Deux décennies seulement après leur triomphale accession à la souveraineté internationale généralement survenue aux environs de l’année 1960, la plupart des pays d’Afrique subsaharienne, surtout ceux francophones, se sont trouvés confrontés à des difficultés économiques d’une acuité telle que, à partir de 1980, la BM et le FMI ont commencé à leur appliquer les fameux programmes d’ajustement structurel (PAS). Le but visé à travers ces PAS, outre celui premier mais non avoué de mettre ces pays en mesure de rembourser la dette extérieure, était de les sortir de la crise pour les engager sur la voie de la croissance et du développement économiques. Mais, à la fin de ces mêmes années 1980, les résultats des PAS se sont révélés tellement catastrophiques que l’on a parlé de décennie perdue pour le développement économique de l’Afrique. Non seulement la croissance et le développement économiques escomptés n’ont pas suivi, mais les PAS se sont traduits par des coûts sociaux si exorbitants que, en son temps, le ministre tanzanien de l’économie, dans des propos rapportés par Pierre-François GONIDEC (in : P-F GONIDEC, Relations internationales africaines, Paris, LGDJ, 1996, p.122), avait estimé que le remède avait parfois été pire que le mal. Réagissant à cet échec des PAS, les deux sœurs jumelles de Bretton Woods en tinrent pour responsable la mauvaise gestion qui avait été faite des crédits qu’elles avaient consentis aux pays concernés. C’est dans ce contexte que, en 1989, la BM, dans une étude intitulée L’Afrique subsaharienne : de la crise au développement durable, une perspective à long terme, lança, pour la première fois, la notion de bonne gouvernance (BG), notion qu’elle reprendra du reste avec plus de force dans un document de 1992 intitulé Gouvernance et développement. Dans l’entendement des experts de la BM qui avaient conçu ces deux documents, la BG apparaît comme la condition du développement, et cela particulièrement dans les pays africains sous ajustement structurel. Depuis, la notion de BG, en relation avec le développement, est devenue récurrente dans les discours et débats politico-économiques en cours en Afrique subsaharienne. Mais toute réflexion sérieuse sur la BG dans son rapport au développement suppose un préalable : la définition des concepts de BG et de développement.
S’agissant d’abord de la BG, l’expression comprend deux termes : l’adjectif qualificatif bonne et le substantif gouvernance. Ce substantif vient de l’anglais governance et désigne le mode de gestion des affaires publiques. Lorsque cette gestion est bien faite, on parle de bonne gouvernance ; au cas contraire, on parle de mauvaise gouvernance ou de mal-gouvernance. Pour ce qui est du contenu concret de cette bonne gestion des affaires publiques en question, c’est-à-dire donc de la notion de BG elle-même, il fait l’objet de deux conceptions. La première conception est le fait de l’institution même qui a conçu, enfanté, et promu la notion de BG : la BM. Et cette institution de Bretton Woods, peut-être par souci de fidélité à ses statuts dont l’article 4 (section 10) l’enjoint de ne pas s’immiscer dans les affaires politiques de ses membres et de s’en tenir aux seules considérations économiques, revendique une conception purement économiciste de la BG. Dans son entendement, celle-ci se ramène tout simplement à une gestion économiquement saine, transparentec et efficace des deniers publics. Cette conception dite technico-gestionnaire, parce que mettant en avant le seul critère d’efficacité des modes de gestion économique sans considération aucune de l’environnement socio-politique dans lequel s’inscrivent ces modes de gestion, se réduit ainsi à une approche exclusivement financière et comptable de la BG : géré d’une façon économiquement saine, transparente, et efficace, l’argent public et celui mis à la disposition des Etats par les bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux devrait déclencher une dynamique de croissance et de développement. L’ajustement que la BM prône dans ce cadre est, par conséquent, un ajustement purement économique ; de même, la BG visée est une BG économique. Mais les questions économiques, en tant qu’elles sont culturellement, socialement et, surtout, politiquement situées, ne peuvent pas être traitées ex nihilo, c’est-à-dire sans considération du contexte et de l’environnement dans lesquels elles baignent et avec lesquels elles entretiennent des rapports dialectiques positifs ou négatifs. C’est pour l’avoir compris que, au début des années 1990, les bailleurs de fonds bilatéraux et les dirigeants des mouvements subsahariens de revendications démocratiques ont repris à leur compte et popularisé la notion de BG dans le cadre d’une conception nouvelle, qui transcende celle de la BM. Selon cette deuxième conception, la BG, ce n’est pas seulement une question de gestion économique rigoureuse ; elle postule également et surtout un régime politique fondé sur la démocratie libérale et l’Etat de droit. En d’autres termes, elle suppose le pluralisme idéologique, le multipartisme, la séparation des pouvoirs, le suffrage universel, l’égalité juridique des citoyens, le respect des droits de l’homme, une justice indépendante, un Etat libéral, la possibilité juridique pour les citoyens d’attaquer l’Etat et ses démembrements en justice, la transparence dans la gestion des affaires publiques, l’association des populations à cette gestion (notamment par le moyen de leur consultation et de la décentralisation administrative), la responsabilité (dans le sens anglais de accountability , c’est-à-dire de l’obligation de rendre des comptes), la lutte contre la corruption. Cette deuxième conception consacre ainsi un élargissement de la notion de BG, et cet élargissement va dans le sens de la politisation du concept. La BG recherchée ici, c’est la BG démocratique, laquelle se situe au plan politique. En somme, avec cette conception, l’ajustement politique vient s’ajouter à l’ajustement économique pour le compléter et en assurer la réussite. Tel est aujourd’hui le contenu généralement conféré à la notion de BG et qui sera retenu dans le cadre de cette étude. Paradoxalement, la BM, même si elle s’en défend au nom des interdits posés par l’article 4 (section 10) précité de ses statuts, semble quelque peu adhérer, dans la pratique, à cette conception, et cela à travers certaines conditionnalités insérées dans les PAS, exprimées dans certains de ses documents (voir le rapport précité de 1989 portant sur l’Afrique subsaharienne ainsi que le document susmentionné de 1992), et tournant autour de l’Etat de droit et de la participation populaire : c’est ce qui explique que beaucoup d’études menées sur la BG parlent de conditionnalités démocratiques posées par la BM ; de même, beaucoup de chercheurs n’ont pas hésité à parler de conditionnalités démocratiques avancées par la BM comme facteurs externes explicatifs des mouvements africains de revendications démocratiques du début des années 1990.
S’agissant maintenant de la notion de développement, elle est souvent perçue comme la situation d’un pays où la croissance économique est plus rapide que la croissance démographique. Cette liaison établie entre croissance économique et développement fait que, aujourd’hui, celui-ci est généralement assimilé à celle-là évaluée en termes de PNB ; et, de fait, on considère généralement de nos jours que les pays développés sont ceux dont le PNB par tête d’habitant est supérieur à 5.000 dollars. Mais croissance économique et développement ne coïncident pas nécessairement. On parle de croissance économique lorsqu’il y a augmentation, sur une longue période, du PNB réel par tête d’habitant. La croissance apparaît ainsi comme une notion quantitative parce que s’évaluant en termes de PNB. Elle se distingue donc du développement, lequel est une notion qualitative, bien qu’il s’agisse là de deux phénomènes intimement liés. Le caractère qualitatif du développement signifie que celui-ci se ramène concrètement à une amélioration qualitative du niveau et des conditions de vie de la grande majorité, au moins, de la population dans les domaines de l’alimentation, du logement, des transports, des communications, de l’éducation, de la santé, des loisirs, des libertés, de l’emploi, etc. Le développement, au sens plein du terme, ne relève donc pas seulement de l’économie ; il constitue un phénomène global parce qu’embrassant des domaines aussi variés que le culturel, le social, le politique, l’économique, le technique, les droits et libertés individuels et collectifs, etc. En résumé, on peut dire que le développement véritable s’entend de l’épanouissement de la population d’une société donnée, et cela aux plans intellectuel, culturel, social, politique, économique, matériel, etc. Ces clarifications sémantiques étant faites, il s’agira, pour cette étude, de montrer que si le développement économique est un phénomène possible sans la BG (I), celle-ci demeure la condition sine qua non du développement global et durable (II).
I. LE DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE, UN PHENOMENE POSSIBLE SANS LA BG
Sans la BG entendue au sens de la deuxième conception développée plus haut et retenue dans le cadre de cette étude, il est quand même économiquement possible de développer un pays. Il s’agit là d’une vérité illustrée par l’expérience de l’Allemagne hitlérienne, de certains pays d’Amérique du Sud (Chili, Argentine, Brésil), et, surtout, de ce qu’on appelle les dragons d’Asie (Corée du Sud, Singapour, Taiwan, Malaisie, Indonésie, Thaïlande, Philippines). Tous ces pays se sont en effet économiquement développés (ou, pour certains d’entre eux, ont eu à connaître un développement économique) sous l’empire d’un régime fondé sur la dictature et excluant donc la BG démocratique. Et si, comme en atteste le cas de ces pays, le développement économique demeure un phénomène possible sans la BG, c’est, essentiellement, du fait, d’une part, d’une gestion économique méthodique, rigoureuse, et efficace (A) et, d’autre part, d’un Etat fort et engagé au service du développement (B).
A. Du fait d’une gestion économique méthodique, rigoureuse, et efficace
Les problèmes de développement économique se ramènent, en grande partie, aux problèmes de la gestion économique d’un pays donné. Pour que le développement économique puisse donc se réaliser, il importe que la gestion de l’économie nationale du pays visé se fasse dans les règles de l’art. En d’autres termes, il est nécessaire que cette gestion se fasse de façon méthodique, rigoureuse, et efficace. Tel est l’enseignement administré par les succès économiques des pays de dictature cités plus haut. Il s’agit, en premier lieu, de pays où la gestion de l’économie nationale s’est faite méthodiquement en ce sens que les objectifs économiques ont d’abord été dûment identifiés et les voies et moyens d’y parvenir judicieusement choisis. Il s’agit, en second lieu, de pays où la gestion de l’économie nationale s’est faite dans la rigueur en ce sens que, une fois les objectifs économiques dûment identifiés et les voies et moyens d’y parvenir judicieusement choisis, ils ont ensuite été strictement poursuivis et respectés. Il s’agit, en dernier lieu, de pays où la gestion de l’économie nationale a été efficace en ce sens que les résultats économiques positifs n’ont pas tardé à se manifester tant au plan social qu’à travers les divers bilans d’étape, ce qui a encouragé les décideurs à persévérer avec encore plus de force dans les options économiques choisies. Et cela, d’autant plus qu’ils s’appuyaient sur un Etat fort et engagé.
B. Du fait d’un Etat fort et engagé au service du développement
Si on se réfère toujours à l’expérience pratique des pays de dictature suscités, on peut dire qu’il s’agit là du deuxième paramètre explicatif d’un développement économique réalisé sans BG démocratique. Ces pays, en effet, se distinguent principalement par un Etat fort et engagé au service du développement. On parle d’abord d’Etat fort parce qu’ayant une prise effective sur la société qu’il organise et oriente à sa guise, et s’octroyant, à cet effet, les moyens humains, matériels, et juridiques nécessaires. Cet Etat fort se comprend parfaitement si l’on sait qu’il repose essentiellement sur la dictature. On parle ensuite d’Etat engagé parce que cet Etat fort est au cœur de la bataille pour le développement économique. Il est le principal acteur de cette bataille en ce sens qu’il lui imprime le rythme et l’orientation qu’il juge adéquats à ses objectifs de développement : en effet, il organise, oriente, et réglemente efficacement l’économie nationale en s’appuyant, à cet effet, sur les moyens juridiques, humains, et matériels idoines. Cet Etat volontariste et maximal est dit, plus exactement, interventionniste. Il s’agit aussi parfois, voire généralement, d’un Etat économiquement nationaliste parce que considérant comme supérieurs les intérêts économiques nationaux, principalement par rapport à ceux étrangers ; ce nationalisme économique se traduit généralement par des mesures protectionnistes. L’engagement de cet Etat au service du développement économique se traduit également, de sa part, par une mobilisation des énergies et des compétences pour le compte de ce même développement économique. Le goût du travail est suscité, encouragé, et récompensé par des mesures spécifiques et diverses. Les membres du gouvernement et les divers cadres nationaux sont choisis en fonction de leur mérite et de leur compétence et non, comme c’est souvent le cas en démocratie, en vertu de leur poids électoral et de leur capacité politique à séduire et à drainer des foules ; ces cadres et membres du gouvernement sont généralement imbus des intérêts de la nation et préoccupés par son développement économique.
Ces diverses caractéristiques se retrouvent généralement dans les Etats susmentionnés et expliquent amplement leurs notables succès économiques. C’est par exemple le cas des dragons d’Asie ; il est communément admis que ces pays ont réalisé leur développement économique sur la base de la planification centrale, des directives, et des encouragements du gouvernement. Ils ont procédé à la création d’unités de politique économique hautement qualifiées, ayant en charge tant la définition d’une stratégie à long terme que l’établissement de plans indicatifs, gérant généralement les budgets d’investissement et se posant en interlocutrices obligées des bailleurs de fonds. Ils ont également eu à protéger leurs marchés intérieurs par des mesures protectionnistes à travers des droits de porte dissuasifs ou des interdictions pures et simples ; la Corée du Sud, par exemple, a carrément interdit l’importation de véhicules de 1962 à 1980, et elle se positionne aujourd’hui dans le peloton de tête des premiers constructeurs d’automobiles du monde. Comme on le voit, ces mesures sont aux antipodes du libéralisme économique que postule la BG démocratique. Par ailleurs, ces pays comme ceux d’Amérique du Sud (Brésil, Argentine, Chili), en tout cas au moment où ils réalisaient leur développement économique, rejetaient la démocratie libérale et pluraliste. Beaucoup d’entre eux étaient dirigés par des régimes militaires. En Asie, les élites étaient alors hostiles à la démocratie libérale occidentale (ce que, d’ailleurs, elles sont encore largement), préférant choisir leurs gouvernants sur le fondement de leur compétence et de leur patriotisme et non de leur représentativité politique.
Il faut maintenant se garder de penser, à la lumière de l’expérience des pays cités en exemples dans la première partie de cette étude, que la dictature mène toujours au développement économique. D’une façon générale, tel n’est pas le cas. En Afrique par exemple, aux indépendances, les pouvoirs forts et dictatoriaux ont proliféré un peu partout sur le continent, se justifiant par la nécessité de réaliser l’unité nationale et de mobiliser les énergies pour le compte du développement. Mais, en fait d’unité nationale et de développement, jamais les résultats n’ont suivi ; du fait de pouvoirs incompétents, patrimoniaux, gabégiques, népotistes, et corrompus, les choses ont plutôt empiré tant du point de vue de l’unité nationale que du développement économique escompté. Les pays évoqués ci-dessus ne l’ont donc été que pour montrer que le développement économique est possible sans la BG démocratique. Mais pour le développement global et durable, celle-ci demeure une condition sine qua non.
S’agissant d’abord de la BG, l’expression comprend deux termes : l’adjectif qualificatif bonne et le substantif gouvernance. Ce substantif vient de l’anglais governance et désigne le mode de gestion des affaires publiques. Lorsque cette gestion est bien faite, on parle de bonne gouvernance ; au cas contraire, on parle de mauvaise gouvernance ou de mal-gouvernance. Pour ce qui est du contenu concret de cette bonne gestion des affaires publiques en question, c’est-à-dire donc de la notion de BG elle-même, il fait l’objet de deux conceptions. La première conception est le fait de l’institution même qui a conçu, enfanté, et promu la notion de BG : la BM. Et cette institution de Bretton Woods, peut-être par souci de fidélité à ses statuts dont l’article 4 (section 10) l’enjoint de ne pas s’immiscer dans les affaires politiques de ses membres et de s’en tenir aux seules considérations économiques, revendique une conception purement économiciste de la BG. Dans son entendement, celle-ci se ramène tout simplement à une gestion économiquement saine, transparentec et efficace des deniers publics. Cette conception dite technico-gestionnaire, parce que mettant en avant le seul critère d’efficacité des modes de gestion économique sans considération aucune de l’environnement socio-politique dans lequel s’inscrivent ces modes de gestion, se réduit ainsi à une approche exclusivement financière et comptable de la BG : géré d’une façon économiquement saine, transparente, et efficace, l’argent public et celui mis à la disposition des Etats par les bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux devrait déclencher une dynamique de croissance et de développement. L’ajustement que la BM prône dans ce cadre est, par conséquent, un ajustement purement économique ; de même, la BG visée est une BG économique. Mais les questions économiques, en tant qu’elles sont culturellement, socialement et, surtout, politiquement situées, ne peuvent pas être traitées ex nihilo, c’est-à-dire sans considération du contexte et de l’environnement dans lesquels elles baignent et avec lesquels elles entretiennent des rapports dialectiques positifs ou négatifs. C’est pour l’avoir compris que, au début des années 1990, les bailleurs de fonds bilatéraux et les dirigeants des mouvements subsahariens de revendications démocratiques ont repris à leur compte et popularisé la notion de BG dans le cadre d’une conception nouvelle, qui transcende celle de la BM. Selon cette deuxième conception, la BG, ce n’est pas seulement une question de gestion économique rigoureuse ; elle postule également et surtout un régime politique fondé sur la démocratie libérale et l’Etat de droit. En d’autres termes, elle suppose le pluralisme idéologique, le multipartisme, la séparation des pouvoirs, le suffrage universel, l’égalité juridique des citoyens, le respect des droits de l’homme, une justice indépendante, un Etat libéral, la possibilité juridique pour les citoyens d’attaquer l’Etat et ses démembrements en justice, la transparence dans la gestion des affaires publiques, l’association des populations à cette gestion (notamment par le moyen de leur consultation et de la décentralisation administrative), la responsabilité (dans le sens anglais de accountability , c’est-à-dire de l’obligation de rendre des comptes), la lutte contre la corruption. Cette deuxième conception consacre ainsi un élargissement de la notion de BG, et cet élargissement va dans le sens de la politisation du concept. La BG recherchée ici, c’est la BG démocratique, laquelle se situe au plan politique. En somme, avec cette conception, l’ajustement politique vient s’ajouter à l’ajustement économique pour le compléter et en assurer la réussite. Tel est aujourd’hui le contenu généralement conféré à la notion de BG et qui sera retenu dans le cadre de cette étude. Paradoxalement, la BM, même si elle s’en défend au nom des interdits posés par l’article 4 (section 10) précité de ses statuts, semble quelque peu adhérer, dans la pratique, à cette conception, et cela à travers certaines conditionnalités insérées dans les PAS, exprimées dans certains de ses documents (voir le rapport précité de 1989 portant sur l’Afrique subsaharienne ainsi que le document susmentionné de 1992), et tournant autour de l’Etat de droit et de la participation populaire : c’est ce qui explique que beaucoup d’études menées sur la BG parlent de conditionnalités démocratiques posées par la BM ; de même, beaucoup de chercheurs n’ont pas hésité à parler de conditionnalités démocratiques avancées par la BM comme facteurs externes explicatifs des mouvements africains de revendications démocratiques du début des années 1990.
S’agissant maintenant de la notion de développement, elle est souvent perçue comme la situation d’un pays où la croissance économique est plus rapide que la croissance démographique. Cette liaison établie entre croissance économique et développement fait que, aujourd’hui, celui-ci est généralement assimilé à celle-là évaluée en termes de PNB ; et, de fait, on considère généralement de nos jours que les pays développés sont ceux dont le PNB par tête d’habitant est supérieur à 5.000 dollars. Mais croissance économique et développement ne coïncident pas nécessairement. On parle de croissance économique lorsqu’il y a augmentation, sur une longue période, du PNB réel par tête d’habitant. La croissance apparaît ainsi comme une notion quantitative parce que s’évaluant en termes de PNB. Elle se distingue donc du développement, lequel est une notion qualitative, bien qu’il s’agisse là de deux phénomènes intimement liés. Le caractère qualitatif du développement signifie que celui-ci se ramène concrètement à une amélioration qualitative du niveau et des conditions de vie de la grande majorité, au moins, de la population dans les domaines de l’alimentation, du logement, des transports, des communications, de l’éducation, de la santé, des loisirs, des libertés, de l’emploi, etc. Le développement, au sens plein du terme, ne relève donc pas seulement de l’économie ; il constitue un phénomène global parce qu’embrassant des domaines aussi variés que le culturel, le social, le politique, l’économique, le technique, les droits et libertés individuels et collectifs, etc. En résumé, on peut dire que le développement véritable s’entend de l’épanouissement de la population d’une société donnée, et cela aux plans intellectuel, culturel, social, politique, économique, matériel, etc. Ces clarifications sémantiques étant faites, il s’agira, pour cette étude, de montrer que si le développement économique est un phénomène possible sans la BG (I), celle-ci demeure la condition sine qua non du développement global et durable (II).
I. LE DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE, UN PHENOMENE POSSIBLE SANS LA BG
Sans la BG entendue au sens de la deuxième conception développée plus haut et retenue dans le cadre de cette étude, il est quand même économiquement possible de développer un pays. Il s’agit là d’une vérité illustrée par l’expérience de l’Allemagne hitlérienne, de certains pays d’Amérique du Sud (Chili, Argentine, Brésil), et, surtout, de ce qu’on appelle les dragons d’Asie (Corée du Sud, Singapour, Taiwan, Malaisie, Indonésie, Thaïlande, Philippines). Tous ces pays se sont en effet économiquement développés (ou, pour certains d’entre eux, ont eu à connaître un développement économique) sous l’empire d’un régime fondé sur la dictature et excluant donc la BG démocratique. Et si, comme en atteste le cas de ces pays, le développement économique demeure un phénomène possible sans la BG, c’est, essentiellement, du fait, d’une part, d’une gestion économique méthodique, rigoureuse, et efficace (A) et, d’autre part, d’un Etat fort et engagé au service du développement (B).
A. Du fait d’une gestion économique méthodique, rigoureuse, et efficace
Les problèmes de développement économique se ramènent, en grande partie, aux problèmes de la gestion économique d’un pays donné. Pour que le développement économique puisse donc se réaliser, il importe que la gestion de l’économie nationale du pays visé se fasse dans les règles de l’art. En d’autres termes, il est nécessaire que cette gestion se fasse de façon méthodique, rigoureuse, et efficace. Tel est l’enseignement administré par les succès économiques des pays de dictature cités plus haut. Il s’agit, en premier lieu, de pays où la gestion de l’économie nationale s’est faite méthodiquement en ce sens que les objectifs économiques ont d’abord été dûment identifiés et les voies et moyens d’y parvenir judicieusement choisis. Il s’agit, en second lieu, de pays où la gestion de l’économie nationale s’est faite dans la rigueur en ce sens que, une fois les objectifs économiques dûment identifiés et les voies et moyens d’y parvenir judicieusement choisis, ils ont ensuite été strictement poursuivis et respectés. Il s’agit, en dernier lieu, de pays où la gestion de l’économie nationale a été efficace en ce sens que les résultats économiques positifs n’ont pas tardé à se manifester tant au plan social qu’à travers les divers bilans d’étape, ce qui a encouragé les décideurs à persévérer avec encore plus de force dans les options économiques choisies. Et cela, d’autant plus qu’ils s’appuyaient sur un Etat fort et engagé.
B. Du fait d’un Etat fort et engagé au service du développement
Si on se réfère toujours à l’expérience pratique des pays de dictature suscités, on peut dire qu’il s’agit là du deuxième paramètre explicatif d’un développement économique réalisé sans BG démocratique. Ces pays, en effet, se distinguent principalement par un Etat fort et engagé au service du développement. On parle d’abord d’Etat fort parce qu’ayant une prise effective sur la société qu’il organise et oriente à sa guise, et s’octroyant, à cet effet, les moyens humains, matériels, et juridiques nécessaires. Cet Etat fort se comprend parfaitement si l’on sait qu’il repose essentiellement sur la dictature. On parle ensuite d’Etat engagé parce que cet Etat fort est au cœur de la bataille pour le développement économique. Il est le principal acteur de cette bataille en ce sens qu’il lui imprime le rythme et l’orientation qu’il juge adéquats à ses objectifs de développement : en effet, il organise, oriente, et réglemente efficacement l’économie nationale en s’appuyant, à cet effet, sur les moyens juridiques, humains, et matériels idoines. Cet Etat volontariste et maximal est dit, plus exactement, interventionniste. Il s’agit aussi parfois, voire généralement, d’un Etat économiquement nationaliste parce que considérant comme supérieurs les intérêts économiques nationaux, principalement par rapport à ceux étrangers ; ce nationalisme économique se traduit généralement par des mesures protectionnistes. L’engagement de cet Etat au service du développement économique se traduit également, de sa part, par une mobilisation des énergies et des compétences pour le compte de ce même développement économique. Le goût du travail est suscité, encouragé, et récompensé par des mesures spécifiques et diverses. Les membres du gouvernement et les divers cadres nationaux sont choisis en fonction de leur mérite et de leur compétence et non, comme c’est souvent le cas en démocratie, en vertu de leur poids électoral et de leur capacité politique à séduire et à drainer des foules ; ces cadres et membres du gouvernement sont généralement imbus des intérêts de la nation et préoccupés par son développement économique.
Ces diverses caractéristiques se retrouvent généralement dans les Etats susmentionnés et expliquent amplement leurs notables succès économiques. C’est par exemple le cas des dragons d’Asie ; il est communément admis que ces pays ont réalisé leur développement économique sur la base de la planification centrale, des directives, et des encouragements du gouvernement. Ils ont procédé à la création d’unités de politique économique hautement qualifiées, ayant en charge tant la définition d’une stratégie à long terme que l’établissement de plans indicatifs, gérant généralement les budgets d’investissement et se posant en interlocutrices obligées des bailleurs de fonds. Ils ont également eu à protéger leurs marchés intérieurs par des mesures protectionnistes à travers des droits de porte dissuasifs ou des interdictions pures et simples ; la Corée du Sud, par exemple, a carrément interdit l’importation de véhicules de 1962 à 1980, et elle se positionne aujourd’hui dans le peloton de tête des premiers constructeurs d’automobiles du monde. Comme on le voit, ces mesures sont aux antipodes du libéralisme économique que postule la BG démocratique. Par ailleurs, ces pays comme ceux d’Amérique du Sud (Brésil, Argentine, Chili), en tout cas au moment où ils réalisaient leur développement économique, rejetaient la démocratie libérale et pluraliste. Beaucoup d’entre eux étaient dirigés par des régimes militaires. En Asie, les élites étaient alors hostiles à la démocratie libérale occidentale (ce que, d’ailleurs, elles sont encore largement), préférant choisir leurs gouvernants sur le fondement de leur compétence et de leur patriotisme et non de leur représentativité politique.
Il faut maintenant se garder de penser, à la lumière de l’expérience des pays cités en exemples dans la première partie de cette étude, que la dictature mène toujours au développement économique. D’une façon générale, tel n’est pas le cas. En Afrique par exemple, aux indépendances, les pouvoirs forts et dictatoriaux ont proliféré un peu partout sur le continent, se justifiant par la nécessité de réaliser l’unité nationale et de mobiliser les énergies pour le compte du développement. Mais, en fait d’unité nationale et de développement, jamais les résultats n’ont suivi ; du fait de pouvoirs incompétents, patrimoniaux, gabégiques, népotistes, et corrompus, les choses ont plutôt empiré tant du point de vue de l’unité nationale que du développement économique escompté. Les pays évoqués ci-dessus ne l’ont donc été que pour montrer que le développement économique est possible sans la BG démocratique. Mais pour le développement global et durable, celle-ci demeure une condition sine qua non.
II. LA BG, CONDITION SINE QUA NON DU DEVELOPPEMENT GLOBAL ET DURABLE
Comme déjà souligné dans l’introduction, le développement, au véritable sens du terme, est un phénomène global parce que transcendant l’économie pour embrasser tous les autres domaines de la vie : le culturel, le politique, le social, le technique, l’alimentation, le logement, les transports, les loisirs, la santé, l’éducation, les droits et libertés de l’homme, etc. Pour que ce développement plein puisse être durablement réalisé, il faut, de façon indispensable, la mise en œuvre d’une BG démocratique ; même s’il est vrai que celle-ci ne mène pas toujours et automatiquement à celui-là, il demeure constant qu’on ne peut absolument pas le réaliser sans elle, et cela, encore moins de façon durable. Même réduit à sa seule dimension économique, le développement, tel que réalisé par exemple par les pays asiatiques et sud-américains susmentionnés, n’est jamais viable parce qu’excluant la BG démocratique et reposant donc sur la dictature ; le processus de ce modèle de développement unilatéralement conçu et dirigé par le haut, peut, à tout moment, être interrompu et bouleversé par un violent soulèvement des populations réclamant une démocratisation de la gestion des affaires publiques et le respect de leurs droits et libertés fondamentaux : c’est tout le sens de l’effondrement des pays de l’ancien bloc de l’Est après une période de succès économiques, les violentes revendications démocratiques en Afrique au début des années 1990, et les explosions et crises socio-politiques qui ont ébranlé l’Argentine, le Brésil, le Chili, la Malaisie et l’Indonésie entre 2003 et 2004. Et si la BG apparaît ainsi comme incontournable sur le chemin du développement global et durable, c’est du fait, d’une part, d’une gestion des affaires publiques basée sur la transparence ainsi que l’adhésion et la participation populaires (A) et, d’autre part, d’un environnement politico-juridique stimulant pour le développement (B).
A. Du fait d’une gestion des affaires publiques basée sur la transparence ainsi que l’adhésion et la participation populaires
Par nature, la BG démocratique, précisément parce qu’elle repose sur la démocratie libérale et pluraliste, postule, dans le cadre de la gestion des affaires publiques, la transparence ainsi que l’adhésion et la participation populaires. Or, il s’agit là de facteurs contribuant décisivement à la réalisation d’un développement global et durable. Avec la transparence, les populations sont parfaitement informées de la gestion qui est faite des affaires publiques. Cela, parce que l’information circule sans entrave, véhiculée qu’elle est par une presse libre, indépendante, plurielle, et ayant accès aux sources de l’information officielle du fait de la volonté de communication et de transparence des gouvernants. Cette presse libre met à nu les scandales financiers, dénonce le népotisme et le favoritisme, flétrit l’injustice et l’arbitraire, condamne la violation des droits et libertés fondamentaux, fustige les cadres incompétents et laxistes, magnifie l’excellence et la compétence, forme l’opinion, et suscite un débat public permanent et contradictoire sur les divers aspects de la vie publique. La gestion des affaires publiques est ainsi vulgarisée et soumise à l’appréciation critique des citoyens et de l’opposition politique, ce qui oblige les gouvernants, dans le cadre de cette gestion, à faire preuve de sérieux, de rigueur, et de pertinence. De même, de ce débat public permanent et contradictoire, naissent des idées pertinentes que les gouvernants peuvent mettre en application.
Du fait de l’adhésion populaire, la gestion des affaires publiques et des divers projets de développement, ne se fait plus par le moyen de choix unilatéralement opérés au sommet par des technocrates suffisants et prenant le peuple pour une masse d’ignares et d’incapables : cette gestion et ces divers projets de développement sont, au contraire, avant leur mise en œuvre, expliqués aux populations qu’ils concernent, librement discutés avec elles ; si, au terme de ces consultations, elles y adhèrent parce que convaincues de leur pertinence, ce sera là le meilleur gage de leur réussite, surtout si elles sont impliquées dans leur mise en œuvre.
Cette implication est assurée par le principe de la participation populaire induit par la BG démocratique. Avec ce principe, en effet, les populations apportent leur soutien agissant aux projets de développement qui les concernent directement ; en d’autres termes, elles sont associées à la réalisation de tout projet de développement qui les concerne. Quant à la gestion des affaires publiques locales, elle leur est transférée, dans la mesure du possible, par le moyen de la décentralisation administrative ; cela leur permet de gérer elles-mêmes leurs propres affaires par le biais de représentants élus et contrôlés par elles et de se mettre, de ce fait, à l’école de la démocratie. Le principe de participation suscite ainsi, chez les populations, un enthousiasme et un sentiment de responsabilisation très favorables au développement. Mais si le développement, dans son sens véritable, est ainsi suscité par la BG démocratique, c’est également du fait d’un environnement politico-juridique stimulant.
B. Du fait d’un environnement politico-juridique stimulant pour le développement
La BG démocratique secrète un environnement stimulant pour un développement global et durable. Il s’agit d’un environnement caractérisé par une stabilité socio-politique viable (a), une corruption inexistante ou très réduite (b), la consécration des principes de l’Etat de droit (c), un Etat minimal mais régulateur des déséquilibres sociaux (d), et, enfin, incitatif pour le travail et l’initiative privée (e).
a) Un environnement caractérisé par une stabilité socio-politique viable
Sans stabilité socio-politique, le développement est tout simplement impossible. Or, la BG démocratique, précisément parce qu’elle repose sur la démocratie libérale et pluraliste, constitue l’unique moyen de réaliser une stabilité socio-politique viable. On parle de viabilité parce qu’il s’agit d’une stabilité socio-politique consentie et voulue par le corps social, inscrite dans l’ordre normal des choses car immanente au mode même de gestion démocratique de la société. Bien sûr, la pratique et l’histoire montrent qu’il existe des cas de stabilité socio-politique ne reposant pas sur la démocratie et pouvant même générer un développement. Mais, en premier lieu, ce genre de stabilité socio-politique n’est jamais viable parce qu’artificiel, basé sur la contrainte et la dictature ; à tout moment, il peut être troublé ou rompu par le soulèvement de populations revendiquant violemment leur liberté d’expression et leur implication par rapport à la gestion des affaires de la collectivité. Ensuite, en second lieu, et du fait même de cette possibilité de soulèvement des populations à tout moment, le développement réalisé dans le cadre de cette stabilité socio-politique factice n’est jamais un développement durable. Enfin, en troisième lieu, le développement ainsi réalisé n’est jamais un développement véritable, c’est-à-dire global ; inscrit dans un contexte de dictature, il ne s’étend surtout pas aux droits et libertés fondamentaux, confiné qu’il est au domaine économique et s’appréciant ainsi par des considérations quantitatives induites par une bonne croissance économique. Cela dit, il faut maintenant reconnaître que la démocratie libérale et pluraliste que suppose la BG démocratique, ne suscite pas toujours la stabilité socio-politique ; d’abord, l’instauration ou la réinstauration de cette forme de démocratie dans une société qui en a longtemps été privée, peut être source de troubles socio-politiques et donc d’instabilité ; de même, lorsque la société dans laquelle elle s’applique est en même temps le théâtre d’inégalités sociales exacerbées, liées à une injuste répartition des revenus et des richesses nationales, cette forme de démocratie se traduit par des troubles socio-politiques et donc l’instabilité. Toutefois, il demeure constant que la démocratie libérale que postule la BG démocratique, est la condition, et la seule, d’une stabilité socio-politique véritablement viable ; la récente faillite des stabilités artificielles imposées dans la terreur et la répression par les anciennes démocraties populaires et les dictateurs africains en atteste à suffisance. Et outre cette stabilité socio-politique viable, l’environnement politico-juridique secrété par la BG démocratique se caractérise par l’inexistence ou l’insignifiance de la corruption.
b) Un environnement où la corruption est inexistante ou très réduite
La corruption constitue un phénomène éminemment pernicieux pour le développement économique dans la mesure où elle pervertit les transactions économiques et commerciales internationales, cause la dilapidation des ressources financières et matérielles, provoque une mauvaise attribution des marchés publics, rompt les équilibres moraux de la société, fausse les règles de la concurrence et de la compétitivité (ce qui paralyse le libre jeu des forces du marché). Or, la BG démocratique secrète un environnement qui, du fait de paramètres qui lui sont spécifiques, néantise ou réduit considérablement la corruption. Parmi ces paramètres, on peut d’abord citer une presse libre et indépendante, révélant et dénonçant les scandales financiers ainsi que leurs acteurs, ce qui contribue à décourager le fléau ; on peut ensuite citer un arsenal législatif et réglementaire dissuasif, tendu vers une sévère répression des parties impliquées dans les cas de corruption ; on peut, en troisième lieu, citer une justice indépendante qui, sur la base et dans toute la rigueur de la sévère législation anti-corruption susmentionnée, juge et condamne systématiquement les personnes morales et physiques impliquées dans les cas de corruption ; on peut, en quatrième lieu, citer un agencement et une structuration des agents et organes de l’administration tels qu’il s’instaure un contrôle et une surveillance réciproques très étouffants pour la corruption ; on peut enfin citer la consécration des principes de l’Etat de droit.
c) Un environnement régi par les principes de l’Etat de droit
L’absence des principes de l’Etat de droit consacre le règne de l’arbitraire, de l’impunité, de la violation des droits et libertés, de l’insécurité juridique des transactions commerciales ainsi que des opérations financières et économiques, du déficit de fiabilité juridique des contrats liés aux investissements, de l’opacité et de la corruption, de la paralysie du libre jeu des forces du marché, de l’insoumission juridique de l’Etat et des agents d’exercice de son pouvoir, etc., ce qui rend absolument impossible tout développement global et durable. Or, la BG démocratique suppose l’Etat de droit, et donc ses principes de base que sont : le recours pour excès de pouvoir, de la part des particuliers, contre les actes administratifs qui leur font grief et qu’ils estiment illégaux ; la possibilité, pour ces mêmes particuliers, d’intenter une action en responsabilité contre l’Etat et ses démembrements lorsqu’ils jugent que ceux-ci, par leur action matérielle ou normative, leur ont anormalement causé un dommage, et d’obtenir réparation en cas de succès de leur recours juridictionnel ; la possibilité juridique d’attaquer les lois en inconstitutionnalité lorsqu’on les trouve non conformes à la loi fondamentale ; l’indépendance de la justice ; le respect des droits et libertés fondamentaux de l’homme ; le respect du principe de la hiérarchie des normes juridiques ; des rapports sociaux intégralement organisés et encadrés par le droit. Cela veut d’abord dire, concrètement, que toute personne physique ou morale peut intenter une action en justice contre l’Etat et ses démembrements pour violation de ses droits ou pour préjudice illégalement causé, et obtenir soit la non-application de l’acte illégal, soit la réparation du dommage causé ; la conséquence de ces possibilités juridiques, c’est que l’Etat se soucie du respect des divers droits des personnes physiques et morales. Mais cela veut également dire que les particuliers sont eux-mêmes juridiquement protégés les uns contre les autres du point de vue de leurs divers droits et libertés. Un tel environnement, sécurisant pour les personnes ainsi que leurs biens et activités, ne peut que stimuler un développement global et durable. Il en est de même lorsque cet environnement est géré par un Etat minimal mais régulateur des déséquilibres sociaux.
d) Un environnement géré par un Etat minimal mais régulateur des déséquilibres sociaux
Par nature, la BG démocratique, en tant qu’elle repose sur la démocratie libérale et l’Etat de droit, suppose un Etat libéral, c’est-à-dire un Etat qui se désengage au maximum possible au profit de l’initiative privée. Ce désengagement est opéré par rapport au secteur économique, voire même, également, par rapport aux secteurs dits sociaux. Cet Etat minimal se cantonne ainsi dans le cadre réduit de ses fonctions régaliennes : justice, diplomatie, sécurité intérieure et extérieure. Les secteurs ainsi libérés le sont au profit des privés, lesquels, soumis à un libre jeu des forces du marché, se livrent une concurrence loyale et saine. Les conditions sont ainsi réunies pour l’épanouissement du secteur privé, lequel est unanimement reconnu comme le moteur de la croissance et du développement économiques. Ce moins d’Etat ne signifie cependant pas un Etat faible ou sans autorité, incapable de résister aux forces du marché et à leurs effets pervers qui se traduisent par le développement de la pauvreté et des inégalités sociales. Outre ses fonctions régaliennes susmentionnées, cet Etat intervient par des mesures correctives (de type fiscal ou autres) aux fins de remédier à ces déséquilibres sociaux générés par le jeu aveugle des forces du marché et empêcher ainsi le mal-développement. Délesté de secteurs désormais gérés par le privé, l’Etat se trouve plus à même de s’acquitter correctement de ses missions régaliennes et, éventuellement, de bien gérer les secteurs sociaux encore à sa charge. Le moins d’Etat est ainsi instauré en vue d’un mieux d’Etat. Cet Etat minimal contribue à instaurer un environnement incitatif au travail et à l’initiative privée.
e) Un environnement incitatif pour le travail et l’initiative privée
Parce que suscitant la stabilité socio-politique, étouffant la corruption, consacrant les principes de l’Etat de droit, excluant l’Etat du secteur économique pour le cantonner dans ses fonctions régaliennes, la BG démocratique crée un environnement dans lequel les travailleurs et les investisseurs sont sûrs de récolter les fruits de leurs efforts. Cette certitude de récolter les fruits équitables des efforts consentis constitue un facteur dopant pour le travail et l’initiative privée et, par conséquent, stimulant pour la croissance et le développement économiques.
Par Malick TAMBEDOU
Politiste et Juriste internationaliste,
Haut Commissariat aux Droits de l’Homme et à la Promotion de la Paix,
E-mail : malicktambedou@hotmail.com
Le Soleil
Comme déjà souligné dans l’introduction, le développement, au véritable sens du terme, est un phénomène global parce que transcendant l’économie pour embrasser tous les autres domaines de la vie : le culturel, le politique, le social, le technique, l’alimentation, le logement, les transports, les loisirs, la santé, l’éducation, les droits et libertés de l’homme, etc. Pour que ce développement plein puisse être durablement réalisé, il faut, de façon indispensable, la mise en œuvre d’une BG démocratique ; même s’il est vrai que celle-ci ne mène pas toujours et automatiquement à celui-là, il demeure constant qu’on ne peut absolument pas le réaliser sans elle, et cela, encore moins de façon durable. Même réduit à sa seule dimension économique, le développement, tel que réalisé par exemple par les pays asiatiques et sud-américains susmentionnés, n’est jamais viable parce qu’excluant la BG démocratique et reposant donc sur la dictature ; le processus de ce modèle de développement unilatéralement conçu et dirigé par le haut, peut, à tout moment, être interrompu et bouleversé par un violent soulèvement des populations réclamant une démocratisation de la gestion des affaires publiques et le respect de leurs droits et libertés fondamentaux : c’est tout le sens de l’effondrement des pays de l’ancien bloc de l’Est après une période de succès économiques, les violentes revendications démocratiques en Afrique au début des années 1990, et les explosions et crises socio-politiques qui ont ébranlé l’Argentine, le Brésil, le Chili, la Malaisie et l’Indonésie entre 2003 et 2004. Et si la BG apparaît ainsi comme incontournable sur le chemin du développement global et durable, c’est du fait, d’une part, d’une gestion des affaires publiques basée sur la transparence ainsi que l’adhésion et la participation populaires (A) et, d’autre part, d’un environnement politico-juridique stimulant pour le développement (B).
A. Du fait d’une gestion des affaires publiques basée sur la transparence ainsi que l’adhésion et la participation populaires
Par nature, la BG démocratique, précisément parce qu’elle repose sur la démocratie libérale et pluraliste, postule, dans le cadre de la gestion des affaires publiques, la transparence ainsi que l’adhésion et la participation populaires. Or, il s’agit là de facteurs contribuant décisivement à la réalisation d’un développement global et durable. Avec la transparence, les populations sont parfaitement informées de la gestion qui est faite des affaires publiques. Cela, parce que l’information circule sans entrave, véhiculée qu’elle est par une presse libre, indépendante, plurielle, et ayant accès aux sources de l’information officielle du fait de la volonté de communication et de transparence des gouvernants. Cette presse libre met à nu les scandales financiers, dénonce le népotisme et le favoritisme, flétrit l’injustice et l’arbitraire, condamne la violation des droits et libertés fondamentaux, fustige les cadres incompétents et laxistes, magnifie l’excellence et la compétence, forme l’opinion, et suscite un débat public permanent et contradictoire sur les divers aspects de la vie publique. La gestion des affaires publiques est ainsi vulgarisée et soumise à l’appréciation critique des citoyens et de l’opposition politique, ce qui oblige les gouvernants, dans le cadre de cette gestion, à faire preuve de sérieux, de rigueur, et de pertinence. De même, de ce débat public permanent et contradictoire, naissent des idées pertinentes que les gouvernants peuvent mettre en application.
Du fait de l’adhésion populaire, la gestion des affaires publiques et des divers projets de développement, ne se fait plus par le moyen de choix unilatéralement opérés au sommet par des technocrates suffisants et prenant le peuple pour une masse d’ignares et d’incapables : cette gestion et ces divers projets de développement sont, au contraire, avant leur mise en œuvre, expliqués aux populations qu’ils concernent, librement discutés avec elles ; si, au terme de ces consultations, elles y adhèrent parce que convaincues de leur pertinence, ce sera là le meilleur gage de leur réussite, surtout si elles sont impliquées dans leur mise en œuvre.
Cette implication est assurée par le principe de la participation populaire induit par la BG démocratique. Avec ce principe, en effet, les populations apportent leur soutien agissant aux projets de développement qui les concernent directement ; en d’autres termes, elles sont associées à la réalisation de tout projet de développement qui les concerne. Quant à la gestion des affaires publiques locales, elle leur est transférée, dans la mesure du possible, par le moyen de la décentralisation administrative ; cela leur permet de gérer elles-mêmes leurs propres affaires par le biais de représentants élus et contrôlés par elles et de se mettre, de ce fait, à l’école de la démocratie. Le principe de participation suscite ainsi, chez les populations, un enthousiasme et un sentiment de responsabilisation très favorables au développement. Mais si le développement, dans son sens véritable, est ainsi suscité par la BG démocratique, c’est également du fait d’un environnement politico-juridique stimulant.
B. Du fait d’un environnement politico-juridique stimulant pour le développement
La BG démocratique secrète un environnement stimulant pour un développement global et durable. Il s’agit d’un environnement caractérisé par une stabilité socio-politique viable (a), une corruption inexistante ou très réduite (b), la consécration des principes de l’Etat de droit (c), un Etat minimal mais régulateur des déséquilibres sociaux (d), et, enfin, incitatif pour le travail et l’initiative privée (e).
a) Un environnement caractérisé par une stabilité socio-politique viable
Sans stabilité socio-politique, le développement est tout simplement impossible. Or, la BG démocratique, précisément parce qu’elle repose sur la démocratie libérale et pluraliste, constitue l’unique moyen de réaliser une stabilité socio-politique viable. On parle de viabilité parce qu’il s’agit d’une stabilité socio-politique consentie et voulue par le corps social, inscrite dans l’ordre normal des choses car immanente au mode même de gestion démocratique de la société. Bien sûr, la pratique et l’histoire montrent qu’il existe des cas de stabilité socio-politique ne reposant pas sur la démocratie et pouvant même générer un développement. Mais, en premier lieu, ce genre de stabilité socio-politique n’est jamais viable parce qu’artificiel, basé sur la contrainte et la dictature ; à tout moment, il peut être troublé ou rompu par le soulèvement de populations revendiquant violemment leur liberté d’expression et leur implication par rapport à la gestion des affaires de la collectivité. Ensuite, en second lieu, et du fait même de cette possibilité de soulèvement des populations à tout moment, le développement réalisé dans le cadre de cette stabilité socio-politique factice n’est jamais un développement durable. Enfin, en troisième lieu, le développement ainsi réalisé n’est jamais un développement véritable, c’est-à-dire global ; inscrit dans un contexte de dictature, il ne s’étend surtout pas aux droits et libertés fondamentaux, confiné qu’il est au domaine économique et s’appréciant ainsi par des considérations quantitatives induites par une bonne croissance économique. Cela dit, il faut maintenant reconnaître que la démocratie libérale et pluraliste que suppose la BG démocratique, ne suscite pas toujours la stabilité socio-politique ; d’abord, l’instauration ou la réinstauration de cette forme de démocratie dans une société qui en a longtemps été privée, peut être source de troubles socio-politiques et donc d’instabilité ; de même, lorsque la société dans laquelle elle s’applique est en même temps le théâtre d’inégalités sociales exacerbées, liées à une injuste répartition des revenus et des richesses nationales, cette forme de démocratie se traduit par des troubles socio-politiques et donc l’instabilité. Toutefois, il demeure constant que la démocratie libérale que postule la BG démocratique, est la condition, et la seule, d’une stabilité socio-politique véritablement viable ; la récente faillite des stabilités artificielles imposées dans la terreur et la répression par les anciennes démocraties populaires et les dictateurs africains en atteste à suffisance. Et outre cette stabilité socio-politique viable, l’environnement politico-juridique secrété par la BG démocratique se caractérise par l’inexistence ou l’insignifiance de la corruption.
b) Un environnement où la corruption est inexistante ou très réduite
La corruption constitue un phénomène éminemment pernicieux pour le développement économique dans la mesure où elle pervertit les transactions économiques et commerciales internationales, cause la dilapidation des ressources financières et matérielles, provoque une mauvaise attribution des marchés publics, rompt les équilibres moraux de la société, fausse les règles de la concurrence et de la compétitivité (ce qui paralyse le libre jeu des forces du marché). Or, la BG démocratique secrète un environnement qui, du fait de paramètres qui lui sont spécifiques, néantise ou réduit considérablement la corruption. Parmi ces paramètres, on peut d’abord citer une presse libre et indépendante, révélant et dénonçant les scandales financiers ainsi que leurs acteurs, ce qui contribue à décourager le fléau ; on peut ensuite citer un arsenal législatif et réglementaire dissuasif, tendu vers une sévère répression des parties impliquées dans les cas de corruption ; on peut, en troisième lieu, citer une justice indépendante qui, sur la base et dans toute la rigueur de la sévère législation anti-corruption susmentionnée, juge et condamne systématiquement les personnes morales et physiques impliquées dans les cas de corruption ; on peut, en quatrième lieu, citer un agencement et une structuration des agents et organes de l’administration tels qu’il s’instaure un contrôle et une surveillance réciproques très étouffants pour la corruption ; on peut enfin citer la consécration des principes de l’Etat de droit.
c) Un environnement régi par les principes de l’Etat de droit
L’absence des principes de l’Etat de droit consacre le règne de l’arbitraire, de l’impunité, de la violation des droits et libertés, de l’insécurité juridique des transactions commerciales ainsi que des opérations financières et économiques, du déficit de fiabilité juridique des contrats liés aux investissements, de l’opacité et de la corruption, de la paralysie du libre jeu des forces du marché, de l’insoumission juridique de l’Etat et des agents d’exercice de son pouvoir, etc., ce qui rend absolument impossible tout développement global et durable. Or, la BG démocratique suppose l’Etat de droit, et donc ses principes de base que sont : le recours pour excès de pouvoir, de la part des particuliers, contre les actes administratifs qui leur font grief et qu’ils estiment illégaux ; la possibilité, pour ces mêmes particuliers, d’intenter une action en responsabilité contre l’Etat et ses démembrements lorsqu’ils jugent que ceux-ci, par leur action matérielle ou normative, leur ont anormalement causé un dommage, et d’obtenir réparation en cas de succès de leur recours juridictionnel ; la possibilité juridique d’attaquer les lois en inconstitutionnalité lorsqu’on les trouve non conformes à la loi fondamentale ; l’indépendance de la justice ; le respect des droits et libertés fondamentaux de l’homme ; le respect du principe de la hiérarchie des normes juridiques ; des rapports sociaux intégralement organisés et encadrés par le droit. Cela veut d’abord dire, concrètement, que toute personne physique ou morale peut intenter une action en justice contre l’Etat et ses démembrements pour violation de ses droits ou pour préjudice illégalement causé, et obtenir soit la non-application de l’acte illégal, soit la réparation du dommage causé ; la conséquence de ces possibilités juridiques, c’est que l’Etat se soucie du respect des divers droits des personnes physiques et morales. Mais cela veut également dire que les particuliers sont eux-mêmes juridiquement protégés les uns contre les autres du point de vue de leurs divers droits et libertés. Un tel environnement, sécurisant pour les personnes ainsi que leurs biens et activités, ne peut que stimuler un développement global et durable. Il en est de même lorsque cet environnement est géré par un Etat minimal mais régulateur des déséquilibres sociaux.
d) Un environnement géré par un Etat minimal mais régulateur des déséquilibres sociaux
Par nature, la BG démocratique, en tant qu’elle repose sur la démocratie libérale et l’Etat de droit, suppose un Etat libéral, c’est-à-dire un Etat qui se désengage au maximum possible au profit de l’initiative privée. Ce désengagement est opéré par rapport au secteur économique, voire même, également, par rapport aux secteurs dits sociaux. Cet Etat minimal se cantonne ainsi dans le cadre réduit de ses fonctions régaliennes : justice, diplomatie, sécurité intérieure et extérieure. Les secteurs ainsi libérés le sont au profit des privés, lesquels, soumis à un libre jeu des forces du marché, se livrent une concurrence loyale et saine. Les conditions sont ainsi réunies pour l’épanouissement du secteur privé, lequel est unanimement reconnu comme le moteur de la croissance et du développement économiques. Ce moins d’Etat ne signifie cependant pas un Etat faible ou sans autorité, incapable de résister aux forces du marché et à leurs effets pervers qui se traduisent par le développement de la pauvreté et des inégalités sociales. Outre ses fonctions régaliennes susmentionnées, cet Etat intervient par des mesures correctives (de type fiscal ou autres) aux fins de remédier à ces déséquilibres sociaux générés par le jeu aveugle des forces du marché et empêcher ainsi le mal-développement. Délesté de secteurs désormais gérés par le privé, l’Etat se trouve plus à même de s’acquitter correctement de ses missions régaliennes et, éventuellement, de bien gérer les secteurs sociaux encore à sa charge. Le moins d’Etat est ainsi instauré en vue d’un mieux d’Etat. Cet Etat minimal contribue à instaurer un environnement incitatif au travail et à l’initiative privée.
e) Un environnement incitatif pour le travail et l’initiative privée
Parce que suscitant la stabilité socio-politique, étouffant la corruption, consacrant les principes de l’Etat de droit, excluant l’Etat du secteur économique pour le cantonner dans ses fonctions régaliennes, la BG démocratique crée un environnement dans lequel les travailleurs et les investisseurs sont sûrs de récolter les fruits de leurs efforts. Cette certitude de récolter les fruits équitables des efforts consentis constitue un facteur dopant pour le travail et l’initiative privée et, par conséquent, stimulant pour la croissance et le développement économiques.
Par Malick TAMBEDOU
Politiste et Juriste internationaliste,
Haut Commissariat aux Droits de l’Homme et à la Promotion de la Paix,
E-mail : malicktambedou@hotmail.com
Le Soleil