Crédit à... …Ibrahima Dia, Directeur général du Mca-Sénégal : «On a tiré les leçons de Diamniadio»

Le directeur-général du comité de formulation du projet Mca au Sénégal explique comment il a pu convaincre les Américains du Mcc de revenir au Sénégal, et en quoi le nouveau projet est différent de la Plate-forme de Diamniadio.



Par rapport à Diamniadio, dont on voyait le futur du Sénégal, ce nouveau projet ne semble-t-il pas un peu moins ambitieux ?

Non. En fait, je crois que ce qui était proposé dans Diamniadio, c’était la même logique. C’est-à-dire, comment développer un pôle de croissance ? Resoudre une contrainte majeure ,qui était pour les entreprises de s’installer et de créer des emplois ? Et comment aussi sortir de Dakar, parce que Dakar n’est plus viable ? Mais la vision de Diamniadio, c’est de continuer à sortir de Dakar. Dans ce projet, on sort de Dakar en allant directement à l’extrémité, par la frontière, pour revenir vers l’intérieur.

C’est la même logique qui est là. On ne peut pas développer le Sénégal sur 0,3% du territoire. Dakar a atteint ses limites en termes de pôle de croissance économique. Les activités dominantes qui avaient fait de Dakar un pôle économique étaient le port, le tourisme, la pêche. Ces activités là ne sont plus porteuses de croissance. Les activités porteuses de croissance, c’est d’abord l’agriculture, l’élevage, les mines. Il faut donc aller développer ce potentiel et lier ces activités aux pays limitrophes. Si ça se réalise comme prévu, on aura tout gagné. Et je suis sûr d’une chose, c’est que le potentiel de développement industriel, économique de ces régions va complètement modifier la physionomie du Sénégal. La seule contrainte qu’elles avaient, c’était les infrastructures. Maintenant, en termes d’effets sur la croissance et sur la pauvreté, les effets seront plus utiles car ils ne sont pas concentrés. Il y aura des interactions qui vont se développer, parce que l’activité de production agricole et industrielle dans ces zones-là entraînera d’autres activités de transformation d’énergie.

Vous avez certainement fait l’estimation financière de tous ces projets. Est-ce cette estimation qui va déterminer les financements que le Sénégal espère du Mca ou les Américains vont déterminer eux-mêmes leur financement de manière souveraine ?

Ils vont définir de manière souveraine après l’évaluation qu’ils auront faite de chaque projet. L’intérêt du modèle Mca, c’est que ce n’est pas un modèle où vous avez un plafond déjà fixé. Vous proposez et ils regardent si ça vaut le coût. Sur la base de l’argent disponible, ils peuvent se mettre d’accord pour tout financer, ou avoir des doutes pour enlever certaines choses. L’information qui a été donnée au président de la République lors de son dernier voyage, c’est que chaque année, sur la base des idées ou de l’estimation que le Mca a sur les pays qui risquent de signer, il demande un montant au Congrès et c’est ce dernier qui adopte le montant. Maintenant, lorsque les gens vont déposer, ils essayent d’ajuster en fonction de ça. Il se trouve que l’année passée, ils avaient demandé 1 milliard et 650 millions de dollars et ils ont affecté aux pays qui étaient presque près, comme la Tanzanie, 700 millions de dollars et 300 millions au Burkina, et ainsi de suite. Pour l’année fiscale 2009, il n’y a pas encore un nouveau montant, parce que le congrès et la Chambre des représentants ne sont pas encore d’accord sur le budget global des Etats-Unis, on risque de reconduire simplement le budget. Comme c’est une compétition où le premier venu prend, on a notre programme qui est estimé autour de 1 milliard de dollars. Ils vont donc regarder en fonction de l’évaluation qu’ils ont faite des projets proposés. Ils ont travaillé avec nous sur tous ces projets. Ils sont allés sur le terrain et ont discuté avec des gens. Ils en ont une idée précise. Nous avons fait les études de rentabilité. On a discuté avec eux pour s’accorder sur les taux de rentabilité qu’on a eu à analyser. Ils ont maintenant toutes les données pour décider. On est en train de discuter mais pour l’essentiel des projets ils sont d’accord.

Lors du premier projet du Sénégal, on a perdu plus de trois ans pour boucler un projet. Et cette fois-ci, en moins de six mois, on boucle un projet plus grand encore. Quel a été l’ingrédient magique ?

On a essayé de développer une méthodologie qui nous permet de pallier notre retard. On sait qu’on avait de gros retards. On sait que c’est un gros défi pour le Sénégal après tout ce qui s’est passé sur Diamnadio. Donc, on n’avait pas le droit de traîner. On savait qu’il y a des moments critiques dans les décisions du Mca et du Congrès. On s’est alors dit qu’il faut être pragmatique. Ce qui nous a un peu aidé, c’est l’expérience qu’on avait de tout ce qui se faisait. En constituant mon équipe, j’avais pris des gens qui étaient déjà dans un processus. Aussi bien pour l’aspect infrastructures que pour l’économie et les autres secteurs. C’est des gens qui avaient réellement la main dans des projets et des programmes. Ce qui fait qu’on pouvait tout de suite avoir l’intuition de ce qui existait. On s’est dit qu’on n’étudie pas de nouveaux projets et on a demandé de sortir tout ce qu’il y a dans les tiroirs depuis 20 ans. A partir de ce moment, on a fait le tri et on s’est rendu compte qu’on a pratiquement tous ces projets. La plupart de ces projets datent de 10 ans au moins. Les plus vieux datent de 20 ans. On a refait toutes les analyses économiques et on s’est entendu sur les modèles. On a gagné du temps en étant pragmatiques. On a éliminé tous les projets qui pouvaient nous retarder.

Notre objectif, c’est de savoir comment faire pour signer le plus vite possible et accéder à l’argent. On a éliminé beaucoup de choses dans ce gros paquet qu’on a sorti des tiroirs. Voilà un peu les intuitions qui nous ont aidés. Ensuite, nous avons eu le soutien des autorités. D’abord, au niveau des plus hautes autorités. Le Président a suivi de très près chaque étape, a validé, a été très ouvert. Ce qui nous a mis à l’aise, en prenant la responsabilité de mener à bien le processus. Et on a tiré des leçons de tout ce qui a pu faire perdre du temps à Diamniadio.

Vous avez parlé de la réhabilitation de la RN 6, pourtant le Président a un projet de train pour le Sud…

En fait, des études sont en cours d’après les informations que nous avons, et sont financées par les Indiens, pour voir la possibilité de faire une voie ferrée qui relie Ziguinchor à Tamba. Certainement, les études vont prendre du temps. Et si cela devait se réaliser aussi, ça prendrait énormément de temps.

D’abord il faut que toutes les études soient prêtes. Ensuite, c’est sûr que cela allait prendre beaucoup d’argent. Et pour réaliser ce chemin de fer, il fallait laisser tout le reste tomber. Pour le moment, les gens ont plus besoin de la route RN6. L’intérêt de la RN6, ce n’est pas seulement le détour de la Gambie. Une fois que l’Etat aura terminé la route sur Tambacounda, on peut aller directement de Dakar à Ziguinchor en contournant la Gambie avec une route qui est excellente. En plus, les grandes productions dans la zone peuvent partir par Tamba et venir à Ziguinchor pour prendre le bateau. C’est ça le double intérêt. De toute façon, une analyse économique devra être faite pour la rentabilité du train.

Dans votre analyse, il y a trois pôles. Pour être compétitifs et rentables, ces trois pôles doivent-ils être liés ou peut-on développer un des projets sans prendre en charge les autres ?

On peut développer un pôle sans réellement s’occuper des autres. Dans chaque pôle, on a conçu les projets de façon modulaire. Ce qui fait que, s’il y a des problèmes de ressources, on peut diminuer une partie ou augmenter, sans avoir trop de risques à prendre. Ce qui permet d’être plus flexible par rapport au Mcc. Pour les projets Mcc, une fois que le financement est accordé, il est mis en bloc à la disposition des pays. Il n’y a plus possibilité de négocier une rallonge et il faut tout dépenser dans les cinq ans. De même, si le dollar augmente ou baisse, il ne peut pas y avoir de réajustement. C’est pour ça qu’on a fait des projets modulaires, en se disant que, si jamais il y a des problèmes, on pourra réajuster. Et l’Etat pourra toujours compléter. Si on prend le projet de la RN 6, on découpe la route en plusieurs tronçons, s’il y a un problème, on peut dire que tel tronçon, l’Etat va prendre le temps de le faire sur trois années ou le réhabiliter complètement, en attendant d’avoir l’argent. Sur les projets hydrauliques par exemple, on dit qu’on développe des aménagements structurants par modules. C’est la même analyse de rentabilité qui est valable pour chaque zone.

Le Quotidien

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