D’un maire gestionnaire ou d’un maire bâtisseur ?



La décentralisation avec transfère de compétences à partir de 1996, a mis à la disposition des élus et des collectivités locales, un dispositif législative, réglementaire et financier pour permettre à ces derniers, de mieux promouvoir le développement local. Toutefois, en faisant un bilan de la dynamique, on se demande ce qui a vraiment changé dans nos différentes collectivités locales depuis maintenant douze ans ? Or des villes comme Saint-Louis, Thiès, Kaolack, ou encore Tambacounda pouvaient profiter de ce contexte nouveau pour concurrencer l’hégémonie de Dakar dans l’offre de certains services, ou au moins tenter d’inverser la tendance dans certains domaine. Malheureusement, le contact est que, en dehors de Dakar, il n’y rien (cf. Dakar : une aberration de la décentralisation sénégalaise). On a Dakar et le reste du Sénégal. On a plutôt des maires de prestiges, dont les fonctions politique d’assistant social sont plus mises en avant au détriment de managers. Dans un pays où tout est à construire, un maire ne doit pas être un simple gestionnaire à plus forte raison simple politicien, mais plutôt avoir une vision de bâtisseur.

Très souvent on met en avant la manque d’argent pour entreprendre certaines initiatives au niveau local, et l’on reste aliéné aux subsides que l’Etat verse chaque années à titre de compensation ou de fonds d’équipement. A mon avis, comme j'ai eu à le souligner dans une des mes chroniques passées, le problème principal dans la gestion de nos collectivités locales, n’est pas lié à un défaut de moyens financiers, mais plutôt à un manque de vision, un manque d’ambition, d’orientation, à une non-maîtrise des textes et un défaut « d’entreprenariat-ship » de la part des élus. L’argent est bien là, c’est qu’on ne le met pas là il faut. Non seulement les budgets locaux peuvent le générer, mais aussi, on pourrait le mobiliser auprès de partenaires qui soutiennent depuis plus de 10 ans la décentralisation au Sénégal. Par exemple Rufisque, commune depuis 1872, est l’une des localités les plus délabrées du pays. Qu’est ce que les différents maires qui se sont succédés à Rufisque, ont eu vraiment à faire pour améliorer le visage de cette ville en dehors de ce qu’a légué colonisateur ? La réponse n’est pas facile, devant l’allure déliquescente et hideuse de cette ville.

Pourtant une autre manière de ménager nos collectivités locales est possible et à notre portée. Certes, on ne dispose pas de moyens comme Paris, ou New York ou encore Montréal, mais à notre échelle, nous avons des possibilités pour améliorer le visage de nos collectivités. Ce qui manque plutôt, c’est de la volonté politique et une vision. En effet, pour pouvoir, il faut le vouloir. En effet, des exemples très remarquables existent au Sénégal. Thierno Birahim Ndao, maire de Kaffrine, a modernisé la ville sous son magistère, en se basant sur son budget et les possibilités que lui offrait le Code des collectivités locales. Ceci est une illustration parfaite des possibilités. Avec la volonté et les capacités de visionnaire, on peut arriver à des résultats très notables, comme ce fut le cas à Kaffrine.

Pour réussir une telle mission, il est indispensable de renoncer à un poste ministériel ou tout autre qui vous prive d’être disponible. Nos villes sont à construire, et cela demande, à être disponible à temps plein, rien que pour cela. En effet, dans un pays où tout est à construire, on ne peut pas se permettre de cumuler la fonction de maire avec un toute autre fonction qui mobilise aussi à temps plein. C’est une aberration et une incongruité. Pour cela, le véritable bâtisseur qui a une ambition pour sa localité, doit se départir de toute autre charge. Il doit aussi résider pour la majorité de son temps avec ses administrés pour mieux vivre les réalités locales pour mieux circonscrire les solutions adaptées aux ambitions qu’il a de sa localité. Résider dans sa ville, c’est aussi l’honorer. Pourquoi les maires de toutes les communes du Sénégal veulent vivre à Dakar ? C’est une autre forme de dévaloriser sa localité au détriment de Dakar. Ce sont des conditions fondamentales pour réussir cette mission.

Par exemple une ville comme Saint-Louis qui dispose autant de potentiel, d’abord son site magnifique et enviable, unique au Sénégal, l’un des plus beaux du pays et même du monde : une ville encastrée entre le fleuve et la mer, bénéficiant de plusieurs écosystèmes près particuliers ; une ville disposant d’infrastructures non négligeables, malgré leur faiblesse vis-à-vis de Dakar, notamment dans l’offre touristique et de services ; une ville disposant d’importantes ressources humaines, avec l’université Gaston Berger et d’une dizaine de lycées et collèges et de centre de formation. Ce qui manque vraiment, c’est l’ambition et la volonté de ses élus pour en faire une ville moderne et attrayante. En effet, quelle autre ville présente, aujourd’hui au Sénégal, en dehors de Dakar, présente autant de dispositions ? Il est possible d’y arriver au bout d’un mandat, c'est-à-dire en cinq ans, à transformer complètement cette ville pour en faire une cité moderne à la hauteur de son rayonnement historique. En effet, il est possible sans exagération de concurrencer Dakar dans l’accueil du tourisme d’affaire et de rencontres internationales (organisation de séminaires, colloques ou ateliers) avec des équipements modernes. Ce qui permettra à la ville d’acquérir ce rayonnement international qu’elle a perdu. Le potentiel est là, il faut simplement oser et savoir le mobiliser. Il faut simplement oser ; oser mettre en avant ses ambitions pour cette ville à la fois historique et moderne à la hauteur de son statut. Les dispositions du Code des collectivités locales le permettent aussi.

En effet, Saint Louis, première capitale du Sénégal, mérite plus ce visage qu’il présente aujourd’hui vue le passé radieux qu’il a eu et les atouts dont dispose son site. Certes, les défis et les enjeux sont importants, mais ils ne sont pas insupportables. Certes, dans cette ville historique tout est à faire : voirie, éclairage public, sans passer sous silence le chômage qui fait de Saint Louis l’une des villes les plus affectées par ce phénomène au Sénégal. Pourtant sans prophétiser, les possibilités pour changer ce visage hideux de cette ville historique existent belle et bien. En effet, après Dakar, Saint-Louis est la seule vraie ville du pays, pouvant seconder la première dans la hiérarchie urbaine du pays très, très loin devant Thiès, qui pourtant bénéficie de sa proximité avec Dakar.

Certes, différents plans d’aménagement de la ville ont été proposés, mais tous sont restés lettre morte faute de maire bâtisseur ayant une ambition affirmée pour cette localité. Le « Projet de ville » que je propose pour apporter une réponse concrète aux défis qui se posent au futur bâtisseur-gestionnaires de la ville, est basé sur une démarche réfléchie et simple. D’abord l’amélioration des finances de la collectivité est une condition de base. Pour ce faire, il s’agira de mettre en place un programme basé sur l’efficacité et le concret. Loin de toute diversion politico-politicienne, celle-ci est possible. Ensuite il s’agira de mettre en place un programme d’investissements de grandes réalisations d’infrastructures routières, mais surtout économiques pour pérenniser les ressources financières de la collectivité locale, sans toujours attendre, la main tendue vers l’Etat.

Aujourd’hui, le budget de la ville de Saint-Louis qui se chiffre à plus d’un milliard, à travers ce « Projet de ville », ce budget pourrait être multiplié par trois en cinq ans sans que cela trop ressenti par les contribuables, par la diversifier les sources de finances; par l’améliorer de la tenue des cahiers comptables; par la diversifier les partenaires de la coopération décentralisée; et par la mise en place d’une vraie administration municipale. Le résultat de tout cela devrait concourir à la mise en place d’infrastructures qui, à terme, permettront à la ville de concurrencer Dakar dans l’offre de service notamment pour l’accueil et l’organisation de grandes manifestations, telles le Sommet de l’OCI, de la francophonie ….Ainsi, entre autres, la municipalité pourrait réaliser dans ce projet, un espace multifonctionnel centré sur une grande salle de conférence, sorte de Palais de Congrès avec tous les équipements nécessaires, jumelé à un espace commercial, sorte de centre commercial. Cette infrastructure pourra aussi bien servir pour les manifestations culturelles, que pour l’accueil de conférences, centre d’achats, d’exposition et de loisirs.

La candidature déclarée de Monsieur Youssou Diallo, qui semble affiché une telle ambition pour la ville peut-elle être une alternative ? L’avenir nous le dira ! Mais avant tout, et inévitablement, cette ambition ne devra pas écarter d’un revers de la main, les fondements que sont résider en permanence dans la ville, et renoncer à toute autre fonction pour s’occuper à temps plein de Saint-Louis, sinon, ceci restera qu’une déclaration de politicien avec des ambitions électoralistes et rien d’autre.



Dr Djibril DIOP
Chargé de cours Université de Montréal (Canada)
djibril.diop@umontreal.ca

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