LES DESSOUS D’UNE POLITIQUE DE LUTTE CONTRE L’EPIDEMIE DU CHOLERA AU SENEGAL

Moussa DIOP
Laboratoire CERSO (Université Paris-Dauphine)



Voilà plus de deux mois que l’épidémie du choléra sévit au Sénégal avec son cortége de malheurs et terrassant la frange de la population sénégalaise la plus démunie. La maladie a été pendant longtemps considéré, par les pouvoirs publics, comme un épiphénomène qu’on pourrait circonscrire sans grand effort. Il aura fallu, devant le nombre croissant de victimes, que l’opinion publique internationale et nationale soucieuse de la santé publique au Sénégal appuient sur le tocsin d’alarme pour que l’Etat sénégalais, relayé par certaines organisations humanitaires daigne, enfin, consentir à élaborer un schéma de lutte afin de limiter, à défaut de la rayer, l’épidémie du choléra.



En un mois de lutte contre la contagion, nous n’avons toujours pas eu les premiers chiffres qui permettraient de voir où en est le fléau. A défaut d’avoir des indices valables de la part des professionnels de la santé nous permettant de suivre la courbe ascendante ou descendante de l’épidémie, les suppositions vont bon train et les chiffres les plus fantaisistes sont avancés, à travers des circuits informels, par les autorités sénégalaises. Dans cette guéguerre de chiffres, le citoyen moyen loin des cercles de pouvoirs et de décisions ne sait plus à quoi se fier.





Pendant que les politiques se prêtent volontiers à un véritable pugilat autour des chiffres et politiques de lutte en transformant l’épidémie en un terrain d’enjeux, la masse critique des sénégalais subit, de plein fouet, les contrecoups d’une politique timorée destinée à enrayer le choléra. Après la capitale Dakar, la contagion poursuit son chemin et atteint maintenant des villages reculés du Sénégal où des concitoyens meurent de cette maladie dans l’anonymat la plus totale et sans pouvoir bénéficier de leurs droits les plus basiques : l’accès aux soins primaires. Cette situation à défaut de créer l’émoi chez la majorité des sénégalais, rencontre indifférence, désinvolture. Pis, certains sénégalais tirent profits de l’épidémie du choléra et sous couverts par une prétendue lutte contre le fléau. Comble de l’ignominie ne peut être plus grave lorsque le choléra devient une source de revenus additionnels pour des agents de la santé et de l’hygiéne publique peu soucieux de l’éthique et chargés, en principe, de veiller au bien-être des sénégalais. Certains professionnels de la santé de nom au Sénégal appartenant soient à des structures étatiques comme les services d’hygiènes, soient à des organismes humanitaires nationaux ou internationaux se drapent de la circulaire du Ministère de la Santé relatif à la lutte contre l’épidémie du choléra pour se tailler des revenus. Ces professionnels profitent allégrement de l’anaphabétisme, du manque d’information criard de certains vendeurs occasionnels de denrées alimentaires à la sortie des lycées, collèges, etc… pour se procurer des revenus additifs par le recel des objets saisis (marmites, glacières, appareils butanes, etc.) sur le marché parallèle.



En effet, si le principe de lutte contre l’avancée du fléau en soi est très salutaire, il n’en demeure pas moins que les modalités de l’organisation pratique de cette lutte sont laissées à l’unique appréciation des agents de santé et de l’hygiéne. Ce manque d’encadrement de la lutte contre l’épidémie a inéluctablement contribué à propager la corruption dans le secteur de la santé. Ainsi, certaines pratiques de certains professionnels de la santé publique relèverait ni plus qu’un abus de pouvoir débouchant sur de la subornation. L’exemple des agents des services d’hygiène de Pikine et guédiawaye, entre autres, est explicite de cet état de fait. Dans le cadre de la politique de lutte mise en œuvre, ces agents sont chargés de faire des descentes constantes dans certains lycées de la zone afin de procéder à des rafles. Celles-ci ne doivent, en principe, concerner que la vente des denrées alimentaires sur l’espace public sans aucune précaution sanitaire. Mais certains agents des deux localités citées profitent de cette situation pour se livrer à des pratiques suborneuses. Lors des rafles, ces agents, se permettent des écarts en laissant la plupart des denrées alimentaires pour ne récupérer que les objets comme les glacières, les appareils butanes, etc…qui ont, de fait, de la valeur marchande. Ses saisies pouvaient se comprendre si elles étaient précédées d’une remise à ces commerçantes d’une attestation de saisie ou d’une amende avec notification donnée aux propriétaires des appareils confisqués. Mais aucun papier justifiant la confiscation des appareils n’est remis aux propriétaires. Cette manœuvre ne laisse aucun choix aux propriétaires des appareils saisis encore moins la probabilité de les récupérer un jour moyennant le paiement d’une amende. Il devient alors très légitime de se poser des questions : pourquoi cette absence de trace des objets saisis ? Pourquoi cet acharnement des agents des services d’hygiènes à vouloir instaurer le vide après leurs passages pour saisies? Comme dans tout état de droit, quelles sont les différentes démarches à entreprendre par le citoyen ou encore le marchand à l’étalage victime d’une saisie afin de récupérer son bien ? Devant cette incapacité à pouvoir avancer des réponses idoines, certaines hypothèses peuvent être avancées. Cette tendance à vouloir créer le vide après leurs passages pour saisies de certains agents garants de la santé publique au Sénégal commence à être fustigée. De telles manoeuvres peuvent se comprendre comme une possibilité à vouloir instaurer des pratiques corruptibles. Il est laissé comprendre, à travers des canaux de communication informels, à toute commerçante dont son bien a été saisi qu’il n’existe aucune possibilité de récupérer le bien en question. S’il en est ainsi, quelle sera alors l’issue réservée à tous ces appareils saisies et stockés quelque part ? Ce qui est sûr dans ces manœuvres de certains agents chargés de veiller à la santé et à l’hygiène publique au Sénégal, c’est une brèche ouverte à des pratiques lucratives avec le recel, sur le marché noir, de certains appareils comme des glacières, armoires frigorifiques, appareils butanes, marmites, casseroles, etc…



D’après la circulaire corollaire à la lutte contre le choléra, les objets saisis doivent être gardés jusqu’à la fin de l’épidémie. Ce n’est qu’après l’éradication complète du choléra qu’une vente aux enchères publique doit être organisée pour les appareils saisis. L’argent récolté de cette vente doit servir à renflouer les caisses de la puissance publique. Mais certains agents peu soucieux des lois de la République, à défaut de pouvoir récupérer certains objets qu’ils ramènent chez eux, commencent déjà à les receler sur le marché parallèle. C’est dire que la corruption gagne toutes les catégories socioprofessionnelles et revêt de plus en plus un visage ingénieux. Ainsi, il devient aisé de comprendre comment la corruption gangrène tous les secteurs de la vie sociale et pourquoi le Sénégal a été récemment épinglé par le dernier rapport de l’OCDE. De toute évidence, ce phénomène gagne de plus en plus de l’ampleur dans les nouveaux quartiers pauvres de Dakar sans que les pouvoirs publics ne trouvent mot à dire.



Au moment où certaines petites commerçantes victimes de ce jeu de dupe commencent à retrouver leurs biens en vente sur le marché noir, elles s’organisent timidement pour réclamer leurs biens. Même si ce phénomène est encore marginal, aussi longtemps que durera le choléra au Sénégal, certains agents et professionnels de la santé publique et de l’hygiéne ne rechigneront pas à s’inventer des stratégies pour tirer des revenus additifs des saisies de biens destinés à la vente des denrées alimentaires dans les lieux publics. Tant que l’épidémie ne sera pas totalement circonscrite, il est clair que des sénégalais mourront du choléra. Pour d’autres, par contre, le choléra ne sera qu’une banale activité de plus qui peut générer des revenus supplémentaires dans ces périodes de récession.


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