Maroc : où part l’argent des collectivités locales ?



Au Maroc, au moment où la collectivité nationale est obligée d’emprunter, où le paysage urbain est dégradé et la qualité des infrastructures et des services publics laisse à désirer, la Trésorerie générale nous apprend que les collectivités locales disposent d’un « trésor de guerre » non utilisé qui se chiffrait, à fin novembre dernier, à près 27 milliards de DH. Comment expliquer ce paradoxe ?

Si la qualité de vie des citoyens marocains est dégradée, ce n’est pas parce que les collectivités locales marocaines sont pauvres, mais c’est parce qu’elles, en particulier les communes, sont très frileuses en matière d’investissement. Celui-ci a absorbé, à fin novembre 2012, 10,4 milliards de DH. Insignifiant par rapport à un budget de 53,6 milliards. Sur ce budget d’investissement, les travaux neufs et les grosses réparations dont ont grand besoin les villes n’ont drainé que 3,7 milliards de DH. Et s’il n’y avait pas les projets intégrés, dans lesquels les collectivités locales sont impliquées par des conventions à caractère plus ou moins « obligatoire », avec des organismes comme l’ONEE et le ministère de l’équipement, le montant affecté à l’investissement aurait été beaucoup moins important.

Voilà qui est d’autant plus surprenant que, à la différence des administrations et organismes centraux, la procédure pour engager une dépense dans les communes et provinces est de loin, moins contraignante. Du fait de leur autonomie financière, elles disposent de ressources mobilisables avant le début d’année, et il leur suffit de programmer, selon le calendrier des rentrées prévisionnelles, les projets à financer pour que le Trésor débloque les fonds correspondants. Pourtant, le taux de réalisation des charges de fonctionnement atteint les 71%, alors que celui de la réalisation des investissements, crucial pour le niveau de vie des citoyens, ne dépasse pas les 41%.

En réalité, cette frilosité s’explique par le manque de compétence et de vision chez les élus locaux et les ressources humaines en charge de ces entités. Un secret de polichinelle, quand on sait que ces administrations souffrent de sureffectif, de fonctionnaires fantômes et surtout d’un faible taux d’encadrement : la proportion des cadres supérieurs et techniciens dans l’effectif ne dépasse pas les 10%. Par ailleurs, une partie des élus locaux, particulièrement les communes rurales, est analphabète.

Avec ce manque de ressources humaines capables de planifier et de gérer des projets, les collectivités locales se trouvent depuis un certain temps confrontées à des problèmes majeurs au niveau du respect rigoureux des procédures, la capacité à gérer des projets structurants, et la maîtrise d’ouvrages, surtout en termes de délais et de qualité des prestations. Si l’on ajoute à cela la mauvaise gouvernance de ces collectivités, la corruption et la défaillance organisationnelle, il est aisé de comprendre que peu d’investissements soient entrepris durant l’année. D’autant que les élus locaux, désireux d’être réélus, cherchant à amadouer leurs électeurs, ne lancent les chantiers qu’au moment où leur impact est le plus fort, c’est-à-dire à l’approche des élections. Ainsi, la une synchronisation du cycle d’investissement au cycle électoral local explique le décalage et la faiblesse des investissements entrepris.

La frilosité de la majorité des collectivités locales marocaines, particulièrement les communes, est non seulement inadmissible parce que le gouvernement Benkirane racle les fonds du tiroir, mais également porteuse de risque pour leur pérennité. En effet, les communes n’investissant pas rationnellement, leurs ressources aujourd'hui, peuvent le regretter plus tard. Le déficit d’investissement des collectivités locales en infrastructures et en équipement réduit l’attractivité et la compétitivité de leur territoire, faisant subir à leurs habitants un manque à gagner en termes de richesse et d’emplois à créer. Le cas de Aïn Leuh, dans la province d’Ifrane, autrefois riche et désormais pauvre, en est l'illustration parfaite.

Dans la perspective de la régionalisation avancée, il est temps que les collectivités locales assument leur autonomie financière et investissent dans l’amélioration du quotidien des ménages et des entreprises. Faute de quoi, et sachant que l’essentiel de leurs recettes proviennent de TVA et de taxes locales, payées par les contribuables, les marocains pourraient être tentés de penser qu’ils sont spoliés par leurs collectivités locales.

Hicham El Moussaoui est maître de conférences à l’Université de Beni Mellal et analyste sur Libre.Afrique.org.

Publié en collaboration avec LibreAfrique.org


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