La politique territoriale basée sur l’incompétence, la sectorisation, la cacophonie, l’improvisation, le laxisme et la politique politicienne est à l’origine des crises à répétition qui ont largement atteint les équilibres de nos territoires, accentuant notre sous-développement et aggravant la fracture entre nos villes et nos campagnes.
Au Sénégal, une bonne politique d’aménagement du territoire n’a jamais existé. Du moins, elle est reléguée au second plan. En tout cas, elle n’a jamais été la priorité des anciens régimes. Le constat est là et il très amer ; le Sénégal a un espace mal organisé, un territoire déséquilibré, des installations humaines incontrôlées et des ressources naturelles surexploitées ou mal exploitées. Cette situation freine son développement, hypothèque son patrimoine naturel et compromet l’avenir de ses générations futures.
Aménagement du territoire au Sénégal UN ESPACE MAL ORGANISÉ
Avec une situation géographique très favorable (carrefour entre l’Afrique, l’Europe et l’Amérique, bordé par l’océan Atlantique à l’Ouest, disposant de fleuves, de lacs, de vallées fossiles avec un réseau hydrographique relativement dense, un sol favorable à l’activité agricole), l’espace sénégalais est territorialement mal organisé du point de vue culturel, politique, administratif, socioéconomique et environnemental.
Une toponymie des territoires confuse
Le discours est un élément fondamental dans la construction d’un territoire. La toponymie désignant les noms des territoires (région, département, commune, communauté rurale et quartier) n’a jamais fait l’objet d’une étude approfondie et de ce fait, les politiques qui demandent la participation et l’appropriation des populations n’aboutiront jamais du fait des confusions. La capitale régionale, la capitale départementale et la commune ont le même nom. Exemple : région de Thiès, département de Thiès et la ville de Thiès. Malheureusement, celui qui habite à Tivaoune se sentira moins concerné par un projet de la région de Thiès qu’un habitant de la commune de Thiès. En 2007, lors d’une conférence sur le développement à Koungheul, 87 % des 300 personnes présentes dans la salle ignoraient le nom de leur président de conseil régional et personne n’était au courant d’un quelconque projet de la dite institution.
Des découpages administratifs et territoriaux basés sur de la politique politicienne
Un découpage doit viser à équilibrer et à développer les différents territoires. Il doit permettre une gestion cohérente et graduée du territoire national. Un découpage et une division administrative doivent obéir à des logiques : appartenance historique, bassin de vie, bassin économique, similitude socioculturelle et cohérence environnementale. Administrer un territoire, c’est faire de telle sorte que les populations puissent avoir accès au savoir, à l’avoir et au pouvoir de façon équitable et supportable. La division du territoire national en régions, départements, communes et communautés rurales n’est pas mauvaise, mais c’est la façon dont le territoire est découpé et morcelé qui est incohérent.
Pour un territoire de moins de 200.000 km², un découpage en 14 régions n’obéit pas à des logiques d’aménagement du territoire en terme de bassin économique, de spécialisation, de spécificité et de différenciation spatiale qui sont aujourd’hui les voies à emprunter pour résoudre les problèmes liés aux crises à répétition et aux dommages causés par la mondialisation.
Nos régions sont nombreuses, très petites et non spécialisées. Nos départements ne jouent pas leurs rôles et les communes et communautés rurales n’offrent pas les services attendus d’elles.
La Région de Kédougou est aujourd’hui dans une posture d’enfermement. Elle est obstruée par la région de Tambacounda. Elle souffre du fait de son enclavement, elle est même contrainte de passer par la Région de Tambacounda pour exister et s’exprimer au niveau national.
Une région n’a pas la même vocation qu’un département et une commune ne peut pas être un département !
Il y a trop de confusion dans l’armature territoriale du pays. Des départements ont été subitement transformés en région, des communes en départements et des communautés rurales en communes sans aucune réflexion préalable. Les mailles ne sont pas optimales, les périmètres ne sont pas pertinents et les rôles ne sont pas clairement définis.
Les communes sont trop nombreuses et trop disparates surtout dans la partie Ouest du pays. L’armature urbaine qui devrait être le système qui entretient l’existence de liens économique, démographique, créateur d’infrastructures… entre les villes n’est pas suivie et valorisée pour structurer et déterminer de façon très significative l’avenir du territoire national.
Les communautés rurales sont bien faites mais devraient être remplacées par des communes rurales pour mieux harmoniser l’organisation spatiale. Le territoire sénégalais est morcelé en sous territoires incohérents livrés à des acteurs le plus souvent incompétents. Les indicateurs de développement urbains montrent que la plupart des villes (excepté une partie de Dakar) ne se développent pas, même s’il y a des efforts considérables de l’Etat au niveau des infrastructures, les populations ne construisent pratiquement plus, le bâti ne se rénove presque pas. Les industries jadis nanties sont toutes fermées à l’image de la société de textile ICOTAF à Rufisque et à Pikine.
Une région a une vocation économique et son rôle doit être le développement économique !
Un département a une vocation de sécurité !
Une commune a une vocation de services urbains !
Une communauté rurale a une vocation de services ruraux !
Une décentralisation incomprise et improductive
La décentralisation est un bel outil de développement, de démocratie et de liberté, mais la nôtre a presque échoué. Cette décentralisation est copiée sur le modèle français qui ne correspond pas à nos réalités socioéconomiques et culturelles. Chaque territoire a ses spécificités, chaque société a sa façon de faire et de voir les choses. Notre décentralisation a échoué parce que les populations concernées n’y ont pas été invitées, parce que celles-ci n’y participent pas, parce que les populations ne se la sont pas appropriée, parce que la majeure partie de la population n’est pas au courant de l’existence d’une décentralisation au Sénégal. Pourquoi ? Les raisons sont multiples : les textes de la décentralisation sont illisibles et volumineux, la majeure partie des élus locaux ne les maîtrise pas. Le financement des collectivités locales reste très flou dans l’imaginaire populaire et l’Etat ne se bat pas comme il se doit contre cela. Il n’existe presque pas de structure évaluatrice de politique publique territoriale, les budgets de fonctionnement des collectivités locales sont beaucoup plus conséquents que ceux de leurs investissements ; parfois, ces derniers n’existent même pas. Certaines compétences sont trop lourdes pour les collectivités locales et devraient faire l’objet de mesures attentives de l’Etat ; il s’agit du foncier et de l’environnement. Au niveau des acteurs existe un laisser-aller total, on ne sait pas qui est qui et qui fait quoi. Il ne se passe pratiquement pas une saison sans que tel ou tel autre maire soit mêlé à des problèmes de litiges fonciers.
Une répartition spatiale de la végétation non structurée et non suivie
Dans les pays comme le nôtre, la politique écologique doit faire l’objet d’une attention très particulière. Certes les zones écologiques sont tributaires de la répartition climatique, mais l’aménagement du territoire prend en compte la biogéographie. Les arbres doivent faire l’objet d’une bonne répartition au niveau du territoire national afin d’avoir une autosuffisance alimentaire en fruits tropicaux, des activités créatrices d’emplois et de revenu avec les filières fruitières. Malheureusement, par le passé, le Sénégal a eu à importer le « Niim ». Cet arbre presque inutile voire nuisible et envahisseur a pris des proportions énormes et a un pouvoir de destruction massive sur les autres plantes. Le « Niim » comme nous avons l’habitude de le dire, c’est un arbre qui fait le vide autour de lui du fait de sa toxicité. L’arbre qui vit à coté meurt. Des initiatives comme les vacances citoyennes devraient plus se pencher sur la nécessité de planter des arbres à meilleur rendement plutôt que de semer partout des espèces végétales dont on n’évalue pas les externalités de façon générale.
DES TERRITOIRES DÉSÉQUILIBRÉS
Les territoires sénégalais sont caractérisés par des inégalités majeures et très marquées. Le premier déséquilibre oppose l’agglomération dakaroise aux autres villes. La capitale concentre la plus forte densité de population, les services, les infrastructures, le pouvoir décisionnel et les richesses. Le second déséquilibre oppose l’Ouest à l’Est du pays.
Déséquilibre Est/ouest
Les villes et les villages du Sénégal sont spatialement très mal répartis à travers le pays, près de
90% des localités sénégalaises (villes, villages et faubourgs) se trouve dans la partie ouest (Voir carte sur la répartition des localités du pays). La partie ouest est davantage peuplée et plus fortement urbanisée et industrialisée, les villes et les villages sont plus nombreux. La partie Est, plus rurale, est donc moins urbanisée, et connaît cependant depuis quelques années une fuite de ses ressources naturelles et de sa main d’œuvre. Les jeunes, étudiants et travailleurs, quittent ces territoires et vont s’installer dans la capitale. Les systèmes productifs locaux sont grippés et se résument à l’agriculture et au petit commerce.
Dakar et le gent1 sénégalais
« Paris et le désert français ». Cette formule de Jean-François Gravier suffirait pour décrire le phénomène de la macrocéphalie (part démesurée de la population et des activités économiques) urbaine en France à la fin de la seconde guerre mondiale. En nous inspirant de cette formule, nous pouvons aussi parler de « Dakar et le gent sénégalais ». En effet, la région dakaroise qui fait moins de 3% du territoire national concentre près de 36% de la population sénégalaise et regroupe près de 90% des services, des sièges sociaux des entreprises. Cette situation fait que Dakar continue de dévorer les ressources et les talents du reste du pays dans tous les domaines ; l'agglomération dakaroise se comporte comme un groupe monopolisateur dévorant la substance nationale. Elle attire de façon très dangereuse et non calculée des immigrés (exode rural et immigration internationale) de tout bord, des entreprises incontrôlées, des événements inattendus … Cette situation fait que Dakar est devenue obèse et est en proie à des maladies (inondations, problèmes de circulation, « cantinisation » des rues, insécurité, insalubrité, occupations illégales, quartiers spontanés…) ; ce qui lui vaut d’être attaquée par tous les vautours (les spéculateurs…) qui vont finir par lui enlever ses forêts classées et ses dernières réserves foncières.
DES INSTALLATIONS HUMAINES ANARCHIQUES
Toute installation humaine doit obéir à des règles à la fois naturelles et anthropiques pour des raisons de sécurité, de santé, d’hygiène, de confort et de bien-être. Une installation humaine doit dépendre de plusieurs facteurs surtout géomorphologiques ; stabilité du sol, du substrat, du réseau hydrographique… Les inondations à répétition montrent clairement des manquements dans la gestion des cités et une absence d’étude préalable des sols. Cette absence d’étude et de plan rigoureux de gestion urbaine ont conduit à un étalement urbain très anarchique aux alentours de
Dakar. Une installation humaine doit faire l’objet de contrôle et de régulation permanente afin de respecter les normes de construction et d’habitabilité. Le drame qui s’est produit à la Médina (incendie puis effondrement d’un immeuble causant la mort de quatre sapeurs-pompiers) et les inondations de cette année dans la banlieue, sont autant de preuves que les conditions d’installation n’obéissent pas aux règles contemporaines d’urbanisation.
DES RESSOURCES NATURELLES ET HUMAINES MAL EXPLOITEÉS
Les ressources humaines, animales, hydriques, végétales, pédologiques, halieutiques, énergétiques…sont d’une importance fondamentale pour le fonctionnement et l’équilibre de toute notre société et l’avenir des générations futures. Donc, leur gestion doit assurer la pérennité du patrimoine naturel tout en tenant compte des besoins essentiels des populations sans hypothéquer les patrimoines naturels, socio-économiques et culturels des générations futures. Une bonne gestion de ces ressources permettrait aux générations actuelles de subvenir à leurs besoins immédiats sans compromettre la possibilité pour les générations futures de répondre aux leurs.
Les ressources naturelles
Aujourd’hui, nous constatons un recul inquiétant de nos côtes emportant maisons, cimetières et routes… et ce phénomène est dû à l’érosion côtière, une déperdition de nos forêts, un lessivage graduel de nos sols, une baisse de productivité de la pêche, un bazardage de notre foncier. Naguère parmi les fleurons de notre économie, l’agriculture est maintenant en pleine crise avec la destruction de la filière arachidière.
On note l’absence d’une planification rigoureuse des activités économiques, caractérisée par une forte centralisation des décisions soutenue par une approche trop sectorielle ou une « agencisation » tous azimuts. Ces activités sectorielles et très éparses n'ont pas permis d'aborder efficacement le problème de la dégradation des ressources forestières ; l’inefficacité des mesures réglementaires due à leur méconnaissance par le grand public et même par ceux qui doivent veiller à leur application. Il se pose alors le problème du suivi, de l'application des textes, du manque de circulation des informations et des insuffisances dans le domaine de la sensibilisation.
On relève l’incohérence des mesures institutionnelles caractérisée par une coordination insuffisante des institutions en charge de la conservation des ressources naturelles et la difficulté de mobiliser les ressources financières et humaines ; l'absence des conditions favorables à l'épanouissement et à l'intervention efficace des populations ; l’absence d'un système d'information fiable sur l'évolution des ressources. A l'heure actuelle, peu d'informations sont disponibles sur la gestion des ressources naturelles.
Les ressources humaines
Le pays regorge de main d’œuvre très qualifiée ; nous avons de grandes écoles, de grandes universités et la diaspora sénégalaise est hautement formée dans les grandes universités du monde. Cependant, ce phénomène ne reflète pas ce qui se passe dans le pays : il manque du personnel qualifié surtout au niveau de collectivités locales. Les mairies, les conseils régionaux et les conseils ruraux sont gérés de façon informelle sans rigueur professionnelle, leur management souffre de réelles carences dans tous les domaines. La politique politicienne a miné nos systèmes de production et nos entreprises créatrices de revenus et d’emplois. La compétence, la performance, la création et l’innovation, sources de développement de tout territoire, devraient primer sur toutes autres considérations.
RECOMMANDATIONS
La prise de conscience d’une nécessaire réorientation d’un mode d’organisation, de production et de consommation aveugle s’impose face à l’augmentation des risques qui menacent notre pays, nos villes et nos villages. L'Aménagement du territoire est la seule et la plus appropriée des réponses à cette situation qui menace le patrimoine sénégalais et son développement. L'aménagement du territoire est une politique cohérente, transversale et très habile d’organisation de l’espace. Il constitue un ensemble de dispositifs, de techniques, d'actions et d'interventions qui visent à assurer une répartition adéquate de la population, des constructions, des activités économiques et des équipements et infrastructures, tout en tenant compte des contraintes naturelles et anthropiques à leur établissement ; il touche presque toutes les facettes de la vie. Il permet de déterminer où l'on construira des maisons et des usines, des routes et des rails, des ports et des aéroports, des barrages et des centrales électriques, où l'on aménagera des terrains de loisir et des écoles et où seront offerts les services essentiels de la collectivité comme les hôpitaux, les écoles... L'aménagement du territoire consiste à exploiter judicieusement nos terres et nos richesses naturelles. Il permet à chaque pays, chaque région ou chaque commune de se fixer des objectifs quant à la façon dont il veut se développer et de trouver des moyens de réaliser ces objectifs, tout en tenant compte des importantes considérations sociales, économiques et environnementales. L'aménagement du territoire est le levier du développement de tout territoire. Ce développement est un processus qualitatif et prospectif de transformation des structures économiques, démographiques, sociales, culturelles, environnementales, éducatives... d’un territoire ; donc, il est par nature transversal et décloisonné. Il regroupe, croise et associe diverses compétences sectorielles, divers types d'acteurs et divers outils techniques.
Hier, nous étions 10 millions, aujourd’hui nous sommes presque 14 millions et demain nous serons 20 millions de sénégalais. Nos besoins en équipements, en infrastructures, en services, en énergie, en eau, en aliments, en transports… ne cesseront d’augmenter et notre territoire national ne s’agrandira pas, donc, il est indispensable de le maîtriser pour mieux l’organiser et d’utiliser judicieusement toutes ses ressources. Cela passera forcement par une intelligence économique spatiale avec des territoires de jprojet, des territoires équilibrés, des territoires compétitifs et innovateurs, des territoires spécialisés et différenciés et des territoires complémentaires. Mais aussi avec un maillage cohérent et équilibré du territoire en équipements et infrastructures économiques, sanitaires, éducatifs…
Pour pouvoir développer ce pays, il faut que le Sénégal ait la capacité de s'évaluer globalement et de mettre en place collectivement des politiques publiques cohérentes et porteuses. La sectorisation des politiques publiques territoriales n'a fait que trop peu avancer les choses. Nous avons besoin d'une réforme territoriale transversale et audacieuse qui touche tout et tout le monde, à savoir les secteurs, les acteurs, les infrastructures, les villes, les campagnes, les syndicats, les domaines, les institutions… dont la finalité est de réduire les inégalités, de créer des entreprises, de former et d’offrir aux jeunes des emplois, d’éradiquer les inondations, de permettre la fluidité des déplacements, d’atteindre l’autosuffisance alimentaire, d’effacer les déserts médicaux, de nous protéger contre les risques de tous ordres…
Pour ce faire, nous devons nous appuyer sur une véritable planification qui guidera et orientera nos actions dans l’espace et dans le temps à court, moyen et long terme.
C’est dans cette logique que je préconise le renforcement de l’ANAT (Agence Nationale d’Aménagement du Territoire) et la création d’une DNAT (délégation nationale à l’aménagement du territoire) qui sera composée de personnes (publiques et privées) issues de toutes les couches de la population, de tous les secteurs d’activité. Cette dernière coordonnera, surveillera et évaluera les politiques publiques territoriales tandis l’ANAT aura comme mission de doter le Sénégal des instruments de maîtrise de son territoire, de protection de son territoire, de planification et de prospective territoriale traduisant l’encadrement de l’aménagement du territoire qui est le levier de son développement harmonieux et durable.
Aujourd’hui la population est estimée à environ 14 millions habitants en majorité des jeunes soit une densité moyenne de plus 73 h/km². Le Sénégal accueille chaque année de nombreux étrangers venus des pays pauvres et politiquement instables de la sous-région. Le taux de croissance naturel de la population est de 2,5 % et plus du 1/4 de la population est concentré dans la région dakaroise. Le pays s’est profondément transformé au cours de ces dernières décennies. Cette mutation est essentiellement caractérisée par le « développement » des territoires littoraux et la partie Ouest du pays fortement urbanisés et le dépeuplement progressif et le sous équipement de la partie est du pays rural et très pauvre.
Selon les projections de 2030, 80% des sénégalais habiteront en ville, les 70% dans la partie Ouest du pays dont 51% dans moins de 4% territoire national. Cette forte concentration humaine dans les centres urbains de l’Ouest du pays a des déséquilibres structurels déjà très prononcés et des dysfonctionnements défavorables à un développement harmonieux du Sénégal.
Le territoire sénégalais est aujourd’hui marqué par :
- une toponymie inadéquate des territoires,
- une décentralisation qui tarde à produire des effets escomptés,
- une division territoriale et administrative peu cohérente,
- une économie fortement phagocytée par le secteur informel ;
- une urbanisation rapide et mal maîtrisée ;
- un niveau d’équipement en infrastructures de communication insuffisant et non performant ;
- un sous-équipement en infrastructures socio collectives ;
- une grande dépendance et un faible taux de couverture énergétique ;
- la dégradation grandissante et constante des ressources naturelles ;
- l’inexistence d’une organisation spatiale cohérente de développement ;
- l’absence d’initiatives volontaristes permettant de tirer profit de la position géographique avantageuse du pays ;
- l’existence d’initiatives sectorielles cloisonnées, peu cohérentes entre elles;
- un exode rural massif non contrôlé;
- une avancée du désert dans le Nord ;
- une salinisation des sols dans le sine-Saloum
- un conflit dans le sud
- des systèmes productifs locaux très informels;
L’ensemble de ces déficiences réduit considérablement les performances du pays en matière de développement socio-économique, de développement durable, de la modernisation et de l’innovation.
Aujourd’hui l’aménagement du territoire qui est le levier du développement du Sénégal doit faire face à plusieurs défis. Il s’agit essentiellement de :
- rendre le territoire national lisible cohérent et compétitif pour attirer les investissements (étrangers et nationaux) nécessaires à l’essor économique et social ;
- réduire les disparités entre les différentes régions et entre les différentes villes du territoire national et actionner les solidarités ainsi que les complémentarités entre territoires ;
- prendre en compte la décentralisation qui fait des collectivités locales et des populations les principaux acteurs du développement local.
Relever ces défis, devient un exercice délicat, qui exige de l’aménagement du territoire des arbitrages d’une part, entre la compétitivité, la cohésion sociale et la préservation des ressources naturelles, et d’autre part entre les différents acteurs aux intérêts souvent divergents.
L’Etat avait mis en place la DAT (Direction de l’Aménagement du Territoire) chargée de piloter la politique en matière d’aménagement du territoire. Mais cette direction avec ses moyens humains, techniques et matériels très limités voire insuffisants ne peut pas atteindre les objectifs du Sénégal, d’où la nécessité de créer une grande structure transversale charger de coordonner la politique d’aménagement du territoire Sénégalais.
Une DNAT (Délégation Nationale à l’Aménagement du Territoire) ou une DIAT (Délégation Interministérielle à l’Aménagement du Territoire) s’impose.
Aujourd’hui, avec les nouveaux rapports mondiaux, les partenariats internationaux et sous-régionaux, la libéralisation de l’économie, le processus de décentralisation engagée depuis 1996, le changement climatique, la nécessité de retenir comme priorité l’approche d’aménagement du territoire afin de fournir des cadres de référence et de cohérence à l’Etat, aux collectivités et à tous les acteurs sur le territoire en matière de développement s’affirme.
L’ANAT et une DNAT s’avèrent être deux instruments indispensables pour réaliser cette politique.
Fort des enseignements tirés des expériences étrangères et eu égard au contexte sénégalais, il parait plus avisé d’entreprendre une démarche réaliste, pragmatique et opérationnelle, à savoir le renforcement de l’ANAT et la mise en place de la DNAT qui se chargeraient d’exécuter la politique nationale en matière d’aménagement du territoire et de coordonner sa mise en œuvre. Les deux structures auront pour vocation de traduire spatialement une vision transversale du territoire national et de son évolution, en déclinant les orientations stratégiques en matière d’aménagement et de développement équilibré du territoire.
Le plan d’actions de l’ANAT et de la DNAT est de mettre en place une politique territoriale cohérente avec des projets structurants cohérents, agencés dans le temps et dans l’espace, aux fins d’améliorer les indicateurs d’attractivité et de compétitivité de l’ensemble du territoire national.
Les deux structures doivent permettre au Sénégal de disposer d’une image d’ensemble de l’évolution de son territoire qui permettra par la suite de conjuguer les efforts des différents acteurs façonnant la physionomie et le fonctionnement du territoire national (administrations de l’Etat, collectivités territoriales, partenaires au développement, société civile, opérateurs privés...), et d’organiser leurs interventions dans un cadre de cohérence globale pour les prochaines décennies.
L’ANAT et la DNAT, en reposant sur des principes de cohérence spatiale, d’équité territoriale, de vision partagée permettront d’introduire la dimension spatiale dans l’exercice de la planification du développement du Sénégal. Il proposera les voies et moyens pour valoriser les atouts, lever les handicaps pour assurer un développement durable du Sénégal.
L’ANAT et la DNAT serviront à la fois d’instruments d’ordonnancement des principaux équipements et projets stratégiques de développement et surtout de tableau de bord, en indiquant les actions majeures à mener au cours des années à venir et auquel l’on se référera périodiquement pour évaluer le chemin parcouru, corriger les écarts et repréciser les ambitions de l’Etat.
A terme, l’ANAT et la DNAT exerceront la planification spatiale du Sénégal, et cette dernière permettra de garantir aux populations sénégalaises, un accès meilleur et équitable, aux biens et services constituant leurs moyens d’existence durable, et nécessaires pour la réduction de la pauvreté et la promotion effective du développement.
Ces deux instruments auront comme vocation la mise en place :
- d’une LTOAT (loi transversale d’orientation pour l’aménagement du territoire)
- d’un Observatoire National des Territoires (maîtrise parfaite du territoire sénégalais dans tous les domaines : prévision, alerte, innovation, prospective…)
- d’un PNADT (Plan National d’Aménagement et de Développement du Territoire) supplanterait l’actuel PNAT.
Le PNADT aura pour objectif de :
Repenser le découpage territorial et la division administrative du pays :
- 6 régions économiques (mutualiser les moyens et faire du développement régional)
- 30 départements (sécurité, prévention, social…)
- Remplacer la communauté rurale par la commune rurale
Structurer la toponymie des territoires (différencier le nom de la région, du nom du département et du nom de la ville capitale – Par exemple : Région = Saloum, Département = Ndangane, commune de Kaolack)
Réorganiser la décentralisation :
- Résumer les textes, les rendre lisibles et les traduire dans les langues nationales
- Organiser des débats publics et faire adopter cette politique publique à la population
Adopter une politique d’intelligence économique des territoires et spécialiser les régions (Mettre en place six (6) pôles régionaux : région agricole, région minière, région industrielle pour qu’elles soient complémentaires et non concurrentes)
Equilibrer les territoires :
- désengorger Dakar,
- Inciter les entreprises à délocaliser dans les autres régions,
- Résorber le déséquilibre entre le monde rural et les centres urbains pour fixer les populations dans leurs territoires
- Lutter contre l’exode rural par la méthode des infrastructures à caractères structurants,
- Rendre les collectivités locales créatrices d’emplois,
Schématiser l’urbanisation :
- Etablir des schémas directeurs complets pour toutes les communes et mettre en place un programme de rénovation et de restructuration urbaine,
Repenser les transports :
- Adopter une politique de désenclavement du territoire national,
- Professionnaliser les transports de telle sorte qu’ils soient une ressource créatrice d’emplois et de revenus,
- Redynamiser le transport ferroviaire,
- Moderniser les transports maritimes et fluviaux,
Territorialiser certains domaines, certaines activités… (Par exemple territorialiser le football et la culture afin qu’ils soient professionnels et créateurs d’emplois et de revenu)
Zoner la végétation (organiser économiquement la répartition spatiale de la végétation, structurer et territorialiser l’agriculture)
Structurer la gestion des ressources naturelles (mise en place de dispositifs pour mieux exploiter et protéger les ressources)
Eradiquer les inondations
Arrêter l’érosion côtière
Enrayer l’avancée du désert dans le nord
Stopper la salinisation des sols dans le sine et le Saloum
Réorganiser l’armature urbaine du pays
Revitaliser certaines vallées
Promouvoir les ressources humaines (création d’un Cv-thèque national afin de dénicher tous les talents du pays)
Inciter les décideurs à la volonté et au courage politique
Mener une politique d’adressage des rues,
Sensibiliser les populations à la citoyenneté (Formation, dialogue, information, incitation, sensibilisation)
Mettre en place des institutions évaluatrices des politiques publiques territoriales
Mamadou DJIGO
Ingénieur en aménagement du territoire
Spécialiste de l’action territoriale
Au Sénégal, une bonne politique d’aménagement du territoire n’a jamais existé. Du moins, elle est reléguée au second plan. En tout cas, elle n’a jamais été la priorité des anciens régimes. Le constat est là et il très amer ; le Sénégal a un espace mal organisé, un territoire déséquilibré, des installations humaines incontrôlées et des ressources naturelles surexploitées ou mal exploitées. Cette situation freine son développement, hypothèque son patrimoine naturel et compromet l’avenir de ses générations futures.
Aménagement du territoire au Sénégal UN ESPACE MAL ORGANISÉ
Avec une situation géographique très favorable (carrefour entre l’Afrique, l’Europe et l’Amérique, bordé par l’océan Atlantique à l’Ouest, disposant de fleuves, de lacs, de vallées fossiles avec un réseau hydrographique relativement dense, un sol favorable à l’activité agricole), l’espace sénégalais est territorialement mal organisé du point de vue culturel, politique, administratif, socioéconomique et environnemental.
Une toponymie des territoires confuse
Le discours est un élément fondamental dans la construction d’un territoire. La toponymie désignant les noms des territoires (région, département, commune, communauté rurale et quartier) n’a jamais fait l’objet d’une étude approfondie et de ce fait, les politiques qui demandent la participation et l’appropriation des populations n’aboutiront jamais du fait des confusions. La capitale régionale, la capitale départementale et la commune ont le même nom. Exemple : région de Thiès, département de Thiès et la ville de Thiès. Malheureusement, celui qui habite à Tivaoune se sentira moins concerné par un projet de la région de Thiès qu’un habitant de la commune de Thiès. En 2007, lors d’une conférence sur le développement à Koungheul, 87 % des 300 personnes présentes dans la salle ignoraient le nom de leur président de conseil régional et personne n’était au courant d’un quelconque projet de la dite institution.
Des découpages administratifs et territoriaux basés sur de la politique politicienne
Un découpage doit viser à équilibrer et à développer les différents territoires. Il doit permettre une gestion cohérente et graduée du territoire national. Un découpage et une division administrative doivent obéir à des logiques : appartenance historique, bassin de vie, bassin économique, similitude socioculturelle et cohérence environnementale. Administrer un territoire, c’est faire de telle sorte que les populations puissent avoir accès au savoir, à l’avoir et au pouvoir de façon équitable et supportable. La division du territoire national en régions, départements, communes et communautés rurales n’est pas mauvaise, mais c’est la façon dont le territoire est découpé et morcelé qui est incohérent.
Pour un territoire de moins de 200.000 km², un découpage en 14 régions n’obéit pas à des logiques d’aménagement du territoire en terme de bassin économique, de spécialisation, de spécificité et de différenciation spatiale qui sont aujourd’hui les voies à emprunter pour résoudre les problèmes liés aux crises à répétition et aux dommages causés par la mondialisation.
Nos régions sont nombreuses, très petites et non spécialisées. Nos départements ne jouent pas leurs rôles et les communes et communautés rurales n’offrent pas les services attendus d’elles.
La Région de Kédougou est aujourd’hui dans une posture d’enfermement. Elle est obstruée par la région de Tambacounda. Elle souffre du fait de son enclavement, elle est même contrainte de passer par la Région de Tambacounda pour exister et s’exprimer au niveau national.
Une région n’a pas la même vocation qu’un département et une commune ne peut pas être un département !
Il y a trop de confusion dans l’armature territoriale du pays. Des départements ont été subitement transformés en région, des communes en départements et des communautés rurales en communes sans aucune réflexion préalable. Les mailles ne sont pas optimales, les périmètres ne sont pas pertinents et les rôles ne sont pas clairement définis.
Les communes sont trop nombreuses et trop disparates surtout dans la partie Ouest du pays. L’armature urbaine qui devrait être le système qui entretient l’existence de liens économique, démographique, créateur d’infrastructures… entre les villes n’est pas suivie et valorisée pour structurer et déterminer de façon très significative l’avenir du territoire national.
Les communautés rurales sont bien faites mais devraient être remplacées par des communes rurales pour mieux harmoniser l’organisation spatiale. Le territoire sénégalais est morcelé en sous territoires incohérents livrés à des acteurs le plus souvent incompétents. Les indicateurs de développement urbains montrent que la plupart des villes (excepté une partie de Dakar) ne se développent pas, même s’il y a des efforts considérables de l’Etat au niveau des infrastructures, les populations ne construisent pratiquement plus, le bâti ne se rénove presque pas. Les industries jadis nanties sont toutes fermées à l’image de la société de textile ICOTAF à Rufisque et à Pikine.
Une région a une vocation économique et son rôle doit être le développement économique !
Un département a une vocation de sécurité !
Une commune a une vocation de services urbains !
Une communauté rurale a une vocation de services ruraux !
Une décentralisation incomprise et improductive
La décentralisation est un bel outil de développement, de démocratie et de liberté, mais la nôtre a presque échoué. Cette décentralisation est copiée sur le modèle français qui ne correspond pas à nos réalités socioéconomiques et culturelles. Chaque territoire a ses spécificités, chaque société a sa façon de faire et de voir les choses. Notre décentralisation a échoué parce que les populations concernées n’y ont pas été invitées, parce que celles-ci n’y participent pas, parce que les populations ne se la sont pas appropriée, parce que la majeure partie de la population n’est pas au courant de l’existence d’une décentralisation au Sénégal. Pourquoi ? Les raisons sont multiples : les textes de la décentralisation sont illisibles et volumineux, la majeure partie des élus locaux ne les maîtrise pas. Le financement des collectivités locales reste très flou dans l’imaginaire populaire et l’Etat ne se bat pas comme il se doit contre cela. Il n’existe presque pas de structure évaluatrice de politique publique territoriale, les budgets de fonctionnement des collectivités locales sont beaucoup plus conséquents que ceux de leurs investissements ; parfois, ces derniers n’existent même pas. Certaines compétences sont trop lourdes pour les collectivités locales et devraient faire l’objet de mesures attentives de l’Etat ; il s’agit du foncier et de l’environnement. Au niveau des acteurs existe un laisser-aller total, on ne sait pas qui est qui et qui fait quoi. Il ne se passe pratiquement pas une saison sans que tel ou tel autre maire soit mêlé à des problèmes de litiges fonciers.
Une répartition spatiale de la végétation non structurée et non suivie
Dans les pays comme le nôtre, la politique écologique doit faire l’objet d’une attention très particulière. Certes les zones écologiques sont tributaires de la répartition climatique, mais l’aménagement du territoire prend en compte la biogéographie. Les arbres doivent faire l’objet d’une bonne répartition au niveau du territoire national afin d’avoir une autosuffisance alimentaire en fruits tropicaux, des activités créatrices d’emplois et de revenu avec les filières fruitières. Malheureusement, par le passé, le Sénégal a eu à importer le « Niim ». Cet arbre presque inutile voire nuisible et envahisseur a pris des proportions énormes et a un pouvoir de destruction massive sur les autres plantes. Le « Niim » comme nous avons l’habitude de le dire, c’est un arbre qui fait le vide autour de lui du fait de sa toxicité. L’arbre qui vit à coté meurt. Des initiatives comme les vacances citoyennes devraient plus se pencher sur la nécessité de planter des arbres à meilleur rendement plutôt que de semer partout des espèces végétales dont on n’évalue pas les externalités de façon générale.
DES TERRITOIRES DÉSÉQUILIBRÉS
Les territoires sénégalais sont caractérisés par des inégalités majeures et très marquées. Le premier déséquilibre oppose l’agglomération dakaroise aux autres villes. La capitale concentre la plus forte densité de population, les services, les infrastructures, le pouvoir décisionnel et les richesses. Le second déséquilibre oppose l’Ouest à l’Est du pays.
Déséquilibre Est/ouest
Les villes et les villages du Sénégal sont spatialement très mal répartis à travers le pays, près de
90% des localités sénégalaises (villes, villages et faubourgs) se trouve dans la partie ouest (Voir carte sur la répartition des localités du pays). La partie ouest est davantage peuplée et plus fortement urbanisée et industrialisée, les villes et les villages sont plus nombreux. La partie Est, plus rurale, est donc moins urbanisée, et connaît cependant depuis quelques années une fuite de ses ressources naturelles et de sa main d’œuvre. Les jeunes, étudiants et travailleurs, quittent ces territoires et vont s’installer dans la capitale. Les systèmes productifs locaux sont grippés et se résument à l’agriculture et au petit commerce.
Dakar et le gent1 sénégalais
« Paris et le désert français ». Cette formule de Jean-François Gravier suffirait pour décrire le phénomène de la macrocéphalie (part démesurée de la population et des activités économiques) urbaine en France à la fin de la seconde guerre mondiale. En nous inspirant de cette formule, nous pouvons aussi parler de « Dakar et le gent sénégalais ». En effet, la région dakaroise qui fait moins de 3% du territoire national concentre près de 36% de la population sénégalaise et regroupe près de 90% des services, des sièges sociaux des entreprises. Cette situation fait que Dakar continue de dévorer les ressources et les talents du reste du pays dans tous les domaines ; l'agglomération dakaroise se comporte comme un groupe monopolisateur dévorant la substance nationale. Elle attire de façon très dangereuse et non calculée des immigrés (exode rural et immigration internationale) de tout bord, des entreprises incontrôlées, des événements inattendus … Cette situation fait que Dakar est devenue obèse et est en proie à des maladies (inondations, problèmes de circulation, « cantinisation » des rues, insécurité, insalubrité, occupations illégales, quartiers spontanés…) ; ce qui lui vaut d’être attaquée par tous les vautours (les spéculateurs…) qui vont finir par lui enlever ses forêts classées et ses dernières réserves foncières.
DES INSTALLATIONS HUMAINES ANARCHIQUES
Toute installation humaine doit obéir à des règles à la fois naturelles et anthropiques pour des raisons de sécurité, de santé, d’hygiène, de confort et de bien-être. Une installation humaine doit dépendre de plusieurs facteurs surtout géomorphologiques ; stabilité du sol, du substrat, du réseau hydrographique… Les inondations à répétition montrent clairement des manquements dans la gestion des cités et une absence d’étude préalable des sols. Cette absence d’étude et de plan rigoureux de gestion urbaine ont conduit à un étalement urbain très anarchique aux alentours de
Dakar. Une installation humaine doit faire l’objet de contrôle et de régulation permanente afin de respecter les normes de construction et d’habitabilité. Le drame qui s’est produit à la Médina (incendie puis effondrement d’un immeuble causant la mort de quatre sapeurs-pompiers) et les inondations de cette année dans la banlieue, sont autant de preuves que les conditions d’installation n’obéissent pas aux règles contemporaines d’urbanisation.
DES RESSOURCES NATURELLES ET HUMAINES MAL EXPLOITEÉS
Les ressources humaines, animales, hydriques, végétales, pédologiques, halieutiques, énergétiques…sont d’une importance fondamentale pour le fonctionnement et l’équilibre de toute notre société et l’avenir des générations futures. Donc, leur gestion doit assurer la pérennité du patrimoine naturel tout en tenant compte des besoins essentiels des populations sans hypothéquer les patrimoines naturels, socio-économiques et culturels des générations futures. Une bonne gestion de ces ressources permettrait aux générations actuelles de subvenir à leurs besoins immédiats sans compromettre la possibilité pour les générations futures de répondre aux leurs.
Les ressources naturelles
Aujourd’hui, nous constatons un recul inquiétant de nos côtes emportant maisons, cimetières et routes… et ce phénomène est dû à l’érosion côtière, une déperdition de nos forêts, un lessivage graduel de nos sols, une baisse de productivité de la pêche, un bazardage de notre foncier. Naguère parmi les fleurons de notre économie, l’agriculture est maintenant en pleine crise avec la destruction de la filière arachidière.
On note l’absence d’une planification rigoureuse des activités économiques, caractérisée par une forte centralisation des décisions soutenue par une approche trop sectorielle ou une « agencisation » tous azimuts. Ces activités sectorielles et très éparses n'ont pas permis d'aborder efficacement le problème de la dégradation des ressources forestières ; l’inefficacité des mesures réglementaires due à leur méconnaissance par le grand public et même par ceux qui doivent veiller à leur application. Il se pose alors le problème du suivi, de l'application des textes, du manque de circulation des informations et des insuffisances dans le domaine de la sensibilisation.
On relève l’incohérence des mesures institutionnelles caractérisée par une coordination insuffisante des institutions en charge de la conservation des ressources naturelles et la difficulté de mobiliser les ressources financières et humaines ; l'absence des conditions favorables à l'épanouissement et à l'intervention efficace des populations ; l’absence d'un système d'information fiable sur l'évolution des ressources. A l'heure actuelle, peu d'informations sont disponibles sur la gestion des ressources naturelles.
Les ressources humaines
Le pays regorge de main d’œuvre très qualifiée ; nous avons de grandes écoles, de grandes universités et la diaspora sénégalaise est hautement formée dans les grandes universités du monde. Cependant, ce phénomène ne reflète pas ce qui se passe dans le pays : il manque du personnel qualifié surtout au niveau de collectivités locales. Les mairies, les conseils régionaux et les conseils ruraux sont gérés de façon informelle sans rigueur professionnelle, leur management souffre de réelles carences dans tous les domaines. La politique politicienne a miné nos systèmes de production et nos entreprises créatrices de revenus et d’emplois. La compétence, la performance, la création et l’innovation, sources de développement de tout territoire, devraient primer sur toutes autres considérations.
RECOMMANDATIONS
La prise de conscience d’une nécessaire réorientation d’un mode d’organisation, de production et de consommation aveugle s’impose face à l’augmentation des risques qui menacent notre pays, nos villes et nos villages. L'Aménagement du territoire est la seule et la plus appropriée des réponses à cette situation qui menace le patrimoine sénégalais et son développement. L'aménagement du territoire est une politique cohérente, transversale et très habile d’organisation de l’espace. Il constitue un ensemble de dispositifs, de techniques, d'actions et d'interventions qui visent à assurer une répartition adéquate de la population, des constructions, des activités économiques et des équipements et infrastructures, tout en tenant compte des contraintes naturelles et anthropiques à leur établissement ; il touche presque toutes les facettes de la vie. Il permet de déterminer où l'on construira des maisons et des usines, des routes et des rails, des ports et des aéroports, des barrages et des centrales électriques, où l'on aménagera des terrains de loisir et des écoles et où seront offerts les services essentiels de la collectivité comme les hôpitaux, les écoles... L'aménagement du territoire consiste à exploiter judicieusement nos terres et nos richesses naturelles. Il permet à chaque pays, chaque région ou chaque commune de se fixer des objectifs quant à la façon dont il veut se développer et de trouver des moyens de réaliser ces objectifs, tout en tenant compte des importantes considérations sociales, économiques et environnementales. L'aménagement du territoire est le levier du développement de tout territoire. Ce développement est un processus qualitatif et prospectif de transformation des structures économiques, démographiques, sociales, culturelles, environnementales, éducatives... d’un territoire ; donc, il est par nature transversal et décloisonné. Il regroupe, croise et associe diverses compétences sectorielles, divers types d'acteurs et divers outils techniques.
Hier, nous étions 10 millions, aujourd’hui nous sommes presque 14 millions et demain nous serons 20 millions de sénégalais. Nos besoins en équipements, en infrastructures, en services, en énergie, en eau, en aliments, en transports… ne cesseront d’augmenter et notre territoire national ne s’agrandira pas, donc, il est indispensable de le maîtriser pour mieux l’organiser et d’utiliser judicieusement toutes ses ressources. Cela passera forcement par une intelligence économique spatiale avec des territoires de jprojet, des territoires équilibrés, des territoires compétitifs et innovateurs, des territoires spécialisés et différenciés et des territoires complémentaires. Mais aussi avec un maillage cohérent et équilibré du territoire en équipements et infrastructures économiques, sanitaires, éducatifs…
Pour pouvoir développer ce pays, il faut que le Sénégal ait la capacité de s'évaluer globalement et de mettre en place collectivement des politiques publiques cohérentes et porteuses. La sectorisation des politiques publiques territoriales n'a fait que trop peu avancer les choses. Nous avons besoin d'une réforme territoriale transversale et audacieuse qui touche tout et tout le monde, à savoir les secteurs, les acteurs, les infrastructures, les villes, les campagnes, les syndicats, les domaines, les institutions… dont la finalité est de réduire les inégalités, de créer des entreprises, de former et d’offrir aux jeunes des emplois, d’éradiquer les inondations, de permettre la fluidité des déplacements, d’atteindre l’autosuffisance alimentaire, d’effacer les déserts médicaux, de nous protéger contre les risques de tous ordres…
Pour ce faire, nous devons nous appuyer sur une véritable planification qui guidera et orientera nos actions dans l’espace et dans le temps à court, moyen et long terme.
C’est dans cette logique que je préconise le renforcement de l’ANAT (Agence Nationale d’Aménagement du Territoire) et la création d’une DNAT (délégation nationale à l’aménagement du territoire) qui sera composée de personnes (publiques et privées) issues de toutes les couches de la population, de tous les secteurs d’activité. Cette dernière coordonnera, surveillera et évaluera les politiques publiques territoriales tandis l’ANAT aura comme mission de doter le Sénégal des instruments de maîtrise de son territoire, de protection de son territoire, de planification et de prospective territoriale traduisant l’encadrement de l’aménagement du territoire qui est le levier de son développement harmonieux et durable.
Aujourd’hui la population est estimée à environ 14 millions habitants en majorité des jeunes soit une densité moyenne de plus 73 h/km². Le Sénégal accueille chaque année de nombreux étrangers venus des pays pauvres et politiquement instables de la sous-région. Le taux de croissance naturel de la population est de 2,5 % et plus du 1/4 de la population est concentré dans la région dakaroise. Le pays s’est profondément transformé au cours de ces dernières décennies. Cette mutation est essentiellement caractérisée par le « développement » des territoires littoraux et la partie Ouest du pays fortement urbanisés et le dépeuplement progressif et le sous équipement de la partie est du pays rural et très pauvre.
Selon les projections de 2030, 80% des sénégalais habiteront en ville, les 70% dans la partie Ouest du pays dont 51% dans moins de 4% territoire national. Cette forte concentration humaine dans les centres urbains de l’Ouest du pays a des déséquilibres structurels déjà très prononcés et des dysfonctionnements défavorables à un développement harmonieux du Sénégal.
Le territoire sénégalais est aujourd’hui marqué par :
- une toponymie inadéquate des territoires,
- une décentralisation qui tarde à produire des effets escomptés,
- une division territoriale et administrative peu cohérente,
- une économie fortement phagocytée par le secteur informel ;
- une urbanisation rapide et mal maîtrisée ;
- un niveau d’équipement en infrastructures de communication insuffisant et non performant ;
- un sous-équipement en infrastructures socio collectives ;
- une grande dépendance et un faible taux de couverture énergétique ;
- la dégradation grandissante et constante des ressources naturelles ;
- l’inexistence d’une organisation spatiale cohérente de développement ;
- l’absence d’initiatives volontaristes permettant de tirer profit de la position géographique avantageuse du pays ;
- l’existence d’initiatives sectorielles cloisonnées, peu cohérentes entre elles;
- un exode rural massif non contrôlé;
- une avancée du désert dans le Nord ;
- une salinisation des sols dans le sine-Saloum
- un conflit dans le sud
- des systèmes productifs locaux très informels;
L’ensemble de ces déficiences réduit considérablement les performances du pays en matière de développement socio-économique, de développement durable, de la modernisation et de l’innovation.
Aujourd’hui l’aménagement du territoire qui est le levier du développement du Sénégal doit faire face à plusieurs défis. Il s’agit essentiellement de :
- rendre le territoire national lisible cohérent et compétitif pour attirer les investissements (étrangers et nationaux) nécessaires à l’essor économique et social ;
- réduire les disparités entre les différentes régions et entre les différentes villes du territoire national et actionner les solidarités ainsi que les complémentarités entre territoires ;
- prendre en compte la décentralisation qui fait des collectivités locales et des populations les principaux acteurs du développement local.
Relever ces défis, devient un exercice délicat, qui exige de l’aménagement du territoire des arbitrages d’une part, entre la compétitivité, la cohésion sociale et la préservation des ressources naturelles, et d’autre part entre les différents acteurs aux intérêts souvent divergents.
L’Etat avait mis en place la DAT (Direction de l’Aménagement du Territoire) chargée de piloter la politique en matière d’aménagement du territoire. Mais cette direction avec ses moyens humains, techniques et matériels très limités voire insuffisants ne peut pas atteindre les objectifs du Sénégal, d’où la nécessité de créer une grande structure transversale charger de coordonner la politique d’aménagement du territoire Sénégalais.
Une DNAT (Délégation Nationale à l’Aménagement du Territoire) ou une DIAT (Délégation Interministérielle à l’Aménagement du Territoire) s’impose.
Aujourd’hui, avec les nouveaux rapports mondiaux, les partenariats internationaux et sous-régionaux, la libéralisation de l’économie, le processus de décentralisation engagée depuis 1996, le changement climatique, la nécessité de retenir comme priorité l’approche d’aménagement du territoire afin de fournir des cadres de référence et de cohérence à l’Etat, aux collectivités et à tous les acteurs sur le territoire en matière de développement s’affirme.
L’ANAT et une DNAT s’avèrent être deux instruments indispensables pour réaliser cette politique.
Fort des enseignements tirés des expériences étrangères et eu égard au contexte sénégalais, il parait plus avisé d’entreprendre une démarche réaliste, pragmatique et opérationnelle, à savoir le renforcement de l’ANAT et la mise en place de la DNAT qui se chargeraient d’exécuter la politique nationale en matière d’aménagement du territoire et de coordonner sa mise en œuvre. Les deux structures auront pour vocation de traduire spatialement une vision transversale du territoire national et de son évolution, en déclinant les orientations stratégiques en matière d’aménagement et de développement équilibré du territoire.
Le plan d’actions de l’ANAT et de la DNAT est de mettre en place une politique territoriale cohérente avec des projets structurants cohérents, agencés dans le temps et dans l’espace, aux fins d’améliorer les indicateurs d’attractivité et de compétitivité de l’ensemble du territoire national.
Les deux structures doivent permettre au Sénégal de disposer d’une image d’ensemble de l’évolution de son territoire qui permettra par la suite de conjuguer les efforts des différents acteurs façonnant la physionomie et le fonctionnement du territoire national (administrations de l’Etat, collectivités territoriales, partenaires au développement, société civile, opérateurs privés...), et d’organiser leurs interventions dans un cadre de cohérence globale pour les prochaines décennies.
L’ANAT et la DNAT, en reposant sur des principes de cohérence spatiale, d’équité territoriale, de vision partagée permettront d’introduire la dimension spatiale dans l’exercice de la planification du développement du Sénégal. Il proposera les voies et moyens pour valoriser les atouts, lever les handicaps pour assurer un développement durable du Sénégal.
L’ANAT et la DNAT serviront à la fois d’instruments d’ordonnancement des principaux équipements et projets stratégiques de développement et surtout de tableau de bord, en indiquant les actions majeures à mener au cours des années à venir et auquel l’on se référera périodiquement pour évaluer le chemin parcouru, corriger les écarts et repréciser les ambitions de l’Etat.
A terme, l’ANAT et la DNAT exerceront la planification spatiale du Sénégal, et cette dernière permettra de garantir aux populations sénégalaises, un accès meilleur et équitable, aux biens et services constituant leurs moyens d’existence durable, et nécessaires pour la réduction de la pauvreté et la promotion effective du développement.
Ces deux instruments auront comme vocation la mise en place :
- d’une LTOAT (loi transversale d’orientation pour l’aménagement du territoire)
- d’un Observatoire National des Territoires (maîtrise parfaite du territoire sénégalais dans tous les domaines : prévision, alerte, innovation, prospective…)
- d’un PNADT (Plan National d’Aménagement et de Développement du Territoire) supplanterait l’actuel PNAT.
Le PNADT aura pour objectif de :
Repenser le découpage territorial et la division administrative du pays :
- 6 régions économiques (mutualiser les moyens et faire du développement régional)
- 30 départements (sécurité, prévention, social…)
- Remplacer la communauté rurale par la commune rurale
Structurer la toponymie des territoires (différencier le nom de la région, du nom du département et du nom de la ville capitale – Par exemple : Région = Saloum, Département = Ndangane, commune de Kaolack)
Réorganiser la décentralisation :
- Résumer les textes, les rendre lisibles et les traduire dans les langues nationales
- Organiser des débats publics et faire adopter cette politique publique à la population
Adopter une politique d’intelligence économique des territoires et spécialiser les régions (Mettre en place six (6) pôles régionaux : région agricole, région minière, région industrielle pour qu’elles soient complémentaires et non concurrentes)
Equilibrer les territoires :
- désengorger Dakar,
- Inciter les entreprises à délocaliser dans les autres régions,
- Résorber le déséquilibre entre le monde rural et les centres urbains pour fixer les populations dans leurs territoires
- Lutter contre l’exode rural par la méthode des infrastructures à caractères structurants,
- Rendre les collectivités locales créatrices d’emplois,
Schématiser l’urbanisation :
- Etablir des schémas directeurs complets pour toutes les communes et mettre en place un programme de rénovation et de restructuration urbaine,
Repenser les transports :
- Adopter une politique de désenclavement du territoire national,
- Professionnaliser les transports de telle sorte qu’ils soient une ressource créatrice d’emplois et de revenus,
- Redynamiser le transport ferroviaire,
- Moderniser les transports maritimes et fluviaux,
Territorialiser certains domaines, certaines activités… (Par exemple territorialiser le football et la culture afin qu’ils soient professionnels et créateurs d’emplois et de revenu)
Zoner la végétation (organiser économiquement la répartition spatiale de la végétation, structurer et territorialiser l’agriculture)
Structurer la gestion des ressources naturelles (mise en place de dispositifs pour mieux exploiter et protéger les ressources)
Eradiquer les inondations
Arrêter l’érosion côtière
Enrayer l’avancée du désert dans le nord
Stopper la salinisation des sols dans le sine et le Saloum
Réorganiser l’armature urbaine du pays
Revitaliser certaines vallées
Promouvoir les ressources humaines (création d’un Cv-thèque national afin de dénicher tous les talents du pays)
Inciter les décideurs à la volonté et au courage politique
Mener une politique d’adressage des rues,
Sensibiliser les populations à la citoyenneté (Formation, dialogue, information, incitation, sensibilisation)
Mettre en place des institutions évaluatrices des politiques publiques territoriales
Mamadou DJIGO
Ingénieur en aménagement du territoire
Spécialiste de l’action territoriale