L'administration publique doit des services de qualité aux citoyens et usagers !



«Traiter les réclamations, les demandes de renseignements, les plaintes, les requêtes des citoyens et citoyennes non pas comme des simples dossiers mais plutôt comme l’expression légitimes des besoins de clients qui sont la raison d’être de l’Administration Publique».

Introduction
L'administration publique a pour mission de fournir au public les services de qualité auxquels il a droit, de mettre en œuvre les politiques établies par les institutions exécutives (Président de la République et Gouvernement) et d'assurer la réalisation des autres objectifs de l'État. En observant la réalité, on est amené à constater l’existence d’un problème majeur dans l’accomplissement de cette mission. Ce problème est perçu à travers l’écart entre la mission attendue de l'administration publique sénégalaise et le vécu quotidien des citoyens et des usagers des services publics.
En effet, les démarches administratives des citoyens pour l'obtention de documents administratifs ou d'autorisations diverses s'avèrent être un véritable parcours du combattant. Les rapports annuels du Médiateur de la République et les expériences des citoyens, étayent suffisamment les faibles performances des services publics en termes de prestations de services de qualité. On peut dire sans risque d'être contredit que la non qualité et la corruption constituent des virus qui affectent notre administration publique depuis ses premiers balbutiements au début de notre indépendance en dépit des changements politiques survenus à la tête de l'Etat.
Le Président Diouf s'exprimait déjà en janvier 1994 à un séminaire de la confédération nationale des employeurs du Sénégal en ces termes " L'Administration a des comptes à rendre aux citoyens. Plus que jamais dans une contexte de diminution des ressources disponibles, les usagers sont en droit d'apprécier la qualité des prestations fournies par les services publics, en comparaison à leurs coûts. La mission de l'administration est de faciliter et encourager les actions constructives de leurs concitoyens"
Le Président Wade arrivé à la faveur de la première alternance survenue en 2000 n'a pas opéré au cours de son long magistère de douze ans, les réformes requises pour que notre pays intègre dans l'appareil d'Etat la gestion de la qualité.
Á la veille de la deuxième alternance de mars 2012, l'état de la production et de la fourniture des services publics, n'avaient guère évolué. La volonté de faire bouger les choses a occupé une place importante dans le premier message à la nation du Président Macky Sall nouvellement élu. Il a en effet, affirmé sa ferme volonté et son engagement à réaligner l'administration publique sur ses valeurs de base et sa mission qui est d'assurer des services de qualité aux citoyens. Il exprime sa volonté politique en ces termes " notre Administration devra créer un environnement plus convivial, fait de respect, de courtoisie et de transparence pour délivrer un service de qualité au bénéfice des usagers. Il ne saurait y avoir de place pour l’arrogance, l’autoritarisme, le règlement de comptes ou la sollicitation de privilèges et avantages indus.
La permanence de la quête infructueuse d'une administration efficace et performante nous apprend une leçon importante. Les bonnes résolutions et comme la seule volonté exprimée par les plus hautes autorités ont été impuissantes pour infléchir les modes de prestations de l'administration pour les centrer autour des réponses à apporter aux besoins des citoyens et usagers.
Il nous semble impérieux, au moment où le Sénégal entre dans l'année de son 53 éme anniversaire, de réfléchir sur une politique pour intégrer la gestion de la qualité dans l'appareil d'Etat. Cette politique est un moyen sur de traduire la volonté des pouvoirs publics de façon à inscrire pour de bon notre pays dans un cercle vertueux de prestation de qualité de ses services publics.
Notre présente contribution porte un regard critique sur les modes de prestations de services pour attirer l’attention sur la non qualité. Elle ne s'arrête pas aux constatations du reste connues et très partagées par les sénégalais qui vivent les difficultés au quotidien. Elle met en débat les tentatives de solution de l'ancien pouvoir, les réussites de quelques administrations. Elle plaide enfin pour la définition d'une politique en vue d'assurer aux citoyens les services de qualité auxquels ils ont droit.
La contribution est axée sur les difficultés des administrations publiques à desservir ses diverses clientèles (I), les limites des tentatives de solutions de l'ancien régime pour assurer des services de qualité (II), les propositions pour améliorer la qualité des prestations des services publics (III)

I) Une administration publique qui a du mal à fournir des services de qualité à ses diverses clientèles.
Une tendance nouvelle en Administration Publique tente d'intégrer dans l'appareil d'État la gestion de la qualité. Il est utile de préciser la notion de qualité .Le concept de qualité repose sur l’idée de produire des biens, de fournir des services et des prestations de plus en plus conformes à ce que les utilisateurs en attendent. Les usagers sont perçus comme des clients. La conception qu'on a de l’usager change. Il n'est pas un administré mais un utilisateur avec ses droits et des moyens d’exiger un service de qualité.
Un cercle de la qualité la définit comme suit « La qualité ........est l’ensemble des principes et des méthodes, organisés en stratégie globale visant à mobiliser toute l’organisation pour obtenir une meilleure satisfaction du client, (donc de l’usagé ou de l’administré) au moindre coût ».
Au total, l'approche qualité consiste à "faire mieux au moindre coût pour satisfaire les citoyens et les usagers"
L'Administration publique sénégalaise ne peut pas et ne doit pas être en marge de cette évolution pour au moins deux raisons; notre société a connu de profondes mutations; les citoyens et citoyennes d'hier se comporte aujourd'hui et se comporteront de plus en plus comme des clients avec des droits nettement circonscrits et soucieux d'obtenir des comptes de son administration. Face à de telles exigences et attentes, l'administration a l'obligation de répondre par une amélioration continue de la qualité de ses prestations de ses services.
En observant les pratiques, on est obligé de constater un problème majeur dans l'accomplissement des missions de services publics. Les rapports annuels du Médiateur parus depuis 1991, ont suffisamment mis en évidence le fait que l'administration publique ne s'acquitte pas très souvent de sa mission envers les citoyens et usagers dont les nombreuses réclamations étaient un indicateur éloquent de leur insatisfaction croissante Les cas ci-dessous relevés au cours d'une petite enquête confortent les constatations des rapports du Médiateur et renseignent sur la pénibilité des citoyens due par la non qualité dans les modes de prestations des services publics :
Sitor Sène , agriculteur à Loul Séssène, doit se rendre au commissariat de Fatick distant de plus de 60 km pour se faire établir un dossier de carte d'identité. Il est dans ses démarches depuis un an. Il a fait plusieurs déplacements, fait plusieurs dépôts, consacré du temps, dépensé de l'argent sans obtenir sa pièce d'identité. Codou Faye, agricultrice à Diofior doit elle aussi se rendre à Fatick pour le dépôt de son passeport.. Il a fait trois déplacements sur Fatick pour se faire délivrer son passeport après un délai de 52 jours. Arfang Diouf est tâcheron à Samba Dia, il est lui aussi obligé de se rendre à Fatick pour le paiement de ses services dont le contrat prévoie des acomptes successifs. Autant de fois, il a fait le parcours Samba Dia- Fatick pour entrer en possession de ses sous. Le parcours pour la délivrance d'un quitus fiscal est le même pour une petite entreprise de production et de distribution de produits alimentaire établie aux Maristes; le processus a été le suivant : requête au centre fiscal de Guédiawaye-Pikine, Direction de la Comptabilité publique, retour Centre fiscal Pikine- Guédiawaye. ll a fallu un délai de deux jours pour entrer en possession de son quitus fiscal alors que les administrations fiscales auraient pu sur un simple clic, avoir l'information sur le contribuable et générer automatiquement le quitus.
Ces cas sont caractéristiques du parcours que doivent subir les citoyens, surtout par ceux qui résident en zone rurale pour la délivrance de documents administratifs (carte d'artisan, permis de conduire, carte de commerçant, autorisations pour les entrepreneurs de l'artisanat productif....) qui sont pour eux, de véritables passeports pour l'emploi.
Pourquoi ces citoyens et citoyennes devraient faire toutes ces distances et encourir des frais de transport pour accéder à des documents administratifs ?
Le principe de l'égalité et l'égal accès aux droits voudraient pourtant que les citoyens et citoyennes soient mis dans les mêmes conditions d'accès aux services publics. Même si l'Etat n'en a pas les moyens maintenant, il doit se fixer des objectifs raisonnables pour égaliser les chances pour l'accès à ces services usuels. Des services de qualité, c'est un capacité de proximité de l'Etat représenté sur les différents territoires du pays par des administrations de terrain étoffées, outillées et efficaces.
Force est donc de constater qu'en dépit de la volonté affichée des plus hautes autorités, pour assurer les services de qualité aux citoyens, notre machine administrative continue de tourner en oubliant ses valeurs de base et sa mission qui est de fournir aux citoyens les services de qualité auxquels ils ont droit. C'est un système qui en cause et non les agents de l'administration dont une proportion très majoritaire a à cœur d'accomplir au mieux sa mission.
Il a été brossé dans l'introduction l'évolution pour mettre en évidence la persistance de la qualité très problématique des performances de notre administration. Des tentatives ont été entreprises pour changer les choses; quelques initiatives ont été engagées dans les administrations financières, Douane et Impôts pour améliorer les services offerts. En dépit des efforts, les résultats n'ont pas été au rendez vous.

II) Les tentatives de solutions
Le gouvernement sortant a essayé de répondre aux défis de la qualité des services en mettant au point un lien « Services aux usagers en ligne » dans le site du gouvernement (www.gouv.sn). Ce lien permet d’accéder à des informations sur les services fournis aux usagers. Il y a sur ce site via ce lien, une description de la gamme des services offerts par l’Administration dans neuf domaines ; y sont précisés les différents services offerts dans chaque domaine, les démarches et formalités à accomplir pour obtenir un service C’est une avancée non négligeable mais qui n’a pas résolu le problème de la qualité des services. Un grand nombre de citoyens n’ont pas accès au site. Le lien ne permet pas d’accéder aux services décrits en ligne comme peut le laisser penser l’intitulé du lien affiché dans ce site du gouvernement.
Bien que louable, l’initiative souffre aussi d’un manque de cadre de gestion fixant aux administrations des engagements concrets, notamment des normes de service : qualité de l’accueil, qualité des processus décisionnels, délais de réponse et traitement des plaintes.
Il y a donc besoin urgent d’aller au-delà et d’agir par des mesures concrètes et efficaces pour répondre aux attentes de services de qualité des usagers.
Les administrations financières douane et impôt constitue des exemples dans l'instrumentation de l'approche qualité. Ces administrations ont amélioré une gamme variée de services offerts à leurs usagers mais n'ont malheureusement pas opté pour une politique d'ensemble qui leur aurait permis d'intégrer la qualité à l'ensemble de leurs prestations de services. Le cas du quitus fiscal, la complexité du formulaire de déclaration des impôts montrent à l'évidence la nécessité de généraliser l'approche à tous les services offerts au public. Toutefois, ces exemples montrent que l'approche qualité peut s'acclimater dans notre administration. Les enseignements sont à tirer de ces réussites comme celles des autres pays africains comme Maurice et la Tunisie
Plusieurs autres facteurs expliquent les conditions très peu satisfaisantes dans la production et la fourniture de services publics de qualité. Parmi les plus importants on peut citer :
• l'absence/le défaut de culture organisationnelle tournée vers le service aux citoyens
• l'absence de cadre légal sur l'administration publique énonçant clairement les engagements des ministères et organismes publics pour assurer des services de qualité aux citoyens et permettant d'accomplir cet mission.
• le défaut de règlement sur l'éthique, la déontologie dans la fonction publique et les valeurs de l'administration sénégalaises pour guider positivement le travail des fonctionnaires, des magistrats et de tous les agents de l'administration et des collectivités locales
• faible déconcentration qui ne permet pas la prise de décision au niveau approprié
• l'absence de coopération dans la fourniture des services de proximité entre l'Etat et les collectivités locale qui ont pourtant, le même ''client'', le citoyen
Au total, il a manqué un plan, une vision d'ensemble ayant orienté en fonction d'objectifs précis de qualité, le système de prestations de services de l'administration publique et, plus particulièrement de nos instances locales et régionales. Il résulte de l'absence de vraie politique sur l'administration publique, une organisation actuelle inadaptée de notre système de prestation de services publics et en conséquence, une capacité réduite de nos administrations publiques, instances régionales et locales à réponde aux attentes des citoyens en termes de services publics de qualité.
Arrivé au pouvoir sur la base un programme résolument réformiste , Yonnu Yokkuté et des conclusions des Assises Nationales, le Président Macky Sall et la coalition Benno Book Yakkar qui le soutient, sont attendus sur les améliorations tangibles et au plus vite de la qualité des services offerts par les ministères et les organismes publics. Il s'agit là du quotidien des sénégalais et leur Etat, leurs collectivités ont le devoir de leur délivrer convenablement les papiers dont ils ont besoin.
Ces améliorations ne seront pas spontanées. Elles seront le résultat de changements importants pour faire évoluer la culture organisationnelle aux antipodes d'une culture qualité, des modes de prestations de services privilégiant les contrôles, le respect des procédures au détriment de la satisfaction des attentes des citoyens et des usagers, le cadre légal encadrant les engagements des ministères et organismes publics et leur stratégie pour assurer des services de qualité. Nous avons souligné que la corruption et la non qualité des services publics offerts aux citoyens étaient deux maux que trainent notre administration. Ces maux ne constituent pas une fatalité car nous avons tout pour les éradiquer, les ressources humaines, les ressources financières, les moyens techniques et matérielles, une volonté politique très clairement exprimée. Un réalisme devrait cependant nous guider car ce serait certainement faire preuve d'un optimisme sans discernement de penser enrayer la corruption mais il est raisonnable de garder un espoir lucide de la réduire à son plus faible degré et de la combattre chaque fois qu'elle est constatée. De même, il devrait être possible d'engager les chantiers de modernisation du secteur public en ciblant en priorité les actions à mener pour extirper la non qualité des modes de prestations de l'administration.

III) Propositions pour améliorer la qualité des prestations des services publics
Les Gouvernements africains ont fait preuve d'une grande volonté et consenti d'importants efforts pour faciliter les démarches des investisseurs dans le cadre du programme Doing business. Le gouvernement du Sénégal vient de réaffirmer lors du dernier conseil présidentiel sur l'investissement, sa volonté d'être classé parmi les dix premiers pays africains.
Si tout le Gouvernement se mobilise, démontre la même volonté et consent les mêmes efforts pour répondre aux besoins des citoyens, il ne fait pas de doute que les citoyens connaitront une amélioration réelle de la qualité des services publics offerts par l'Administration. Peut être qu'on pourrait se fixer l'objectif d'enclencher en 2013 un mouvement général pour intégrer la gestion qualité dans notre administration. La non qualité des prestations des services publics est une autre plaie à la pauvreté et rajoute à la pénibilité des citoyens.
Depuis longtemps, les responsables gouvernementaux, les agents de l'administration, les citoyens partagent la conclusion qu'il faudrait améliorer la qualité des services rendus par l'administration. Les moyens envisagés pour y arriver demeurent une question fondamentale de la gestion publique. Dans le cadre d'une recherche des moyens pour réformer le secteur public, nous proposons une Initiative "Accès Citoyens à des Services de Qualité" ou ACSEQ.
A la différence du programme Doing Business, l'Initiative proposée n'est pas un programme mais une politique publique nationale. Elle prône en effet un énoncé de politique sur l'administration publique centrée sur les citoyens et les usagers et visant à améliorer la qualité des services publics qui leur sont offerts.. Elle suggère dans la foulée de l'énoncé de politique, la mise en place d'un cadre légal sur l'administration publique en vue de mettre en place un nouveau cadre de gestion de l’administration fixant ses engagements envers les citoyens et basé sur la réalisation d’objectifs de qualité dans le domaine des prestations de services. Ce cadre légal permet l'accomplissement de cette mission.
Ce cadre légal devra être mis à profit pour réaffirmer et renouveler les valeurs dans l'administration publique, l'exigence de l'Ethique dans la fonction publique. Il pourrait aussi à l'occasion enjoindre le gouvernement à adopter un règlement sur l'éthique et la déontologie dans la fonction publique et les valeurs de l'administration sénégalaises. Cet encadrement légal et réglementaire servira de base à des concertations à l'élaboration d'outils pour guider positivement le travail des fonctionnaires, les magistrats et tous les agents de l'administration et des collectivités locales.
Avant la mise en place de ces changements qui visent à intégrer la gestion qualité dans tout le secteur public (ministère, entreprises publiques et para publiques, entreprises bénéficiant de concours financiers de la puissance publique), nous préconisons des expérimentations qui pourraient concerner les ministères à très fort potentiel d'activités de production et de fourniture de services comme le ministère de l'intérieur pour les passeports et les cartes nationales d'identité, le ministère de l'économie et des finances (facilitation des moyens de paiement des impôts, taxes et autres droits, des services faits, des déclarations d'impôt etc.).

Conclusion
A travers cet article, nous avons voulu démontrer qu’il existe une solution de rechange à l’état actuel des modes de prestation de services à nos concitoyens très insatisfaits des performances de leur administration. Les solutions proposées n’épuisent pas toutes les possibilités de réforme mais elles sont livrées à titre de contribution pour inciter à la réflexion et à l’action pour centrer la machine administrative sur le citoyen qu’elle a l’obligation de servir.
Nous sommes très conscients des obstacles à franchir pour réformer l’administration. Tout changement sème des inquiétudes, suscite des réticences, engendre des résistances. Pour y parvenir, il me semble important de démontrer aux populations qu’elles seront mieux servies grâce à cette réforme qui implique l'ouverture de chantiers de réforme dans tous les ministères et organismes publics avec un seul crédo, faire mieux avec ce qu'on a pour fournir des services de qualité.

* Administrateur civil
biram_owens@yahoo.fr

Par Biram Owens NDIAYE

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