigme dans la gestion des affaires publiques.
Comment les usagers du service public vont-ils sentir ces changements que vous envisagez d’introduire ?
Le citoyen, nous ne le dirons jamais assez, est au cœur de l’action du service public. Malheureusement, ils sont, aujourd’hui, nombreux à avoir des appréhensions à se rendre auprès des services administratifs, craignant d’être mal accueillis. Une telle situation peut générer des pratiques de corruption ou de népotisme. Or, ce sont les principes d’égalité, de neutralité et de mutabilité qui doivent sous-tendre l’action du service public. C’est dire que l’amélioration de l’accueil constitue, indéniablement, une attente à laquelle la modernisation de l’Etat doit répondre pour faciliter, d’abord, les démarches des citoyens, mais aussi pour donner une meilleure image du service public.
Il reste entendu que l’accueil, tant physique que téléphonique, est un vecteur d’image essentiel ; c’est lui qui induit la confiance, la méfiance voire la défiance. Il est, en outre, le lieu par excellence d’incarnation de la relation à l’usager. C’est l’occasion de relever, pour le regretter, la manière souvent peu conviviale dont le citoyen est accueilli.
A cet égard, une action d’envergure de renforcement des capacités des agents de l’Etat est envisagée. Parallèlement à cette initiative, il convient de rappeler l’importance capitale à élever la conscience citoyenne à l’égard de la chose publique.
Les termes de références de ce programme de renforcement de capacités sont déjà préparés et certains partenaires se sont montrés très intéressés à participer à son financement. L’agent du service public devra intégrer, dans son action au quotidien, que le citoyen est au cœur de sa mission. Que le citoyen ne fréquente pas les services publics pour demander une faveur, mais pour solliciter un service auquel il a droit. Autrement dit, il doit être servi avec les mêmes égards, au même titre qu’un « client » qui fréquente un service commercial dans un environnement concurrentiel.
A ce propos, le chef de l’Etat insistait, dans sa communication, lors du conseil des ministres du 12 Juillet 2012, pour qu’une attention particulière soit accordée au traitement du courrier et aux rapports entre l’administration et les citoyens en termes d’accueil et de prise en charge de leurs demandes. Dans le cas spécifique des correspondances, c’est le lieu de rappeler qu’il y a une obligation de réponse à tout courrier adressé aux services de l’administration.
Propos recueillis par Cheikh THIAM - Pape SEYDI (photos)
Le Soleil