Le souhait exprimé récemment par des jeunes de Kaolack pour découpage leur ville en communes d'arrondissement à l’image de l'expérience en cours depuis 1996 dans la région de Dakar entre dans une suite logique de manifestations de populations de différentes contrées pour l’érection d leur localité, soit en circonscription administrative (sous-préfecture, département, ou région) ou collectivité locale (commune ou communauté rurale), souhait qui rejoint les préoccupations de certains responsables politiques aussi bien au niveau local que national. Il me semble utile avant d’avancer trop vite, de voir de près ce que l’expérience initiée dans la région de Dakar a donné comme résultats.
C’est en 1996 que le décret, n°96-745 du 30 avril 1996, découpe les villes de la région de Dakar en 43 communes d’arrondissement administrées par des maires élus inclues dans la grande commune de Dakar, à l’image de la ville de Paris avec ses 20 arrondissements. Si les mobiles politiques ont été à la base de ce processus, les données démographiques prouvent cependant au moins une chose : la taille de la population des anciennes communes de Dakar était telle qu’elle ne permettait pas une réelle gouvernance de proximité. En effet, comment un seul maire pouvait-il gérer une population des villes comme Dakar ou Pikine ? Même s’il existe des délégués de quartier, maillons intermédiaires avec la base, ces derniers ne permettaient pas de maîtriser les aspirations d’une population en croissance constante et en proie à des difficultés aussi diverses qu’urgentes comme : le logement, le transport, la santé, l’hygiène, l’enlèvement des ordures, l’éclairage public, la scolarisation des enfants etc. ; des raisons parmi tant d’autres qui justifieraient ce découpage.
En outre, la ville de Dakar a fini par prendre des proportions telles, eu égard à la densité de sa population et aux nombreuses activités qui s’y développent à un rythme incroyable (voir ma chronique : Dakar une aberration de la décentralisation sénégalaise), qu’il était devenu difficile de gérer. En effet, le développement des activités industrielles et commerciales a fini par faire de Dakar une véritable mégalopole où se posent de réels problèmes de gestion urbaine. Il fallait donc trouver des mécanismes pour mieux maîtriser, sinon suivre le développement de cette agglomération. Ainsi, selon les autorités de l’époque, loin d’être un émiettement inutile comme certains l’ont critiqué, notamment l’opposition de l’époque (actuellement au pouvoir), ce découpage épouse parfaitement l’esprit de la décentralisation administrative appliquée au Sénégal depuis 1972, à savoir la recherche de la proximité ( voir ma dernier chronique du 02 août). En effet, certains avaient vu dans la création de ces communes d’arrondissement, qu’une tentative clientéliste pour récupérer la capitale suite à la défaite électorale du candidat du parti socialiste aux élections de 1993.
En tout état de cause, cette réforme consacre une nouvelle toponymie dans la hiérarchisation des établissements humains au Sénégal : la commune d’arrondissement avec des organes exécutifs et délibérants répondant au mêmes dispositifs que les autres collectivités locales du pays. Cette réforme territoriale a entraîné par ailleurs, la création de sous-préfets urbains avec les mêmes prérogatives que leurs homologues en milieu rural.
Avec l’alternance intervenue au sommet de l’Etat en mars 2000, les nouvelles autorités du pays ont manifesté clairement leur hostilité au modèle de régulation territoriale hérité de l’ancien régime. C’est ainsi que le Président Wade a initié un projet de réforme du dispositif territorial dès 2001 (voir ma chronique du 2 août). Dans ce projet, il était prévu de supprimer les « communes d’arrondissement » quatrième niveau de collectivité locale créée en 1996 pour les remplacer par « l’arrondissement municipal ». La raison avancé est « pour corriger une confusion entre maires de ville et maires d’arrondissement ». En même temps sept villes ont été désignées pour leur taille démographique et pour leur potentiel économique et financier pour accueillir cette réforme. Dans ces villes, il y aura désormais deux échelons administratifs : la ville et l’arrondissement municipal. Elles disposeront en outre d’un régime spécial à l’image des villes de la région de Dakar. En effet, outre les villes de Dakar, Pikine, Guédiawaye, Rufisque, qui disposent déjà de ce statut depuis 1996, il s’agit des villes de Thiès, Saint-Louis et Kaolack. Ce sera un retour en arrière car ce régime existait déjà, notamment depuis la réforme de 1964 pour Dakar et 1972, pour les autres capitales régionales, mais que la loi 90-34 avait supprimé. Selon les motifs de l’avant-projet de loi, tout en présentant des « réalités géographiques particulières » ces villes « concentrent une part importante de la population comme de l’activité économique nationale » et il s’agit par-là, de favoriser une gestion urbaine plus efficace et plus intégrée.
Mais ce projet a été largement fustigé par les élus des communes d’arrondissement, notamment lors de leur rencontre avec le ministre de l’Intérieur. Car l’arrondissement municipal, contrairement à la commune d’arrondissement n’aura pas de personnalité morale et d’autonomie financière. Il dépendra totalement de la ville de son ressort. Tout au plus, il ne disposera que d’un « budget spécial de fonctionnement » déterminé chaque année sous forme de dotation globale dont les modalités de répartition sont fixées par décret par le maire de la ville qui en exerce la tutelle (le Président Wade Conseil Présidentiel du mardi 13 mars 2001). À la place des Assemblées locales, il était prévu dans chaque arrondissement municipal, un comité d’initiative citoyenne composé essentiellement d’éléments de la société civile qui pourraient participer, s’ils le désirent, aux débats du conseil d’arrondissement avec voix consultative. En quelque sorte ce serait une forme de démocratie directe du peuple, mais sans réel pouvoir exécutif ou délibératif.
Cependant on pourrait s’interroger aussi sur l’efficacité des communes d’arrondissement depuis leur création en 1996 ? En effet, depuis leur mise en place voilà 12 ans, ces collectivités locales restent confrontées à d’importants problèmes de survie financière et de capacité d’initiative. D’une part, la loi, en leur transférant des domaines de compétence, n’a pas été suivie de ressources financières conséquentes, pour ce qui est des fonds de compensation et d’équipement. D’autre part, leurs seules initiatives pour disposer des ressources financières s’orientent vers la construction de souks dont la capacité d’exploitation reste très limitée. Il n’y a pas eu non plus de transfert de fiscalité entre la mairie de ville et ses collectivités de base. Alors que l’essentielle des taxes sur la publicité va à la marie de ville. Ainsi, la ville de Dakar est riche, mais ses communes d’arrondissement sont pauvres, hormis la commune d’arrondissement du Plateau. Cette situation a entraîné une prolifération d’initiatives anarchiques et sauvages : construction de marchés et de souks souvent à des endroits inappropriés, notamment devant des écoles, des centres de santé...
Par ailleurs, en cette période hivernale, Dakar croule sous les ordures, les eaux de pluies et les eaux usées, sans qu’une de ces communes y fait face avec un vrai plan de gestion et pourtant la gestion de l’environnement est une des compétences transférées en 1996, pour qu’elle soit bien gérée par les collectivités locales. Mais le constat on le connaît. Ainsi, pour ces communes d’arrondissement projetées, quelle capacité et quelle viabilité pour entreprendre le développement local à l’échelle de leur territoire ? Une simple concentration de population doit-elle être le sous-bassement d’un tel projet ? S’agit-il simplement un moye de caser une certaine classe politique à la recherche de refuge ? Quelle ressources financières pourront être mobilisées pour un développement harmonieux de telles collectivités locales sans toujours attendre la main tendue vers le budget national ? Et pour quelle gestion ?
A priori, je en suis pas contre une telle initiative. Mais, il faut éviter que les mêmes causes conduisent aux mêmes effets. En effet, qu’est ce que, Léona, Pikine ou Sor à Saint-Louis, ou encore Ndorong à Kaolack, comme commune d’arrondissement, disposent comme ressources pour favoriser un mieux être de leur administrés et pour une meilleur gestion globale de leur ville respectives ? Ce qu’il faudra éviter surtout, c’est de transposer des modèles « inadaptés », c’est aussi de créer des circonscriptions administratives et des collectivités locales, qui ne viendront qu’alourdir le budget national dans un contexte de rareté de ressources, sans réelle efficacité managériale pour ces cités. Car toutes ces collectivités locales créées en 1996, à quelle rares exceptions près, n’ont pas, à ce jour, démontré leur capacité d’autonomie financière. Enfin, la décentralisation n’est pas une réforme prêt-à-porter qui permet de régler à coup de décrets et de lois tous les problèmes de développement qui se posent. Autrement dit, ce n’est pas simplement en découpant ces villes en communes d’arrondissements, que les questions de développement local seront résolues d’un coup de baguette magique !
Dr Djibril DIOP
Chargé de cours Université de Montréal (Canada)
djibril.diop@umontreal.ca
C’est en 1996 que le décret, n°96-745 du 30 avril 1996, découpe les villes de la région de Dakar en 43 communes d’arrondissement administrées par des maires élus inclues dans la grande commune de Dakar, à l’image de la ville de Paris avec ses 20 arrondissements. Si les mobiles politiques ont été à la base de ce processus, les données démographiques prouvent cependant au moins une chose : la taille de la population des anciennes communes de Dakar était telle qu’elle ne permettait pas une réelle gouvernance de proximité. En effet, comment un seul maire pouvait-il gérer une population des villes comme Dakar ou Pikine ? Même s’il existe des délégués de quartier, maillons intermédiaires avec la base, ces derniers ne permettaient pas de maîtriser les aspirations d’une population en croissance constante et en proie à des difficultés aussi diverses qu’urgentes comme : le logement, le transport, la santé, l’hygiène, l’enlèvement des ordures, l’éclairage public, la scolarisation des enfants etc. ; des raisons parmi tant d’autres qui justifieraient ce découpage.
En outre, la ville de Dakar a fini par prendre des proportions telles, eu égard à la densité de sa population et aux nombreuses activités qui s’y développent à un rythme incroyable (voir ma chronique : Dakar une aberration de la décentralisation sénégalaise), qu’il était devenu difficile de gérer. En effet, le développement des activités industrielles et commerciales a fini par faire de Dakar une véritable mégalopole où se posent de réels problèmes de gestion urbaine. Il fallait donc trouver des mécanismes pour mieux maîtriser, sinon suivre le développement de cette agglomération. Ainsi, selon les autorités de l’époque, loin d’être un émiettement inutile comme certains l’ont critiqué, notamment l’opposition de l’époque (actuellement au pouvoir), ce découpage épouse parfaitement l’esprit de la décentralisation administrative appliquée au Sénégal depuis 1972, à savoir la recherche de la proximité ( voir ma dernier chronique du 02 août). En effet, certains avaient vu dans la création de ces communes d’arrondissement, qu’une tentative clientéliste pour récupérer la capitale suite à la défaite électorale du candidat du parti socialiste aux élections de 1993.
En tout état de cause, cette réforme consacre une nouvelle toponymie dans la hiérarchisation des établissements humains au Sénégal : la commune d’arrondissement avec des organes exécutifs et délibérants répondant au mêmes dispositifs que les autres collectivités locales du pays. Cette réforme territoriale a entraîné par ailleurs, la création de sous-préfets urbains avec les mêmes prérogatives que leurs homologues en milieu rural.
Avec l’alternance intervenue au sommet de l’Etat en mars 2000, les nouvelles autorités du pays ont manifesté clairement leur hostilité au modèle de régulation territoriale hérité de l’ancien régime. C’est ainsi que le Président Wade a initié un projet de réforme du dispositif territorial dès 2001 (voir ma chronique du 2 août). Dans ce projet, il était prévu de supprimer les « communes d’arrondissement » quatrième niveau de collectivité locale créée en 1996 pour les remplacer par « l’arrondissement municipal ». La raison avancé est « pour corriger une confusion entre maires de ville et maires d’arrondissement ». En même temps sept villes ont été désignées pour leur taille démographique et pour leur potentiel économique et financier pour accueillir cette réforme. Dans ces villes, il y aura désormais deux échelons administratifs : la ville et l’arrondissement municipal. Elles disposeront en outre d’un régime spécial à l’image des villes de la région de Dakar. En effet, outre les villes de Dakar, Pikine, Guédiawaye, Rufisque, qui disposent déjà de ce statut depuis 1996, il s’agit des villes de Thiès, Saint-Louis et Kaolack. Ce sera un retour en arrière car ce régime existait déjà, notamment depuis la réforme de 1964 pour Dakar et 1972, pour les autres capitales régionales, mais que la loi 90-34 avait supprimé. Selon les motifs de l’avant-projet de loi, tout en présentant des « réalités géographiques particulières » ces villes « concentrent une part importante de la population comme de l’activité économique nationale » et il s’agit par-là, de favoriser une gestion urbaine plus efficace et plus intégrée.
Mais ce projet a été largement fustigé par les élus des communes d’arrondissement, notamment lors de leur rencontre avec le ministre de l’Intérieur. Car l’arrondissement municipal, contrairement à la commune d’arrondissement n’aura pas de personnalité morale et d’autonomie financière. Il dépendra totalement de la ville de son ressort. Tout au plus, il ne disposera que d’un « budget spécial de fonctionnement » déterminé chaque année sous forme de dotation globale dont les modalités de répartition sont fixées par décret par le maire de la ville qui en exerce la tutelle (le Président Wade Conseil Présidentiel du mardi 13 mars 2001). À la place des Assemblées locales, il était prévu dans chaque arrondissement municipal, un comité d’initiative citoyenne composé essentiellement d’éléments de la société civile qui pourraient participer, s’ils le désirent, aux débats du conseil d’arrondissement avec voix consultative. En quelque sorte ce serait une forme de démocratie directe du peuple, mais sans réel pouvoir exécutif ou délibératif.
Cependant on pourrait s’interroger aussi sur l’efficacité des communes d’arrondissement depuis leur création en 1996 ? En effet, depuis leur mise en place voilà 12 ans, ces collectivités locales restent confrontées à d’importants problèmes de survie financière et de capacité d’initiative. D’une part, la loi, en leur transférant des domaines de compétence, n’a pas été suivie de ressources financières conséquentes, pour ce qui est des fonds de compensation et d’équipement. D’autre part, leurs seules initiatives pour disposer des ressources financières s’orientent vers la construction de souks dont la capacité d’exploitation reste très limitée. Il n’y a pas eu non plus de transfert de fiscalité entre la mairie de ville et ses collectivités de base. Alors que l’essentielle des taxes sur la publicité va à la marie de ville. Ainsi, la ville de Dakar est riche, mais ses communes d’arrondissement sont pauvres, hormis la commune d’arrondissement du Plateau. Cette situation a entraîné une prolifération d’initiatives anarchiques et sauvages : construction de marchés et de souks souvent à des endroits inappropriés, notamment devant des écoles, des centres de santé...
Par ailleurs, en cette période hivernale, Dakar croule sous les ordures, les eaux de pluies et les eaux usées, sans qu’une de ces communes y fait face avec un vrai plan de gestion et pourtant la gestion de l’environnement est une des compétences transférées en 1996, pour qu’elle soit bien gérée par les collectivités locales. Mais le constat on le connaît. Ainsi, pour ces communes d’arrondissement projetées, quelle capacité et quelle viabilité pour entreprendre le développement local à l’échelle de leur territoire ? Une simple concentration de population doit-elle être le sous-bassement d’un tel projet ? S’agit-il simplement un moye de caser une certaine classe politique à la recherche de refuge ? Quelle ressources financières pourront être mobilisées pour un développement harmonieux de telles collectivités locales sans toujours attendre la main tendue vers le budget national ? Et pour quelle gestion ?
A priori, je en suis pas contre une telle initiative. Mais, il faut éviter que les mêmes causes conduisent aux mêmes effets. En effet, qu’est ce que, Léona, Pikine ou Sor à Saint-Louis, ou encore Ndorong à Kaolack, comme commune d’arrondissement, disposent comme ressources pour favoriser un mieux être de leur administrés et pour une meilleur gestion globale de leur ville respectives ? Ce qu’il faudra éviter surtout, c’est de transposer des modèles « inadaptés », c’est aussi de créer des circonscriptions administratives et des collectivités locales, qui ne viendront qu’alourdir le budget national dans un contexte de rareté de ressources, sans réelle efficacité managériale pour ces cités. Car toutes ces collectivités locales créées en 1996, à quelle rares exceptions près, n’ont pas, à ce jour, démontré leur capacité d’autonomie financière. Enfin, la décentralisation n’est pas une réforme prêt-à-porter qui permet de régler à coup de décrets et de lois tous les problèmes de développement qui se posent. Autrement dit, ce n’est pas simplement en découpant ces villes en communes d’arrondissements, que les questions de développement local seront résolues d’un coup de baguette magique !
Dr Djibril DIOP
Chargé de cours Université de Montréal (Canada)
djibril.diop@umontreal.ca