À la recherche de « territoires de proximité » et pour quelle gestion ?



Si depuis l’indépendance, différentes réformes ont modelé et remodelé l’architecture territoriale et administrative du territoire national, les initiatives entreprises depuis l’avènement de l’alternance en 2000 présentent, toutefois, une dimension souvent inexplicable. En effet, prenant acte de facto de l’épuisement du modèle de régulation territoriale initié par le régime socialiste depuis l’indépendance, le gouvernement de l’alternance a exprimé clairement sa volonté d’inverser la tendance au profit d’une décentralisation dite de « proximité ». Selon les nouvelles autorités, la carte administrative du pays laissait encore peser des doutes sur la finalité des entités retenues, le rôle et l’objectif de développement socioéconomique centré sur les collectivités locales. On entend donc par-là, conforter les liens avec le « local » et faire atteindre aux unités territoriales de base une échelle pertinente pour l’action publique. Pour ses initiateurs, l’affirmation du local devait occuper la première place dans la conduite de l’action publique. Ainsi, malgré leur apparence « passéiste », et des risques d’irrédentisme identitaire, dans un premier temps on a fait appel aux « terroirs » à travers les « provinces historiques ». Ce projet proposait un aménagement du territoire par l’érection de provinces (collectivités locales à la place des départements et avec suppression des régions collectivités locales) pour favoriser la prise en compte, par l’action publique, du quotidien des habitants à travers des « territoires de proximité ». Ce projet entendait aussi introduire un redimensionnement des communautés rurales pour en faire des institutions intercommunales en milieu rural. À terme, la commune, la commune rurale et la province devraient constituer les trois niveaux de collectivités locales du pays pour « arriver à un découpage géographique et administratif plus équilibré ». Cette démarche, selon les autorités, s’inscrit dans un souci d’intégration et de mise en cohérence d’une échelle territoriale pertinente pour l’action publique.

Avec de telles vertus, le territoire change de statut. Il n’est plus seulement un support pour le déploiement de ses interventions mais aussi « moteur et objet de la transformation de l’action publique ». Car « le territoire fournit à la fois du sens, et le sens aux initiatives ». Il s’érige simultanément en finalité et en méthode d’action. Ce qui devient à la fois un problème technique, administratif, socioéconomique, mais aussi politique. Mais cette réforme ne comportait à l’évidence des sous-entendus. En effet, on percevait que l’action publique avait de moins en moins de prise sur les populations cibles parce que trop éloignée, et à travers ce projet on entendait renouer ce lien entre les habitants d’avec leur terroir, leur histoire. Finalement avec de multiples manifestations hostiles, le Président Wade est revenu sur le projet, en l’abandonnant. Toutefois, une réforme territoriale a, quand même, vu le jour en 2002.

Pour les autorités, la création d’une entité régionale autour de Matam répondait à réparer une triple injustice : la taille du département de Matam était très grande par rapport aux autres départements du pays pour une gestion de proximité ; le caractère excentré de Matam par rapport à son chef-lieu de région (Saint-Louis) avec son corolaire : un encadrement administratif faible, une difficile prise en charge de la demande sociale, un encadrement mal aisé de la dynamique économique de ses expatriés, enfin une difficulté d’intégration des « matamois » et d’identification à l’entité régionale. Pour ce qui est de la création des nouveaux départements, pour Saint-Louis, il est justifié par le fait que c’est la seule entité chef-lieu de région qui ne bénéficie pas de ce statut de département. Rattaché administrativement au département de Dagana, la commune de Saint-Louis crée une discontinuité dans la configuration de ce département. S’agissant du département de Guédiawaye, sa création s’expliquerait essentiellement par la taille du département de Pikine qui est le seul parmi ceux de la région de Dakar à regrouper deux villes : Pikine et Guédiawaye auxquelles se greffent des colonies de peuplement mal maîtrisées. Donc cette réforme permettrait de « créer les conditions d’une administration de proximité ». Pour les départements de Kounghuel et de Goudiry, les raisons semblent être l’étendue de leurs départements respectifs de rattachement. En ce qui concerne Kounghuel, l’accent était mis sur la superficie de Kaffrine qui serait trop vaste pour favoriser une administration de proximité à cause de sa situation excentrée par rapport au chef-lieu. Des raisons similaires étaient avancées pour justifier la création du département de Goudiry : Bakel trop vaste, « dispersion sociologique, double façade frontalière » (Mauritanie et Mali), l’éloignement du chef-lieu mais aussi par la « nécessité de créer un pôle administratif à même de rendre efficient la valeur ajoutée de ses expatriés ». Aujourd’hui encore, les mêmes raisons sont avancées pour justifier la création des régions de Sédhiou, Kédougou et de Kaffrine.

L’action publique confrontée, certes, à un double mouvement contradictoire, globalisation et perte de sens liée à la complexité croissante des interventions, avait besoin d’une attache territoriale. Mais conférer une telle place au territoire pour la conduite de l’action publique ne paraît-il pas démesuré, compte tenu des réalités sociologiques et socio-économiques locales ? On pourrait aussi se demander quelle pourrait être la portée d’une telle géographie de l’action publique à travers toutes ces réformes, quant on sait que cette quête d’un « territoire adapté » a toujours été au cœur de toutes les démarches de modernisation des institutions publiques sénégalaises ainsi que dans leurs interventions ? Certes, dans la dialectique décentralisation/développement local, il s’agit de déterminer l’échelon territorial le plus efficace pour une gestion de proximité mais, faut-il opposer le proche au lointain pour exprimer une exigence de proximité ou s’agit-il tout simplement de compléter le mouvement d’en haut par un mouvement d’en bas (une véritable gestion locale) ?

En dépit de toutes les justifications avancées par les autorités, la pertinence de cette nouvelle géographie de l’action publique est tout aussi discutable lorsqu’il s’agit de déterminer à quel niveau la proximité peut-elle s’exprimer. La structure pyramidale actuelle à quatre échelons est-elle bien adaptée au principe d’une gestion de proximité ? Une multiplication d’échelles territoriales ne compliquerait-elle pas d’avantage les rapports entre les différents niveaux de collectivités locales d’une part et entre les différents niveaux de circonscriptions administratives d’autre part, au lieu d’en éclairer ? Avec un trop-plein de régions (collectivités locales), pourra t-on faire l’économie d’un réexamen des principes fondateurs qui guident le processus de décentralisation, notamment la gestion de proximité et une viabilité financière des ces collectivités territoriales ? Autant de questions qui ne trouvent pas de réponse dans une simple réforme territoriale.

En effet, en quarante ans de décentralisation, c’est au nom de cette « proximité » que les politiques locales de développement ont privilégié différents échelons territoriaux sans succès. En mettant en avant la communauté rurale à partir de 1972, suivie des communes d’arrondissement dans la région de Dakar et de la région en 1996, on entendait aussi favoriser cette « gestion de la proximité ». C’est aussi à la recherche de cette même proximité que les régions de Fatick et de Kolda ont été créées en 1984. Mais en faisant le bilan de toute cette dynamique au regard des raisons avancées et de l’état de ces collectivités locales, peut-on dire que les objectifs de développement local (voir Diop, 2006*) sont atteints ou même amorcés ? Il n’est pas facile de répondre à l’affirmative, à cette question, tant toutes ces nouvelles entités régionales sont dans un état lamentable. En outre, lorsque l’on examine de plus près cette « pertinence territoriale » correspond moins à une géographie strictement définie qu’à des horizons inaccessibles. Car il y a toujours d’autres territoires de référence pour des acteurs qui attendent d’être décloisonnés et qui ne correspondent pas nécessairement aux découpages proposés. Pourquoi pas une région à Linguère, ou encore à Bakel… ?

Ainsi, les nouveaux territoires de l’action publique avancés ne résolvent pas définitivement la question de l’échelle territoriale adaptée. Au contraire, ils la renouvellent dans une autre problématique, notamment par la superposition de la composante socioculturelle et socioéconomique. En outre, il faut éviter, que ce processus ne soit compliqué par des polémiques trop « politiciennes » ou purement techniques. Car la délimitation et les compétences des nouvelles entités territoriales ne doivent pas relever seulement de critères techniques ou politiques. Enfin, même si l’aménagement du territoire peut être un outil administratif efficace pour une gestion rationnelle des territoires, il ne peut être un sésame pour le développement. À ce titre la décentralisation n’est pas une réforme prêt-à-porter et elle ne permet pas de régler à coup de décrets et de lois tous les problèmes de développement qui se posent ; même si elle est inséparable d’un processus d’aménagement du territoire.


*Décentralisation et gouvernance locale au Sénégal : quelle pertinence pour le développement local ? Harmattan.


Dr Djibril DIOP
Chargé de cours Université de Montréal (Canada)
djibril.diop@umontreal.ca


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Commentaires articles

1.Posté par Anouard le 30/12/2011 13:00
Article très interéssant, pourtant la proposition de provincialisation était pertinente au regard du découpage actuel du territoire national dont la recomposition au travers d'entité homogène et économiquement viable est une impérieuse nécessité pour une plus grande efficacité de l'action publique.

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