Etre élu local au Sénégal, c’est quoi ?
Le transfert de compétences, épine dorsale sur laquelle s’est construit les lois de 1996, n’a pas été accompagné d’une reconnaissance aux élus locaux de la charge liée à l’exercice du pouvoir de proximité. Malgré que le Code des Collectivités locales reconnait quelques prérogatives à ces acteurs indispensables du processus, un flou entour encore le dispositif. Il est indispensable aujourd’hui, pour mieux cadrer avec cette dynamique où personne ne se semble responsable de rien et pour rendre la gestion des collectivités locales plus saine, de revoir le statut de l’élu local en matière de responsabilisation. En effet, au moment où l’on note de plus en plus d’intervenants et la montée d’une certaine « société civile » locale, il devient fondamental que cet acteur important dans le processus décentralisation puisse jouir d’une reconnaissance et une circonscription de ses responsabilités plus conforme à son rôle et à sa mission. Or, lorsque qu’on regarde de près le processus, plusieurs questions restent posées !
Dans toutes les sphères on ne cesse de chanter que la décentralisation sénégalaise a atteint un tel niveau de maturité, qu’il n’est pas possible un retour en arrière. Certes ! Mais à y regarder de près, on constate que quelque chose cloche et qui empêche aux institutions locales d’exercer pleinement leur DEVOIRS (pourquoi DEVOIRS en majuscule, parce que car lorsque l’on fait référence aux activités des élus on a l’impression que l’exercice de cette mission est de l’aumône envers les populations, mais non un devoir qu’exige sa fonction). Par exemple, si un élu local contribue à la réalisation d’un éclairage public dans une artère de sa collectivité locale, c’est parce qu’il est bon envers sa population à qui pense et qui de par grâce de sa bonneté lui accorde ce « bien-être » du « bienfaiteur » et non un devoir de l’élu vis-à vis de ses administrés. Or ce que l’on oubli, le plus souvent, c’est qu’il a été élu pour ça, et pour rien d’autre.
Ainsi, il est intéressant d’analyser le rôle dévolu par les lois et règlements à cet acteur incontournable du processus, notamment sur l’effectivité de l’exercice de ses missions, comment il les exerce ? La problématique générale de la « gouvernance locale » (il est intéressant ici de voir le contenu donné à ce concept au Sénégal lorsqu’on parle de gouvernance) ? La problématique de l’imputabilité ou de l’impunité ? La problématique du rendre compte ? Et à qui ?; la problématique pour être élu local au Sénégal, car ne l’est qui veut ? Le tout politique, qui nuit très souvent à la bonne marche des institutions ; le manque d’entreprenariat-ship. Il serait aussi intéressant de voir quelle idée, l’élu local lui-même se fait de sa mission ? L’élu local est-il responsable civilement, administrativement, politiquement ? à quel degré ? et devant qui ? Ses administrés ? L’État ? Le Président de la République ? (Avec les la dissolution récente du conseil de quelques collectivités locales) ; Le Président de la République doit doit-il être le seul arbitre du jeu ? Quelle est la place des autres acteurs en particulier les contribuables ?(même si on a noté récemment des manifestations de population pour dénoncer la gestion de leur élus). Enfin quelle perception la population a de la mission des élus ?
Par exemple quelle est la responsabilité du Maire, du PCR ou encore du PR lorsque sur son «territoire » lors d’un match de football de « nawetane », un incident engendre une victime ? Ou dans une commune lorsque l’éclairage public fait défaut et qu’un résident est victime d’une agression qui conduit à son décès, quelle peut être la responsabilité du premier magistrat de cette localité ? Ou encore avec la « cantinisation » de certaines communes d’arrondissement (et ceci malgré l’opposition des résidents), quelle responsabilité du Maire en cas d’incident ou simplement d’incivilité ? S’il peut être attaqué, jusqu’à où ? Pour quelle issue réserver à tout cela ?
Autant de questionnements, entre autres, qui restent aujourd’hui sans réponse malgré les avancées notables notées dans le processus. Certes, la sécurité et l'ordre publics sont du ressort exclusif de l'administration centrale, car n’étant pas une compétente transférée par les lois de 1996, mais doit continuer à considérer les élus locaux « irresponsables », ou que seul l’État peut intenter une mesure disciplinaire envers ces derniers ?
Dans le système sénégalais, en théorie, l’élu local dispose d’un pouvoir, puisqu’il agit au nom et représente l’ensemble de sa collectivité (au sens regroupement de populations), même s’il ne peut être révoqué par cette dernière. Quant aux citoyens, ils disposent de divers moyens de contrôle et de pression sur les élus. Leur présence aux délibérations des conseils outre qu’elle peut être dissuasive, elle permet d’être informés des questions discutées et des décisions prises en leur nom. Surtout, ils disposent d’un moyen de contrôle et de pression plus efficace au travers d’élections régulières. En effet, par le biais de la représentation populaire les citoyens peuvent désigner leurs gouvernants et/ou ne pas les maintenir en place au-delà des limites de leurs mandats. Ainsi, l’élection constitue le procédé de « contrôle » des élus. Car, des élections renouvelées à intervalles régulières, font que les élus estiment qu’ils ont des comptes à rendre à leurs électeurs. Ce qui les obligent à se sentir comptable vis-à-vis de l’opinion locale dans leurs choix. Tout cela en théorie, bien sure. Car dans la pratique, les choses sont à des années lumières de ces dispositions.
Pourtant, c’est sur cette base que la loi du 22 mars 1996 voulait promouvoir une vraie démocratie participative en donnant une place aux administrés dans la conduite des « affaires locales ». Mieux informés, ils pouvaient ainsi être associés à leur gestion. Or dans la pratique, cette forme de participation se limite tout simplement à une implication de certains responsables dont la légitimité est souvent mal perçue par la population. En effet, le mode de gestion des responsabilités ne se fait que sur des « bases politiciennes » ou d’intérêt individuel sans aucune considération objective de l’intérêt général. Ce qui fait que très souvent, les populations contestent l’autorité des élus sur une décision prise. Cette situation entraîne de nombreux blocages voire des problèmes de légitimité des élus vis-à-vis des populations qu’ils sont pourtant chargés d’administrer. Cet état de fait a été constaté dans différentes initiatives prises par les maires d’arrondissements de Dakar. C’est le cas surtout des décisions prises en matière de gestion des terres, notamment dans les communautés rurales.
En outre, quelles que soient les vertus démocratiques attachées aux conseils locaux, les chances d’être élu dans certaines organes locaux dépendent de son assise sociale, étroitement liée à l’appartenance sociale de l’individu, à la place de son cercle familial dans le milieu social. Par exemple, après les élections locales du 12 mai 2002, le conseil rural de Bokiladji dans la région de Matam, est resté longtemps bloqué parce qu’un soit disant descendant « d’esclave » a été désigné président, ce que les « nobles » récusaient. Ainsi, les conseils ne sont pas toujours représentatifs des diverses composantes de la population locale. Car certaines personnes sont d’emblée exclues du fait de leur origine sociale. À cela s’ajoute la faible représentativité sur le plan politique et une faible compétence 5même si ces dernières années on note une nette amélioration du profil des élus). En effet, les listes électorales pour briguer ces conseils, sont constituées moins sur la base de compétences, que sur la base de « critères politiques » et « sociaux ».
On assiste plutôt à une transposition des hégémonies sociales traditionnelles au sein d’institutions modernes. Ceci n’est pas étonnant lorsqu’on observe la faible représentation des femmes et des jeunes qui se traduit aussi par une marginalisation de leurs préoccupations dans les actions menées par les conseils locaux. Alors que la gestion politique par faction au pouvoir, a été jusque là, fortement gaspilleuse d’énergies et de moyens. Il est également regrettable que malgré la dynamique institutionnelle née de la loi 96-07 du 22 mars 1996 - portant transfert de compétences aux collectivités locales - les activités menées par les conseils soient restées les mêmes que dans le passé. C’est tout ceci qui est à l’origine des méfiances des populations vis-à-vis des institutions locales, qu’elles jugent le plus souvent illégitimes pour prendre des décisions en leur nom.
Par ailleurs, la modicité des indemnités dont bénéficiaient les élus locaux (Maire et Président de Communautés Rurales en particulier) faisait que ces deniers confondaient le plus souvent leur poche avec la caisse de la collectivité locale. En effet, les organes exécutifs de ces collectivités locales ne disposaient que d’indemnités et non de salaires. Toutefois, cette disposition a connu une évolution. De 25 000 FCfa avant l’alternance, le Président Wade a multiplié les indemnités des Présidents de Communauté Rurale par six, avec le décret n°2005-48 du 11 janvier 2005 qui alloue désormais respectivement aux PCR une indemnité de 150 000 FCfa et aux Vice-présidents de conseils ruraux, 25 000 FCfa, à chacun des deux vice-présidents à la place de 15 000 et 10 000 FCfa perçue avant. En outre, le chef de l’État a équipé tous les PCR (321) de véhicules 4x4 pour faciliter leurs déplacements. Dans ce même ordre d’idées, il a renforcé le traitement des Maires avec des émoluments de 300 000 FCfa pour les Maires des communes de moindre importance et 900 000 FCfa pour les Maires des communes de capitales régionales en passant par 500 000 FCfa pour les Maires des communes chef-lieu de département, contre une indemnisation de 50 000 à 80 000 FCfa par mois auparavant. Quant n’est-il pour les autres élus ?
Par comparaison en France, le statut de l'élu est plus ancien et plus clair. L'élu local est un bénévole qui touche une indemnité forfaitaire soumise à l’impôt. Les élus à temps complet, notamment les présidents de conseils régionaux et généraux et les Maires des grandes villes, qui doivent être disponibles à tout temps pour leur mandat, disposent d’une indemnité de l'ordre de 6 fois le SMIC (salaire minimum). Le principe de l'indemnisation, même s'il est encore très imparfait, est une conquête des citoyens pour garantir l'indépendance de leurs élus et s'assurer que la fonction n’est pas occupée que par des rentiers. Un élu indemnisé, est donc en situation de faute personnelle grave s'il profite de sa fonction pour bénéficier d'avantages en argent ou en nature. Ainsi, ces Maires perçoivent une indemnité mensuelle comprise entre 600 et 5200 Euros, selon la population de leur commune. Et l’élu local garde une responsabilité civile et administrative très importante dans l’exercice de sa fonction qui peut le conduire en prison dans certaines cas et même d’être condamné. Par exemple, la responsabilité civile d’un Maire a été engagée dans une petite commune, lorsque la barre des buts d’un terrain de football est tombée sur un enfant qui a trouvé la mort. Le Maire a été condamné, en homicide involontaire, à la suite de cet incident. Ainsi, si le statut va avec des privilèges (indemnité, habillement, retraite, etc.), il ne doit être pas séparé des responsabilités civiles que cela engage.
Certes, les émoluments concédés par le Président Wade sont tout à fait justifier pour corriger cette imperfection. Toutefois, celles-ci ne doivent pas être comprises uniquement comme des privilèges. En effet, il ne faut pas simplement avoir une visée sur les avantages liés à la fonction de PCR, de Président de Région ou de Maire et écarter d’un revers de main les responsabilités que cela implique.
Alors que les différentes lois de la décentralisation n’ont pas aboli ce qu’il convient d’appeler « la tutelle sur les personnes » qui permet à l’État de tirer les conséquences de situations contraires à l’intérêt général ou à sa volonté. Sans que la liste soit limitative, le Code des collectivités locales de 1996 énumère les « fautes » pouvant entraîner, outre des poursuites judiciaires (art. 219), la suspension de l’élu (art. 221). Les articles 219 à 235 circonscrivent l’essentiel de la tutelle de l’État sur les élus locaux. En 2001, sous une initiative présidentielle, le Code des collectivités locales a été modifié, plus précisément en ses articles 52, 61, 141, 146, 173, 219, 221, et 235, octroyant à l’exécutif central, le pouvoir de sanctionner les défaillances des collectivités locales en dissolvant les conseils régionaux, municipaux ou ruraux responsables de « paralysie » ou de « carence notoire » dans « l’exercice de leur attribution » et d’autre part de « suspendre » ou de « révoquer » tout Maire ou Adjoints, Président ou Vice-président de Conseil Régional ou Rural coupable « de manquement à leurs obligations ». Si, d’après les motifs du projet de loi, il n’est nullement question de restreindre la marge d’autonomie des collectivités locales, mais de permettre à l’État de tirer les conséquences, tant des fautes commises par les élus locaux, que de certaines situations illégales ou contraires à l’intérêt général, il reste que la prérogative reste au Président de la République d’en juger. Alors ou est la place des administrés face aux « fautes » ou responsabilités imputables à leurs élus ?
A mon avis, ceux qui parlent aujourd’hui de cette reconnaissance d’un statut à l’élu local, réclament plutôt de « rang », que de « statut ». Une partie de la classe politique nationale et une certaine élite, souhaitent aujourd’hui militer au niveau local. Leur souci s’appuie surtout sur le rang équivalant avec les privilèges qui vont avec d’un poste similaire au niveau national. Ce qui fausse totalement l’esprit qui doit guider la mise en place de cette notion de «statut » de l’élu, qui ne doit pas être séparé des responsabilités engagées. Ainsi, les garde-fous contenus sans l’actuel Code des Collectivités locales, « destiné à contraindre les élus à se soumettre à leurs obligations », devront être renforcés et explicités en élargissant cette imputabilité aux administrés. En effet, les contribuables ne doivent pas être ignorés dans ce dispositif, qui, rappelons le, ils doivent être au centre du processus pour plus de transparence, d’« accountability », d’imputabilité des élus vis-à-vis de leurs administrés.
Pour se faire, l’on pourra dresser un bilan des expériences et des bonnes pratiques en matière de gestion décentralisée tout en identifiant les blocages qui freinent la « bonne gouvernance locale ». Il sera ainsi nécessaire de saisir directement les grands dossiers intéressant le statut de l’élu, notamment dans l’organisation administrative du territoire, le mode de gouvernance locale, les formes d’imputabilités de l’élu, tout cela entrant dans le cadre de la modernisation de la démocratie locale. En effet, l’émancipation de la démocratie locale sénégalaise vis-à-vis du pouvoir central passe nécessairement par la mise en place d’un statut adapté aux exigences aux nouvelles responsabilités des élus locaux indissociable de la promotion de la « bonne gouvernance locale ».
Dr Djibril DIOP
Chargé de cours Université de Montréal (Canada)
djibril.diop@umontreal.ca
Le transfert de compétences, épine dorsale sur laquelle s’est construit les lois de 1996, n’a pas été accompagné d’une reconnaissance aux élus locaux de la charge liée à l’exercice du pouvoir de proximité. Malgré que le Code des Collectivités locales reconnait quelques prérogatives à ces acteurs indispensables du processus, un flou entour encore le dispositif. Il est indispensable aujourd’hui, pour mieux cadrer avec cette dynamique où personne ne se semble responsable de rien et pour rendre la gestion des collectivités locales plus saine, de revoir le statut de l’élu local en matière de responsabilisation. En effet, au moment où l’on note de plus en plus d’intervenants et la montée d’une certaine « société civile » locale, il devient fondamental que cet acteur important dans le processus décentralisation puisse jouir d’une reconnaissance et une circonscription de ses responsabilités plus conforme à son rôle et à sa mission. Or, lorsque qu’on regarde de près le processus, plusieurs questions restent posées !
Dans toutes les sphères on ne cesse de chanter que la décentralisation sénégalaise a atteint un tel niveau de maturité, qu’il n’est pas possible un retour en arrière. Certes ! Mais à y regarder de près, on constate que quelque chose cloche et qui empêche aux institutions locales d’exercer pleinement leur DEVOIRS (pourquoi DEVOIRS en majuscule, parce que car lorsque l’on fait référence aux activités des élus on a l’impression que l’exercice de cette mission est de l’aumône envers les populations, mais non un devoir qu’exige sa fonction). Par exemple, si un élu local contribue à la réalisation d’un éclairage public dans une artère de sa collectivité locale, c’est parce qu’il est bon envers sa population à qui pense et qui de par grâce de sa bonneté lui accorde ce « bien-être » du « bienfaiteur » et non un devoir de l’élu vis-à vis de ses administrés. Or ce que l’on oubli, le plus souvent, c’est qu’il a été élu pour ça, et pour rien d’autre.
Ainsi, il est intéressant d’analyser le rôle dévolu par les lois et règlements à cet acteur incontournable du processus, notamment sur l’effectivité de l’exercice de ses missions, comment il les exerce ? La problématique générale de la « gouvernance locale » (il est intéressant ici de voir le contenu donné à ce concept au Sénégal lorsqu’on parle de gouvernance) ? La problématique de l’imputabilité ou de l’impunité ? La problématique du rendre compte ? Et à qui ?; la problématique pour être élu local au Sénégal, car ne l’est qui veut ? Le tout politique, qui nuit très souvent à la bonne marche des institutions ; le manque d’entreprenariat-ship. Il serait aussi intéressant de voir quelle idée, l’élu local lui-même se fait de sa mission ? L’élu local est-il responsable civilement, administrativement, politiquement ? à quel degré ? et devant qui ? Ses administrés ? L’État ? Le Président de la République ? (Avec les la dissolution récente du conseil de quelques collectivités locales) ; Le Président de la République doit doit-il être le seul arbitre du jeu ? Quelle est la place des autres acteurs en particulier les contribuables ?(même si on a noté récemment des manifestations de population pour dénoncer la gestion de leur élus). Enfin quelle perception la population a de la mission des élus ?
Par exemple quelle est la responsabilité du Maire, du PCR ou encore du PR lorsque sur son «territoire » lors d’un match de football de « nawetane », un incident engendre une victime ? Ou dans une commune lorsque l’éclairage public fait défaut et qu’un résident est victime d’une agression qui conduit à son décès, quelle peut être la responsabilité du premier magistrat de cette localité ? Ou encore avec la « cantinisation » de certaines communes d’arrondissement (et ceci malgré l’opposition des résidents), quelle responsabilité du Maire en cas d’incident ou simplement d’incivilité ? S’il peut être attaqué, jusqu’à où ? Pour quelle issue réserver à tout cela ?
Autant de questionnements, entre autres, qui restent aujourd’hui sans réponse malgré les avancées notables notées dans le processus. Certes, la sécurité et l'ordre publics sont du ressort exclusif de l'administration centrale, car n’étant pas une compétente transférée par les lois de 1996, mais doit continuer à considérer les élus locaux « irresponsables », ou que seul l’État peut intenter une mesure disciplinaire envers ces derniers ?
Dans le système sénégalais, en théorie, l’élu local dispose d’un pouvoir, puisqu’il agit au nom et représente l’ensemble de sa collectivité (au sens regroupement de populations), même s’il ne peut être révoqué par cette dernière. Quant aux citoyens, ils disposent de divers moyens de contrôle et de pression sur les élus. Leur présence aux délibérations des conseils outre qu’elle peut être dissuasive, elle permet d’être informés des questions discutées et des décisions prises en leur nom. Surtout, ils disposent d’un moyen de contrôle et de pression plus efficace au travers d’élections régulières. En effet, par le biais de la représentation populaire les citoyens peuvent désigner leurs gouvernants et/ou ne pas les maintenir en place au-delà des limites de leurs mandats. Ainsi, l’élection constitue le procédé de « contrôle » des élus. Car, des élections renouvelées à intervalles régulières, font que les élus estiment qu’ils ont des comptes à rendre à leurs électeurs. Ce qui les obligent à se sentir comptable vis-à-vis de l’opinion locale dans leurs choix. Tout cela en théorie, bien sure. Car dans la pratique, les choses sont à des années lumières de ces dispositions.
Pourtant, c’est sur cette base que la loi du 22 mars 1996 voulait promouvoir une vraie démocratie participative en donnant une place aux administrés dans la conduite des « affaires locales ». Mieux informés, ils pouvaient ainsi être associés à leur gestion. Or dans la pratique, cette forme de participation se limite tout simplement à une implication de certains responsables dont la légitimité est souvent mal perçue par la population. En effet, le mode de gestion des responsabilités ne se fait que sur des « bases politiciennes » ou d’intérêt individuel sans aucune considération objective de l’intérêt général. Ce qui fait que très souvent, les populations contestent l’autorité des élus sur une décision prise. Cette situation entraîne de nombreux blocages voire des problèmes de légitimité des élus vis-à-vis des populations qu’ils sont pourtant chargés d’administrer. Cet état de fait a été constaté dans différentes initiatives prises par les maires d’arrondissements de Dakar. C’est le cas surtout des décisions prises en matière de gestion des terres, notamment dans les communautés rurales.
En outre, quelles que soient les vertus démocratiques attachées aux conseils locaux, les chances d’être élu dans certaines organes locaux dépendent de son assise sociale, étroitement liée à l’appartenance sociale de l’individu, à la place de son cercle familial dans le milieu social. Par exemple, après les élections locales du 12 mai 2002, le conseil rural de Bokiladji dans la région de Matam, est resté longtemps bloqué parce qu’un soit disant descendant « d’esclave » a été désigné président, ce que les « nobles » récusaient. Ainsi, les conseils ne sont pas toujours représentatifs des diverses composantes de la population locale. Car certaines personnes sont d’emblée exclues du fait de leur origine sociale. À cela s’ajoute la faible représentativité sur le plan politique et une faible compétence 5même si ces dernières années on note une nette amélioration du profil des élus). En effet, les listes électorales pour briguer ces conseils, sont constituées moins sur la base de compétences, que sur la base de « critères politiques » et « sociaux ».
On assiste plutôt à une transposition des hégémonies sociales traditionnelles au sein d’institutions modernes. Ceci n’est pas étonnant lorsqu’on observe la faible représentation des femmes et des jeunes qui se traduit aussi par une marginalisation de leurs préoccupations dans les actions menées par les conseils locaux. Alors que la gestion politique par faction au pouvoir, a été jusque là, fortement gaspilleuse d’énergies et de moyens. Il est également regrettable que malgré la dynamique institutionnelle née de la loi 96-07 du 22 mars 1996 - portant transfert de compétences aux collectivités locales - les activités menées par les conseils soient restées les mêmes que dans le passé. C’est tout ceci qui est à l’origine des méfiances des populations vis-à-vis des institutions locales, qu’elles jugent le plus souvent illégitimes pour prendre des décisions en leur nom.
Par ailleurs, la modicité des indemnités dont bénéficiaient les élus locaux (Maire et Président de Communautés Rurales en particulier) faisait que ces deniers confondaient le plus souvent leur poche avec la caisse de la collectivité locale. En effet, les organes exécutifs de ces collectivités locales ne disposaient que d’indemnités et non de salaires. Toutefois, cette disposition a connu une évolution. De 25 000 FCfa avant l’alternance, le Président Wade a multiplié les indemnités des Présidents de Communauté Rurale par six, avec le décret n°2005-48 du 11 janvier 2005 qui alloue désormais respectivement aux PCR une indemnité de 150 000 FCfa et aux Vice-présidents de conseils ruraux, 25 000 FCfa, à chacun des deux vice-présidents à la place de 15 000 et 10 000 FCfa perçue avant. En outre, le chef de l’État a équipé tous les PCR (321) de véhicules 4x4 pour faciliter leurs déplacements. Dans ce même ordre d’idées, il a renforcé le traitement des Maires avec des émoluments de 300 000 FCfa pour les Maires des communes de moindre importance et 900 000 FCfa pour les Maires des communes de capitales régionales en passant par 500 000 FCfa pour les Maires des communes chef-lieu de département, contre une indemnisation de 50 000 à 80 000 FCfa par mois auparavant. Quant n’est-il pour les autres élus ?
Par comparaison en France, le statut de l'élu est plus ancien et plus clair. L'élu local est un bénévole qui touche une indemnité forfaitaire soumise à l’impôt. Les élus à temps complet, notamment les présidents de conseils régionaux et généraux et les Maires des grandes villes, qui doivent être disponibles à tout temps pour leur mandat, disposent d’une indemnité de l'ordre de 6 fois le SMIC (salaire minimum). Le principe de l'indemnisation, même s'il est encore très imparfait, est une conquête des citoyens pour garantir l'indépendance de leurs élus et s'assurer que la fonction n’est pas occupée que par des rentiers. Un élu indemnisé, est donc en situation de faute personnelle grave s'il profite de sa fonction pour bénéficier d'avantages en argent ou en nature. Ainsi, ces Maires perçoivent une indemnité mensuelle comprise entre 600 et 5200 Euros, selon la population de leur commune. Et l’élu local garde une responsabilité civile et administrative très importante dans l’exercice de sa fonction qui peut le conduire en prison dans certaines cas et même d’être condamné. Par exemple, la responsabilité civile d’un Maire a été engagée dans une petite commune, lorsque la barre des buts d’un terrain de football est tombée sur un enfant qui a trouvé la mort. Le Maire a été condamné, en homicide involontaire, à la suite de cet incident. Ainsi, si le statut va avec des privilèges (indemnité, habillement, retraite, etc.), il ne doit être pas séparé des responsabilités civiles que cela engage.
Certes, les émoluments concédés par le Président Wade sont tout à fait justifier pour corriger cette imperfection. Toutefois, celles-ci ne doivent pas être comprises uniquement comme des privilèges. En effet, il ne faut pas simplement avoir une visée sur les avantages liés à la fonction de PCR, de Président de Région ou de Maire et écarter d’un revers de main les responsabilités que cela implique.
Alors que les différentes lois de la décentralisation n’ont pas aboli ce qu’il convient d’appeler « la tutelle sur les personnes » qui permet à l’État de tirer les conséquences de situations contraires à l’intérêt général ou à sa volonté. Sans que la liste soit limitative, le Code des collectivités locales de 1996 énumère les « fautes » pouvant entraîner, outre des poursuites judiciaires (art. 219), la suspension de l’élu (art. 221). Les articles 219 à 235 circonscrivent l’essentiel de la tutelle de l’État sur les élus locaux. En 2001, sous une initiative présidentielle, le Code des collectivités locales a été modifié, plus précisément en ses articles 52, 61, 141, 146, 173, 219, 221, et 235, octroyant à l’exécutif central, le pouvoir de sanctionner les défaillances des collectivités locales en dissolvant les conseils régionaux, municipaux ou ruraux responsables de « paralysie » ou de « carence notoire » dans « l’exercice de leur attribution » et d’autre part de « suspendre » ou de « révoquer » tout Maire ou Adjoints, Président ou Vice-président de Conseil Régional ou Rural coupable « de manquement à leurs obligations ». Si, d’après les motifs du projet de loi, il n’est nullement question de restreindre la marge d’autonomie des collectivités locales, mais de permettre à l’État de tirer les conséquences, tant des fautes commises par les élus locaux, que de certaines situations illégales ou contraires à l’intérêt général, il reste que la prérogative reste au Président de la République d’en juger. Alors ou est la place des administrés face aux « fautes » ou responsabilités imputables à leurs élus ?
A mon avis, ceux qui parlent aujourd’hui de cette reconnaissance d’un statut à l’élu local, réclament plutôt de « rang », que de « statut ». Une partie de la classe politique nationale et une certaine élite, souhaitent aujourd’hui militer au niveau local. Leur souci s’appuie surtout sur le rang équivalant avec les privilèges qui vont avec d’un poste similaire au niveau national. Ce qui fausse totalement l’esprit qui doit guider la mise en place de cette notion de «statut » de l’élu, qui ne doit pas être séparé des responsabilités engagées. Ainsi, les garde-fous contenus sans l’actuel Code des Collectivités locales, « destiné à contraindre les élus à se soumettre à leurs obligations », devront être renforcés et explicités en élargissant cette imputabilité aux administrés. En effet, les contribuables ne doivent pas être ignorés dans ce dispositif, qui, rappelons le, ils doivent être au centre du processus pour plus de transparence, d’« accountability », d’imputabilité des élus vis-à-vis de leurs administrés.
Pour se faire, l’on pourra dresser un bilan des expériences et des bonnes pratiques en matière de gestion décentralisée tout en identifiant les blocages qui freinent la « bonne gouvernance locale ». Il sera ainsi nécessaire de saisir directement les grands dossiers intéressant le statut de l’élu, notamment dans l’organisation administrative du territoire, le mode de gouvernance locale, les formes d’imputabilités de l’élu, tout cela entrant dans le cadre de la modernisation de la démocratie locale. En effet, l’émancipation de la démocratie locale sénégalaise vis-à-vis du pouvoir central passe nécessairement par la mise en place d’un statut adapté aux exigences aux nouvelles responsabilités des élus locaux indissociable de la promotion de la « bonne gouvernance locale ».
Dr Djibril DIOP
Chargé de cours Université de Montréal (Canada)
djibril.diop@umontreal.ca